Il y a peu de temps… en fait peu de jours qui n'appartiennent pas encore au passé, les protestataires au Maroc étaient réprimés, purement et simplement tabassés. Les matraques s'abattaient généreusement sur les chômeurs, les journalistes et les manifestants de toute nature… et les coups n'épargnaient même pas les greffiers qui, un jour, avaient eu l'outrecuidance de protester !... … Et ces jours-là, le gouvernement Benkirane nous abreuvait d'informations sur les effectifs policiers blessés, comme c'est d'ailleurs et toujours le cas aujourd'hui pour al Hoceima. C'était devenu une habitude récurrente. Le gouvernement Benkirane, et avec lui une certaine presse de la « Benkiranie », expliquait la nécessité de respecter la loi, surtout quand les manifestations n'étaient pas autorisées… et parfois, il arrivait de considérer les interventions musclées des forces de l'ordre contre les protestataires comme des actions de l'Etat profond, ou sous-marin, souterrain, tendant à confondre le chef du gouvernement et de le mouiller. Et aujourd'hui, quelques temps après cela, les mêmes voix s'élèvent, les mêmes journalistes en crèvent, de soutenir cette idée de l' « incapacité », voire la « pusillanimité » du chef du gouvernement Saâdeddine El Otmani et son équipe, qui apparaît dans la défense des forces de l'ordre qui frappent ici et là, ailleurs, partout, les têtes et les autres parties du corps de ceux qui manifestent. Et ainsi donc, quand les coups pleuvaient sur les manifestants du temps de Benkirane, ce n'était absolument pas au nom de Benkirane, mais en celui du tahakkoum, de la loi et du droit et aussi et surtout de la nécessité de préserver l'ordre public. Et puis, souvent, très souvent même, les aficionados de Benkirane qualifiaient les manifestants, les contestataires et autres protestataires, la chair à canon (à eau), de « perturbateurs »… et les choses semblaient alors très ordinaires, mais… Quand, aujourd'hui, on réprime à tour de bras les gens à al Hoceima ou ailleurs, quand les têtes résonnent sous les coups et que les cuirs chevelus s'ouvrent, les Benkiraniens rivalisent de précision et de clarté dans le propos… Ils oublient de causer loi, droit, ordre public et autorisation de manifester… Ils oublient aussi de parler des perturbateurs, de l'Etat profond ou plongeant et de tahakkoum… Pour eux, pour les Benkiraniens, aujourd'hui, on frappe, on tabasse, on gifle au nom du chef du gouvernement, au nom d'EL Otmani ! Point barre. Quand Benkirane nous toisait, du temps de sa splendeur, lesté de ministres sans odeur ni couleur ni saveur, comme Charki Draïss, ou Akhannouch (qui n'était pas encore chef de parti), ou Hassad ou Rachid Belmokhtar… ces gens étaient les ministres les plus importants de l'ère Benkirane et les partisans de l'alors chef de gouvernement considéraient cela comme parfaitement normal… et tout à fait naturel. Les amis de Benkirane s'étaient félicités et congratulés quand Benkirane avait applaudi à la désignation de Hassad à l'Intérieur, en disant que « la dispersion des manifestants est une tâche ardue et difficile pour un ministre de l'Intérieur appartenant à un parti, alors nous avons éloigné les politiques et confié le travail à un enfant du Makhzen »… autrement dit, Benkirane a fait nommer Hassad à l'Intérieur uniquement au nom de la considération sécuritaire, pour disperser les manifs et réprimer tout le monde. C'est tout. Benkirane, qu'une grande partie de la presse encense aujourd'hui et dont les méfias chantent lyriquement les louanges et se désespèrent de l'avoir perdu, avait affirmé « avoir accepté l'enfant du Makhzen pour qu'il réprime, disperse, tabasse et fracasse »… Certes oui, mais… Ceux qui applaudissent et ébaudissent encore aujourd'hui le Benkiranisme affirment qu'El Otmani commet actuellement de grands crimes en défendant l'approche sécuritaire… Ils nous disent aussi que les ministres puissants qui ont écrit de longues pages de l'histoire du gouvernement Benkirane étaient en quelque sorte à leur place, mais qu'El Otmani a commis l'irréparable en se les laissant imposer au sein de son « gouvernement gouverné »… Plus prosaïquement, pour les amis de Benkirane, l'ancien chef du gouvernement était un vrai chef à qui personne n'avait imposé qui que ce soit ou quoi que ce soit (!!)