La jeune fille interroge son grand frère : « toi qui appelle à voter pour la Fédération de la Gauche démocratique, ne sais-tu donc pas que Nabila Mounib est laïque » ? Elle a dit cela sur un ton et avec une expression sur son visage qui traduisent la gravité et l'immense péril que représente pour elle la laïcité. C'est ce qu'elle a retenu de ses cours à l'école et c'est ce que disent ses ami(e)s… Je me suis alors souvenu d'un film égyptien, « le commencement », quand Jamal Ratib parlait aux gens autour de lui d'Ahmed Zaki : « Savez-vous qu'il est démocrate ? ». Les pauvres hères qui ignoraient le sens de ce mot s'étaient alors contentés de l'observation des traits du visage de Ratib pour déduire que quelqu'un de « démocrate » ne pouvait être qu'un individu dangereux qu'il fallait absolument combattre. Et quand ils avaient demandé à Ahmed Zaki s'il était « vraiment démocrate », et qu'il leur avait répondu en toute confiance et tranquillité : « oui, je le suis », il n'avait fait que confirmer les pires craintes de ses interrogateurs quant à son « crime », lui qui défendait leurs droits et que personne n'avait songé à questionner sur le sens du mot « démocrate » ! Pour ceux qui avaient eu la chance de fréquenter les bancs de quelque école, aucun n'avait jamais appris ce que signifiait le terme « démocrate », et les médias n'avaient pas non plus rempli leur rôle. Il ne restait donc plus à Jamal Ratib – qui incarnait l'absolutisme, l'injustice et l'arrogance méprisante dans cette splendide fresque cinématographique – qu'à exploiter l'ignorance de son auditoire et effrayer ses ouailles en leur fermant les oreilles à tout ce que pouvait leur expliquer l'homme qui voulait leur garantir leurs droits et leur procurer la justice sociale, en un mot la démocratie. Et c'est la même chose qui nous arrive aujourd'hui avec le concept de « laïcité » qui s'est insinué dans les esprits de tant de gens, dont des gens parfaitement instruits et parfois même universitaires, comme synonyme de mécréance et d'athéisme. Et ainsi, depuis quelques années, nous avons commencé à observer une crainte, voire une frayeur et même une terreur, face à cette « vague laïque » qui nous submerge, ce diable qui nous hante et qui menace notre religion, notre foi et notre piété. Toutes ces personnes qui ont tellement peur de la laïcité et qui la prennent pour un des « démons et des crocodiles » de Benkirane, songent-ils au fait qu'ils font une grave confusion entre athéisme et laïcité ? Toux ceux qui ont peur de la laïcité et qui brandissent son épouvantail à la face du peuple, tout en louant les modèles malaisien et turc, pensent-ils un instant que l'un des fondements de la réussite économique et de la prospérité sociale de ces deux nations est précisément la laïcité qui garantit la séparation des sphères politique et religieuse ? Mais bien malheureusement, notre enseignement public qui n'encourage ni la libre pensée ni la critique ancre dans l'esprit de nos jeunes apprenants des idées fausses sur des valeurs universelles telles que les droits de l'Homme, la laïcité et la démocratie, entre autres valeurs de notre monde actuel. Nous souvenons-nous de cette épreuve du baccalauréat national qui avait fait le lien voici quelques années entre les associations de défense des droits de l'Homme d'une part, la consommation de drogue et les déviances morales de l'autre ? Et il ne faut pas oublier non plus cette presse particulière qui participe à entretenir la confusion dans les concepts, dans le rapprochement entre libertés individuelles et prostitution, entre droits de l'Homme et toutes formes de déviances, entre laïcité et hostilité pour la religion… … Alors que quand on réfléchit un peu, on comprend qu'un homme (ou femme) politique pieux (se) ne nous conduira pas nécessairement au paradis… de même qu'un dirigeant(e) peu porté(e) sur la piété ne nous vaudra pas forcément les feux de l'enfer ! D'un point de vue strictement religieux, seuls nos actes nous garantiraient l'entrée au paradis ou nous jetteraient dans les flammes éternelles de la géhenne, mais en aucun cas les comportements de nos dirigeants politiques, pieux ou non, nous exposeraient à un quelconque jugement divin. De plus, la piété d'un homme (ou femme) politique ne nous assurerait en rien nos droits fondamentaux, politiques, économiques ou sociaux. Non, c'est plutôt la compétence et la connaissance des dossiers par nos responsables qui nous procureraient ces droits. Et donc, en un mot comme en cent, ce qu'on attend d'un gouvernant est qu'il œuvre à assurer une existence décente et digne pour ses administrés. Sa piété le concerne, et notre destinée dans l'au-delà relève de nos vies ici-bas et non de sa religiosité. Ainsi, la laïcité est un système qui nous prémunit contre l'instrumentalisation de la religion en politique, et qui nous garantit nos droits de citoyens, loin de toute considération religieuse. Il n'est pas du ressort de l'Etat ou des dirigeants de contrôler la piété des gens, sauf à vouloir créer le type de société qui est la nôtre aujourd'hui, une société qui ne se préoccupe que des apparences extérieures de la religion mais qui oublie et néglige les valeurs et la morale. Que de gens autour de nous, croyants comme il se doit, pieux comme il faut et pratiquants autant que possible, et qui maltraitent leurs femmes de ménage au bureau ou à la maison au prétexte qu'elles ne sont pas de leur monde, de leurs niveaux ou de leurs milieux ! Que de personnes qui accomplissent tous leurs rites, obligatoires et même facultatifs, mais qui considèrent que leur absentéisme au bureau est tout à fait naturel et justifié ! Examinons de plus près ce qui se produit au sein de notre société… Agressions, crimes, irrespect de la législation, vols, viols, insouciance au travail, négligence de l'administration, saleté, violence familiale, le tout conjugué à sa conséquence, qui est notre peur voire notre frayeur quand on est dans la rue… et comparons tout cela au niveau de présence de la religion dans les discours et les comportements. Conclusion : l'être et le paraître sont plus importants que les valeurs et le respect des lois, des valeurs et des lois supposées pourtant être portées par tous, gens pieux, non-pratiquants et même athées, modernistes ou conservateurs, gens de droite et peuple de gauche… Combien sommes-nous à nous préoccuper sérieusement de ces belles valeurs universelles ? En résumé, la foi et la pratique sont des droits de chacun, ici et ailleurs, et l'Etat se doit de garantir cela à ses administrés, mais la piété ne doit cependant pas devenir une obligation légale et sociale. C'est pour cela que nous avons besoin de la laïcité, un système qui nous assure de nos droits économiques et sociaux, qui nous laisse libre de pratiquer notre religion ou non, un système qui nous garantit nos droits temporels et qui nous respecte en tant que citoyens. Quant à notre relation à l'au-delà, elle ne doit rien aux politiques, mais elle doit tout en revanche à notre existence.