Au commencement, c'était la constitution et sa consécration de la langue arabe au Maroc (ce qui est un peu normal d'ailleurs...). Puis les litiges ont commencé, basculant en une véritable guerre entre les défenseurs de la langue arabe et ceux qui préconisent l'introduction d'autres langues d'apprentissage au Maroc. Etat des lieux. Tout le monde a en mémoire la proposition de Noureddine Ayouch consistant à accueillir les jeunes élèves dans les premiers cycles d'éducation dans leur langue maternelle, c'est-à-dire le dialectal, la darija. C'est de là que tout était parti, et le point d'orgue de cette bataille avait été la fameuse émission sur 2M, « opposant » Ayouch à l'universitaire Abdallah Laroui. Puis, les choses ayant évolué d'une manière anarchique et conflictuelle, et le système d'enseignement s'étant trouvé dans une impasse, le roi Mohammed VI avait mis en place le Conseil supérieur de l'éducation et de la formation. Cet organisme a été chargé de (re)penser l'éducation nationale dans son ensemble, y compris les langues d'apprentissage. Il a donc produit son rapport, approuvé par le roi Mohammed VI, lequel est revenu sur la question lors de son dernier discours du trône, louant les vertus et mérites des langues étrangères dans le système d'enseignement national. Réécoutons cet extrait du discours du 30 juillet : « Contrairement à ce que prétendent certains, l'ouverture sur les langues et les autres cultures, ne portera aucunement atteinte à l'identité nationale. Bien au contraire, elle contribuera à l'enrichir, d'autant plus que l'identité marocaine est, grâce à Dieu, séculaire et bien enracinée (...). La réforme de l'enseignement doit viser au premier chef à permettre à l'apprenant d'acquérir les connaissances et les habiletés et de maîtriser les langues nationales et étrangères, notamment dans les filières scientifiques et techniques qui ouvrent les portes de l'insertion sociale ». A partir de là, les choses sont plus claires... Oui à l'arabe comme langue nationale. Non à la peur de voir la culture marocaine déracinée si introduction de langues étrangères il y a. Oui à la maîtrise des langues nationales et étrangères dans les filières scientifiques. Et c'est exactement ce qu'a fait le ministre de l'Education nationale Rachid Belmokhtar, avant de se faire rabrouer publiquement par le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane lequel s'est fait recadrer quelques semaines plus tard par le patron du Conseil de l'éducation et conseiller du roi Omar Azzimane. Cela a eu comme résultat l'adresse de Benkirane au 3ème congrès de la Coalition nationale pour la langue arabe. Sans s'y déplacer personnellement, le chef du gouvernement a indiqué que la langue arabe a été consacrée par la constitution et que, à ce titre, elle doit être soutenue et portée pour sa généralisation, tout en assurant la présence des langues étrangères dans un équilibre entre identité et ouverture. C'est la politique du « grand écart » du chef du gouvernement. Il revient sur la question de l'identité pour satisfaire son électorat, et bien que le roi ait minimisé le risque d'atteinte à cette identité en s'ouvrant sur des langues étrangères ; mais il appuie l'introduction des langues étrangères, pour essayer de rester dans le droit sillage de l'esprit du discours royal. Pour sa part, le président de la Coalition, plus libre de ses pensées, est revenu sur cette question d'identité, soutenant massivement la position de Benkirane contre son ministre et critiquant fortement ceux qu'il appelle « les défenseurs du français ». Il est rejoint par le ministre de la Communication Mustapha el Khalfi qui fait un numéro d'équilibriste en défendant la langue arabe comme composante de l'identité nationale, en évitant de s'en prendre aux francophones et en appelant la Haute autorité de la communication audiovisuelle à prendre ses responsabilités en soutenant un usage plus important de l'arabe dans les médias nationaux. Mais c'est le ministre de l'enseignement supérieur Lahcen Daoudi qui aura su le mieux résumer les choses en rappelant que le problème n'est pas dans la langue mais dans le système d'apprentissage dans sa globalité : « Un bachelier ne parle ni l'arabe ni le français, ni aucune langue dans un niveau convenable. Le problème n'est donc pas dans l'apprentissage des langues ou les langues d'apprentissage, mais dans l'apprentissage tout court. Ce débat en cours est un faux problème ».