… Chez ces gens-là, Monsieur, l'idée est que Benkirane ne conduisait pas « un gouvernement gouverné »… et qu'il avait introduit puis initié des réformes d'importance… mais qu'au final il n'avait rien pu faire en raison de la guerre que lui faisaient l'Etat profond et le tahakkoum… Puis ils attaquent El Otmani bille en tête, l'accablant de tout ce pour ils encensaient et encensent toujours Benkirane. Quand Benkirane avait appelé le RNI à la rescousse dans son gouvernement, malgré les salves d'insultes et les déferlements d'injures entre lui et les « chefs » de ce parti… quand les RNIstes avaient intégré son gouvernement après la défection de Chabat et de son Istiqlal, les amis de Benkirane avaient considéré cela comme parfaitement naturel et absolument normal… Ils avaient fait leur cette déclaration du bon Dr Abdallah Bouanou (alors chef du groupe du PJD à la Chambre des représentants) qualifiant le RNI de « grand parti national ». Aujourd'hui, les mêmes qui avaient soupiré d'aise à l'entrée du RNI (sous la conduite de Mezouar alors) au gouvernement Benkirane affirment aujourd'hui la main sur le cœur et la bouche en O qu'El Otmani a cédé sous la pression et accepté l'entrée du RNI dans son gouvernement à lui. Ces gens-là, les inconditionnels de Benkirane, n'aiment plus ni RNI, ni MP ni USFP… Du temps de Benkirane, les coups pleuvaient et la matraque triomphait, les manifestations étaient dispersées, et tout cela était parfaitement normal. Du temps du même Benkirane, une pléiade de ministres étaient entrés au gouvernement sans raison politique apparente ni justification électorale pertinente, et tout cela était encore et toujours tout à fait normal. Des partis étaient invités au sein de l'Exécutif, pour rien, comme cela, parce qu'on l'avait voulu, et c'était ainsi ! Tout ce qui était légitime sous Benkirane ne l'est semble-t-il plus aujourd'hui… Maintenant qu'El Otmani est là, ces gens-là, Monsieur, se sont rappelés des principes et des valeurs, se sont souvenus de la légitimité et se sont remémorés la sacro-sainte « coustitissioune ». Ces gens-là l'ouvrent grande aujourd'hui après l'avoir « fermée » du temps de Benkirane. Pour rappel seulement… Dire qu'aujourd'hui le gouvernement El Otmani ne dispose d'aucune marge de manœuvre de ce que la « coustitissioune » lui confère pour mener les réformes est exact. Un propos exact qui ne remédie en rien à la situation, mais qui se fonde sur un passé douteux. Un passé douteux car ceux-là mêmes qui crient aujourd'hui à la nécessité de lancer les réformes préconisées dans la « coustitissioune » sont ceux qui avaient soutenu Benkirane alors même qu'il avait mis en panne et en berne ces réformes et qu'il avait peiné à répondre à cette fameuse question de « qui relève du roi et qui relève de Benkirane ? », pour la laisser remplacer par « qui relève du roi et sur quoi Benkirane a cédé ? ». Plus clairement, ceux qui reprochent tant de choses à El Otmani ont raison de le faire… mais ceux qui ont puissamment soutenu le Benkiranisme et qui l'ont fougueusement applaudi sont les derniers à pouvoir et devoir adresser des reproches à El Otmani, et pour une raison très simple !, qui est que ce que fait El Otmani aujourd'hui est exactement pareil à ce qu'avait fait Benkirane hier, avant-hier et les cinq dernières années… La seule différence est qu'El Otmani n'a pas réussi à s'imposer comme phénomène oratoire… qu'il n'a pas compris le secret du succès de Benkirane, à savoir se transformer en nuage d'été, sombre, menaçant, grondant… mais ne pleuvant jamais ! Et cela, si Benkirane l'a bien fait, El Otmani l'a parfaitement compris…