A mesure qu'approche ce mois électoral d'octobre, la température augmente au sein de la classe politique… Cela est normal certes, mais le Maroc a toujours des particularités, et ces élections aussi, du fait qu'elles sont les premières législatives à être organisées par l'équipe Benkirane , premier gouvernement issu de la nouvelle constitution, elle-même ayant donné lieu à la seconde phase du règne, si tant qu'il reste quelque chose de cette phase ! Le panorama est, donc, exceptionnellement houleux, mais sa lecture reste relativement aisée. En effet, le printemps arabe qui a mené le parti institutionnel islamiste aux commandes du gouvernement s'est terminé en un indescriptible chaos, mais au Maroc, et en dépit du fait qu'ailleurs, tous les gouvernements islamistes ont mordu la poussière, l'exécutif a miraculeusement tenu bon. Le chef du gouvernement a brillé de maestria en parcourant un champ de mines, sautant, sautillant et manœuvrant sans jamais en faire exploser aucune. On se souviendra en effet de la sortie tapageuse et mouvementée de l'Istiqlal de la majorité gouvernementale, puis l'accord à contrecœur de Benkirane pour reformer une autre majorité en s'aidant du RNI, et son autre accord de réduire voire suspendre moult de ses attributions constitutionnelles, et aussi cette démarche ayant constitué à faire adopter une batterie de lois fort modestes… On se remémorera aussi son audace à imposer des réformes en vue de réinstaurer les équilibres macro-économiques mais sa pusillanimité à toucher aux domaines politiques et sociaux… On se rappellera l'intelligence politique ayant consisté à prendre à témoin l'opinion publique dans la vaste entreprise d'établissement de la difficile confiance entre le parti islamiste et le palais… Et malgré tout cela, Benkirane a réussi à remporter les élections communales et régionales, à sa propre surprise et celle de ses amis. Il faut dire qu'une grande partie du mérite de cette victoire revient à la faiblesse de ses adversaires politiques d'une part et, d'autre part, à la puissance communicationnelle et théâtrale du discours de Benkirane, doublée d'une grande simplicité dans l'exposé des rouages d'un monde politique connu généralement pour son attitude hautaine à l'égard des populations. Mais cette réalité à la lecture relativement simple, en dehors des arcanes et des coulisses que ne connaissent que les initiés, se complique quand on la relativise ou qu'on la place dans une perspective plus large. En effet, le prix qu'il aura fallu payer pour la stabilité de cette majorité gouvernementale – sans assurance de la part de Benkirane pour qu'elle soit, ou non, une véritable transition démocratique – se décline dans les alliances bancales et leurs acteurs insipides et illogiques, en plus de tous ces scénarios envisageables et envisagés qui se résument dans la réalité politique marocaine dans le fait de ne pas faire ce qu'on dit et de dire ce qu'on ne fera pas. Ainsi par exemple de dire pis que pendre d'un acteur qui, sitôt devenu allié, se voit gratifié de toutes les louanges… ou encore de cette profanation de la mémoire de Winston Churchill et de sa célèbre maxime (dont l'origine revient à Lord Palmerston, NDT)) qui veut qu' « en politique, on n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents, mais seulement des intérêts constants »… ou enfin cette propension à brandir les étendards des grands principes dans des discours enthousiastes avant de faire montre du pragmatisme le plus rude dans les actes concrets. On remarquera que dans ce domaine, tous les intervenants sont égaux, nonobstant les différences affichées entre ceux qui se proclament de la vertu la plus totale et ceux qui sont accusés de tous les maux. Et dans cette cacophonie et ce tumulte, un mot revient souvent… un mot aussi aisé à prononcer que pesant à écouter : le « tahakkoum » (la domination, l'hégémonie, NDT). Ce terme pourrait demeurer relativement simple s'il ne restait accolé qu'à la cible qu'il vise, mais devient subitement plus complexe, bien plus compliqué quand il va ailleurs, reflétant la nature particulièrement embrouillée et ténébreuse de notre réalité politique. En effet, le tahakkoum n'est plus cette grave accusation du PJD prononcée à l'encontre du PAM, mais va au-delà, exprimant les mystères quasi métaphysiques de notre scène politique. Et Abdelilah Benkirane ne se contente plus d'Ilyas el Omari comme punching-ball privilégié, mais il va bien au-delà en évoquant l'existence de deux Etats au Maroc, dont l'un échappe au contrôle du roi, et en parlant aussi de son allégeance au seul Mohammed VI et à personne d'autre… Le chef du gouvernement reprend les termes de la campagne 2011 quand il citait les noms et les organes objets de son ire, mais aujourd'hui, il se suffit d'adresser des messages entendus à qui de droit, prenant l'opinion publique à témoin et l'utilisant comme bouclier. Puis les choses se compliquent encore avec le parti de l'Istiqlal dans sa déclinaison chabatienne, naguère partie du tahakkoum mais aujourd'hui allié putatif, les Istiqlaliens eux-mêmes parlant désormais de tahakkoum et se disant victimes d'attaques venues d'ici et là… oubliant qu'en quittant avec perte et fracas le gouvernement en 2013, ils s'en étaient même plaints au roi, le rangeant dans le camp des chantres du tahakkoum, affublant Benkirane de tous les noms d'oiseaux possibles et (in)imaginables, assurant la main sur le cœur que le gouvernement de ce dernier était le pire qu'eût connu le Maroc… Les Marocains devront se rendre à l'évidence que cette salade mexicaine est unique en son genre et sans précédent, en dépit de toutes les autres salades qu'ils ont eu à déguster, niçoise avec le gouvernement de la transition consensuelle ou César avec le gouvernement Jettou… Aujourd'hui, ce qui conduit la politique marocaine à se rapprocher singulièrement du pavillon 36 des malades mentaux est cette propension à agir dans la déraison et l'irrationalité la plus totale tout en affirmant le plus sérieusement du monde qu'on s'inscrit dans la raison et le « sérieux », ou maâqoul en VO. En effet, tantôt c'est le roi qui fait tout et le gouvernement lui sert d'auxiliaire et de collaborateur et tantôt, Mohammed VI ne contrôle pas un autre Etat qui agit et qui sévit ! Tantôt Ilyas el Omari est le symbole de la perversion et de la corruption, et tantôt les chefs du PJD et le ministre de l'Enseignement supérieur signent avec le même el Omari un programme d'utilisation alternative du kif… On vitupère contre le tahakkoum infestant les arcanes du pouvoir mais on ne le voit pas dans le fauteuil d'à côté en Conseil de gouvernement. Tout cela est le fruit d'une sorte de narcissisme ou d'amour excessif de soi qui ne sied ni à un gouvernement fait de bric et de broc, ni à la constitution qui s'émiette, ni à cette mosaïque mise en place dans le seul but de se maintenir au gouvernement ni même la volonté de triompher du tahakkoum comme alternative meilleure à la victoire sur la corruption et l'absolutisme… car, en effet, le tahakkoum ne concerne qu'un parti ou les relations d'un système avec un autre parti, alors que la corruption est l'affaire de la nation en lutte contre un régime tentaculaire avec lequel le gouvernement de M. Benkirane a décidé de reporter la confrontation aux calendes grecques. Et face à toute cette cacophonie, le PAM reste silencieux ou presque, ne tirant en fait sa puissance et sa présence que du tapage opéré autour de lui et à son sujet par ses adversaires. Et, au final, certains de ceux qui pensent comme moi lâcheront, de guerre lasse : « Comprenne qui pourra ! »…