L'analyse la plus pertinente des enjeux des élections communales et régionales avait été effectuée par Hamid Chabat lui-même. Le chef de l'Istiqlal avait en effet affirmé lors d'une émission de télévision qu'il n'y aurait aucune signification aux changements intervenus dans la direction de l'Istiqlal – il parle de lui – et au bouleversement intérieur qui s'y est produit, avec ses dizaines de centaines d'associations et d'organismes et ses centaines d'inspecteurs, si le parti ne remportait pas ce scrutin. Chabat avait même lancé sa fameuse phrase qui fait le buzz en ce moment : « Si nous ne sommes pas les premiers, je démissionnerais », ajoutant même « tenez, voilà ma démission, prenez-là dès aujourd'hui ». Le secrétaire général de l'Istiqlal avait bien raison de dire cela car il avait provoqué un séisme au sein de sa formation et supplanté la famille el Fassi, puis il avait ébranlé le gouvernement en le quittant, dans l'espoir de le voir tomber, et il avait failli arriver à ses fins. L'homme avait adopté un comportement de bulldozer duquel il attendait la chute de Benkirane, assommé par KO. Une alliance avait été mise sur pied avec le PAM et l'USFP principalement, et les attaques au mortier lourd avaient commencé. La plus virulente était quand Hamid Chabat avait accusé le chef du gouvernement de « rouler », simultanément, pour Daech et pour le Mossad ! Las… Chabat n'a pas seulement perdu la première place dans ces élections, mais il a été lui-même, personnellement, exposé à une lourde et cuisante défaite dans son fief de Fès, lui qui s'y pensait indétrônable. Et il a été défait par le PJD. Plus grave encore est que plusieurs dirigeants istiqlaliens ont mis un genou à terre, comme Yasmina Baddou et Karim Ghellab. Et donc, on peut affirmer que dans ces élections, l'Istiqlal n'a pas été seulement le plus grand perdant, mais qu'il est aujourd'hui confronté à une rude et dure réalité qui est le début de la fin du chabatisme comme technique de pouvoir, ayant jusque-là toujours réussi à abattre ses ennemis, tous ses ennemis, par KO… jusqu'à ce que cela se retourne contre lui-même ce 4 septembre, et de cette façon particulièrement spectaculaire. Quant à l'USFP, ou ce qu'il en reste, elle prévoyait sa défaite, avant même le jour de l'élection, et les raisons sont connues, en plus des choix surréalistes de Driss Lachgar qui s'était transformé de plus grand contempteur du PAM en ministre avec le soutien du … PAM, en 2009. Puis le Premier secrétaire socialiste avait mené sa guerre contre le défunt Zaïdi, avant d'endosser les techniques chabatiennes d'opposition, saupoudrées de PAMisme. Le PAM, pour sa part, est aussi bien le gagnant que le perdant de cette élection. Il est ainsi le premier en termes de sièges obtenus dans des élections crédibles, sans commune mesure avec cette farce appelée scrutin communal de 2009, où il était déjà arrivé premier, quelques mois seulement après sa création. Mais, par ailleurs, il est le perdant d'un point de vue moral et politique en s'inclinant dans deux grandes villes fort symboliques comme Tanger et Marrakech. Et puis encore, le PAM n'a pas su s'imposer dans les régions, qui étaient l'autre véritable enjeu de cette élection. Au final, le PAM n'a ni su ni pu prendre le meilleur sur le PJD, sachant pourtant que c'était pour cela qu'il avait été créé, c'est-à-dire pour endiguer le flot islamiste. C'est pour toutes ces raisons que le fait d'être en pole position ne signifie en rien être victorieux car si le second rang est en soi une cuisante défaite pour l'Istiqlal, le premier est une sorte de désillusion pour le PAM, et le troisième n'empêche en rien que le PJD ait connu une très grande avancée. Tous les observateurs ainsi que toutes les personnes qui se sont intéressées à ce scrutin ont conféré aux concepts d'opposition et de majorité une dimension nationale dans un scrutin pourtant local et régional. Et le vote sanction qui s'est produit a visé en premier lieu l'opposition. De fait, et en dépit des décisions hautement impopulaires que Benkirane a dû prendre à sa fonction actuelle, les électeurs ont massivement voté pour le PJD. Dans ses rêves les plus doux, le chef du gouvernement n'aurait pu entrevoir une victoire aussi nette dans les villes de Casablanca, Rabat, Fès, Tanger, Tétouan, Agadir, Kenitra et Marrakech. De même qu'il n'aurait pu ne serait-ce que penser à enlever tel que son parti l'a fait 5 régions sur 12. Si l'on mesure le poids et la portée économique de ces villes et régions, alors la fable de la première place du PAM n'est qu'une douce plaisanterie. Sur un plan géopolitique, le printemps arabe s'est transformé en automne. Les islamistes ont reflué, partout, plus ou moins en désordre. Aujourd'hui, seul le PJD marocain résiste… et, mieux encore, il a triomphé dans ces élections, 4 ans après sa première victoire en 2011. Et c'est cela, la vraie « exception marocaine » ! Les plus grands et meilleurs alliés de Benkirane ont été précisément ses adversaires de l'opposition, qui continuent de dire et de redire que le principal défaut du PJD est de mêler la religion à la politique. Ces gens devraient faire une lecture sociologique du vote afin de comprendre le vote PJD : le parti de Benkirane l'a emporté dans les zones où vit la classe moyenne du pays, et même les gens riches, à Agdal, Guéliz, Anfa… Les électeurs n'ont pas voté religion, mais ils ont sanctionné cet aspect de la modernité porté par une opposition qui n'a pas su y faire et qui n'a présenté aucune alternative. Si les choses continuent ainsi, alors attendons-nous à une reconduction de la majorité actuelle le soir du scrutin législatif de 2016.