Le problème, donc, n'est pas tant la violence que les diverses manières de la dissimuler au regard des autres… Exactement comme, lorsque nous étions encore enfants, nous voyions nos mères s'occuper du salon des invités et de la vaisselle pour invités, et se préoccuper de tout ce qui ne serait pas assez beau et rutilant pour les invités… Le problème n'est pas notre quotidien et ses inévitables et incessants problèmes, mais le regard de l'Autre sur nous. Et de la même manière, dans la même logique, des fléaux sociétaux comme la violence, la pratique professionnelle du sexe, la violence sexuelle ou non contre les enfants… tout cela n'est pas un problème encore une fois, le principal étant de ne pas porter ces choses à l'écran ou dans un livre… afin que, sacrosainte exigence, les autres n'aient pas une opinion négative de nous et de ce que nous sommes. Il n'est pas vraiment important que nous gérions nos villes comme il se doit, c'est-à-dire avec sérieux et compétence, en permanence… le souci est que ces villes soient belles quand le roi s'y promène ou quand un visiteur de marque y pose ses valises. De même, si votre époux vous malmène, physiquement, moralement ou économiquement… ce n'est toujours pas si important en soi, tant est que vous paraissiez belle et souriante, enjouée et avenante, et surtout sans ecchymoses qui montreraient votre désarroi ou, pire, votre malheur. Et le plus terrible est que la chose n'est plus le seul fait de nos mères ou grand-mères… puisque 2M s'y est mise aussi. On va donc montrer aux femmes de ce pays comment masquer les outrages qui leur sont faits ; rien de mieux qu'une couche de maquillage pour cacher un bleu sur un visage. L'essentiel est de paraître belles, le principal est de ne pas montrer la violence exercée sur elles. De ce fait, c'est la victime de violence conjugale qui devient responsable de ce qui lui arrive et c'est elle qui doit le cacher. Encore une fois, et au lieu que ce soit le mari – ou l'homme – violent ou violeur qui ait honte de son acte, au lieu que ce soit lui qui soit livré à la vindicte publique… nous persistons à faire de la victime le véritable sujet de honte et d'opprobre. C'est pour cela que, tout en saluant la vitesse de réaction de la direction de la chaîne, je considère que ses excuses ne sont pas suffisantes. En effet, et d'une part, le communiqué de 2M parle d'une « erreur d'appréciation » alors même que le passage concerné relève d'une lourde faute professionnelle et d'une banalisation médiatique de la violence contre les femmes ; cela constitue une autre forme de violence, une sorte de double peine, car au lieu que la télé ne dénonce ces violences, elle a préféré contribuer à leur dissimulation, participant ainsi à la protection des véritable coupables, les hommes. D'autre part, l'impact de l'émission sur les téléspectateurs et téléspectatrices est bien plus grand que celui du communiqué, pour celles et ceux qui l'auraient lu… Pourquoi ? Parce que, tout simplement, la plupart des gens qui suivent cette émission ne sont pas présents sur les réseaux sociaux et ne lisent généralement pas les médias. Et ce dérapage de 2M n'est bien malheureusement pas isolé !... Ainsi du ministère de la Famille, de la Femme et de la Solidarité arrivé lui aussi avec ses gros sabots à travers sa campagne médiatique contre la violence faite aux femmes, déclinée sous ce slogan : « Frapper une femme est une bassesse… la respecter, c'est faire preuve de virilité ». Mais faites-les taire donc !... Voilà que même le gouvernement entérine la violence et l'inégalité, en voulant dénoncer la violence contre les femmes. Frapper une femme n'est pas une bassesse ou une infamie, c'est un crime et rien d'autre qu'un crime. Et la loi ne réprime pas l'infamie ou la bassesse, mais en revanche elle punit les crimes… mais encore faut-il reconnaître, ou au moins prendre conscience, que frapper une femme est un acte criminel. Et puis, parler de virilité revient à verser dans une logique phallocrate, voire misogyne, accentuant encore plus la domination sociale de l'homme sur la femme. Evoquer ce concept de virilité, c'est s'éloigner de l'esprit de la loi et c'est surtout inadmissible pour une campagne supposée dénoncer la violence contre une femme. Protéger les femmes, c'est renforcer les principes d'égalité et de droits. Respecter une femme n'est pas un acte de virilité. Respecter une femme, c'est la reconnaître pour ce qu'elle est, à savoir l'égale de l'homme, avec tous les droits et devoirs qui vont avec. Que signifie tout cela, en somme ? Que, tout simplement, des organismes ou institutions supposés s'inscrire dans la lutte contre la violence comme principe, comme attitude et comme pratique, ne sont pas eux-mêmes imprégnés des valeurs d'égalité et de droits. Ces institutions persistent à reproduire sans cesse les anciennes conceptions des relations hommes/femmes, en les enrobant d'un vernis de communication, en les « maquillant » par des slogans médiatiques… très certainement parce que ces organes ne se sont pas encore eux-mêmes débarrassés des us et coutumes passés… et aussi parce qu'ils estiment que ce qu'ils font est « viril » et va dans le sens de la protection des femmes… alors que, en réalité, tout cela n'est qu'une autre forme de crime à l'égard des femmes.