La question est toujours d'actualité. L'introduction des langues étrangères dans le système éducatif national était à l'ordre du jour d'une réunion de la commission de l'enseignement, tenue ce mardi 8 janvier, à la chambre des représentants. Des échanges houleux ont eu lieu autour du projet de loi-cadre sur l'Education. Un texte pris en étau entre deux courants, un premier qui plaide pour une ouverture sur les langues étrangères, aux côtés des langues officielles du Royaume, et un deuxième, qui défend un ancrage de la langue arabe et amazighe dans les cursus dispensés. Pour y voir plus clair, nous avons recueilli les opinions de Fouad Bouali, président de l'Alliance nationale pour la langue arabe, et celles du politologue Mustapha Shimi. Détails. Adopté en Conseil de gouvernement et en Conseil des ministres, le projet de loi-cadre sur l'Education prévoit expressément l'utilisation des langues étrangères dans les matières techniques et scientifiques à partir du collège. Il est apparu au cours de la discussion de ce texte des convergences entre des parlementaires du PJD et ceux du PAM. Un problème de cohérence politique et de solidarité gouvernementale Soutenus par les députés du PI, les parlementaires du PJD ont invoqué le fait qu'il y avait deux langues consacrées par la constitution de 2011, à savoir l'Arabe et l'Amazighe, et qu'il n y avait pas de place dans le cursus de l'enseignement pour des langues étrangères, abondant dans leur argumentaire qu'il s'agissait d'une question d'identité nationale. Ce à quoi les députés du PAM ont répliqué qu'il ne fallait pas faire d'amalgame entre la question des langues dans l'enseignement et le problème de l'identité nationale, deux registres différents. Ce débat, Mustapha Shimi, y voit un problème de cohérence politique. Le politologue fait ressortir une interrogation majeure : Comment un texte, adopté en conseil de gouvernement, validé et adopté de nouveau en conseil des ministres présidé par SM le roi le 20 août 2018, pourrait-être remis en cause par des députés d'un parti dirigé par le chef de gouvernement? Evoquant un hiatus dans le système éducatif marocain, M.Shimi met le doit sur un système globalement arabisé jusqu'au secondaire, "mais pas arabisé du tout dans le système universitaire post -baccalauréat, notamment dans les facultés de médecines, de pharmacie, de grandes écoles de mines. Notre système livre des bacheliers essentiellement formés en arabe et qui se retrouvent dans un système universitaire, hormis les filières d'éducation religieuse, qui a lui, recours à l'utilisation de la langue française et accessoirement anglaise. Un décalage qui constituerait un facteur de discrimination sociale, selon Mustapha Shimi. « Preuve est faite que ce qui est en débat, est une question de valeur et de projet de société. Nous touchons un débat délicat et complexe dans la mesure où, au-delà de la réforme du système d'enseignement, se pose la question de notre référentiel culturel et idéologique », confie notre interlocuteur, appelant à une adhésion des partis politiques de la majorité et de l'opposition à un projet de société. "La réforme doit prendre en compte, sinon vaine, la question de la place et du rôle des langues étrangères dans le système d'enseignement", conclut-il. Une anarchie linguistique dûe à l'absence d'une stratégie exhaustive Pour sa part,le président de l'Alliance nationale pour la langue arabe pointe un faux débat. Fouad Bouali estime primordial de distinguer entre l'enseignement des langues, et la langue en tant qu'outil d'enseignement. «L'ouverture sur les langues universelles est requise de nos jours. Ceci constitue une porte d'accès de toute société en voie de développement vers le savoir. Cependant, le Français n'est pas la langue la plus parlée dans le monde, et ne peut être le seul canal d'apprentissage», indique-t-il. Si l'on se conforme à l'esprit de la constitution, il est question de renforcer l'enseignement des langues universelles, à savoir l'anglais, le chinois et l'espagnol, poursuit-il, s'interrogeant sur le chemin de la réforme emprunté par le ministère de l'éduction, qui va à l'encontre des dispositions de la constitution et de la vision stratégique de l'éducation et la formation 2015-2030. "Nous sommes en queue de peloton des classements d'éducation. Nous assistons à une anarchie linguistique dûe à l'absence d'une stratégie exhaustive". "Si l'on revient sur la question du point de vue stratégique, la Vision précitée évoque l'enseignement des langues et non l'enseignement à travers les langues. Le département de tutelle ne fait que récidiver l'échec", estime M. Bouali, citant les différents rapports dressés par les Nations Unis depuis des décennies et qui soutiennent l'idée que le développement humain des pays de la région MENA passe d'abord au travers de la langue mère.