Le débat sur l'avortement n'a pas encore été concluant, mais on peut dire que le Maroc y a fait un grand pas en avant… Voici quelques jours, le roi Mohammed VI a reçu les ministres de la Justice et des Affaires islamiques, puis le président du Conseil national des droits de l'Homme, et il a demandé à ces trois responsables de lui soumettre, dans le délai d'un mois, leurs propositions et suggestions en vue d'amender les textes législatifs concernant l'avortement. La fixation d'un délai est importante car il permet d'éviter de nous projeter dans une attente indéfinie, comme pour bien d'autres dossiers. Et puis voilà que le cheikh Raïssouni est venu nous dire qu'il serait opportun d'avorter les avorteurs, mais que bien malheureusement la science ne nous permet pas de les identifier quand ils sont encore à l'état de fœtus. Cet homme d'une telle infinie délicatesse réclame donc d'avorter ceux qui ne partagent pas ses vues et ses idées. Une nouvelle forme de nazisme ? Fort bien, passons… Raïssouni n'a fait que dire haut et fort ce que bien d'autres pensent tout bas, ceux qui ignorent ce que signifie le droit à la différence dans les projets sociétaux et les conceptions de la société. Les armes de ces gens-là ? L'excommunication et le meurtre… Tous ceux qui estiment que la réglementation de l'avortement ouvrirait la voie à la multiplication de relations sexuelles débridées suscitent ma pitié. Cela reviendrait à dire que trouver le remède du cancer, par exemple, conduirait les gens à ne plus le craindre, puisque le vaccin serait là. Il y a là une certaine forme de bêtise, et aussi d'abêtissement des populations. Je l'ai déjà dit à une précédente occasion, et je le redis encore aujourd'hui : il n'existe pas une seule femme au monde qui envisage avec plaisir et sérénité d'avorter, tant la charge morale et psychologique d'une telle décision est lourde. Mais, dans plusieurs cas, l'interruption de grossesse est la seule solution, pour la mère et aussi pour l'enfant à naître. Il y a donc les stéréotypes dont nous nous rengorgeons, et puis il y aussi les chiffres et la réalité sociale dont nous devons sérieusement tenir compte. En effet, que nous le voulions ou pas, nous ne sommes pas dans une cité vertueuse et idéale… Nous avons les viols, parfois, souvent, incestueux ; comment pouvons-nous demander à une femme violée par un proche parent, un père, un frère, de garder le fruit de cette agression ?... mais il y a aussi ces femmes ayant eu une relation sexuelle consentie, qui a donné lieu à une grossesse non désirée. Si la future mère décide de garder son enfant, nous ne pouvons que respecter sa décision, et la plupart des associations d'aides aux femmes célibataires – Solidarité féminine, Insaf… – encouragent ces dernières dans ce sens. Mais si cette même dame décide que, pour des raisons qui lui appartiennent, de ne pas garder cet enfant, alors là aussi nous devons nous incliner face à sa décision et l'admettre. Il est du droit de chaque femme de décider si elle veut un enfant, et quand, surtout quand elle vit au sein d'une société qui lui fait supporter, à elle et à elle seule, la responsabilité de cette grossesse qu'elle partage, il faut le dire, avec l'homme, son partenaire. Assez de contradictions, donc ! Dans cette société, nous avons des gens qui comprennent qu'un frère puisse tuer sa sœur pour préserver l'honneur de la famille, bien que ces « crimes d'honneur » soient en nombre relativement limité au Maroc, et ces mêmes gens affirment que l'avortement est un meurtre. Deux poids, deux mesures… Tuer pour sauver l'honneur serait admis et avorter d'un enfant pas encore né ne le serait donc pas ? Et puis, notons également que les contempteurs les plus virulents de l'avortement sont les mêmes qui réclament le maintien de la peine de mort… encore deux poids, deux mesures, encore et toujours la contradiction. Ahmed Khamlichi, le directeur de Dar al-Hadith al Hassani, a fait montre d'un courage peu commun lorsqu'il a déclaré – précisant que c'était en son nom propre et non en celui de l'institution qu'il dirige – que le plus important est l'enfant né, son identité et sa vie, et non quand il en est encore au stade embryonnaire (la vidéo est mise en ligne sur le site d'ahdath.info). Or, nous savons tous ce qui attend un enfant naturel, dans le cadre de notre législation et de notre réalité sociale. Assez donc de tous ces clichés mensongers et abusifs qui s'appuient sur des slogans éculés. La réalité que nous vivons, et que nous voulons ignorer, est que nous avons des dizaines de cas d'avortement chaque jour dans ce pays. La réalité est que nous avons des centaines de ces enfants abandonnés qui sillonnent nos rues et emplissent nos différents hospices et centres d'accueil. La vérité est que nous avons des centaines d'enfants des rues que la société ignore et dont l'Etat ne prend pas la mesure. La sincérité voudrait que nous admettions que les relations sexuelles en dehors du mariage existent dans notre société, que nous le voulions ou pas, que nous l'admettions ou non. Beaucoup sont des viols, l'écrasante majorité ne l'est pas. Le roi Mohammed VI a entrepris une action que la plupart de nos politiques (dans les partis et au sein du gouvernement) n'ont pas le courage d'assumer : reconnaître les mutations de la société et réfléchir aux solutions adéquates. Les slogans sont faciles, désespérément inutiles, mais regarder la réalité en face est chose bien moins aisée. C'est pour cela, et c'est parce que je suis une femme, parce que je pense que la femme a le droit de disposer de son corps et que la maternité doit être un choix librement effectué tant il comporte de responsabilité… c'est pour cela, donc, que je dis : Merci, Majesté.