Peu après l'annonce de la grâce de Hajar Raïssouni, les associatifs solidaires avec la journaliste ont exprimé leur soulagement. Toujours est-il que pour une partie d'entre eux, cette libération au goût de victoire ne doit pas faire perdre de vue les débats sur la réforme du code pénal et son adéquation avec l'évolution sociétale. En fin d'après-midi, ce mercredi, Hajar Raïssouni a bénéficié d'une grâce royale exceptionnelle, qui a profité également à son fiancé, à son gynécologue et à l'équipe médicale. Condamnée en première instance à un an de prison ferme pour «débauche et avortement illégal», la journaliste d'Akhbar Al Yaoum peut ainsi retrouver ses proches. Parmi ses avocats, Me Mohamed Sadkou déclare à Yabiladi que «cette initiative a permis de corriger une erreur de la justice ; c'est un aveu que la jeune femme n'a commis aucun des faits lui étant reprochés, comme elle l'a soutenu depuis le début des poursuites». Fait rare, cette décision intervient alors que la défense de Hajar Raïssouni a déjà interjeté appel et que le procès dans ce cadre est toujours en cours. «Maintenant qu'elle retrouvera sa liberté, ce sera à elle de décider quelles prochaines démarches elle mènera si éventuellement elle le souhaite», nous explique Mohamed Sadkou. Concernant sa lecture de la libération de la journaliste par grâce royale et non pas par le processus institutionnel de la justice, l'avocat considère que «la grâce est prévue par le législateur dans le cadre de l'exercice des prérogatives constitutionnelles du roi». Plus que cela, «c'est un message pour les différentes parties concernées afin de cesser l'activation de dossiers similaires liés au droit à la vie privée et à la protection de la dignité des personnes», soutient Me Sadkou. Une des premières militantes féministes à avoir commenté les poursuites au début du procès, Souad Ettaoussi se félicite de cet épilogue. «Quel que soit la manière dont la libération s'est faite, l'important pour moi est que cette jeune femme sorte de prison», affirme-t-elle. Quant à l'annonce de la nouvelle, l'associative y voit «une forme d'aveu que Hajar Raïssouni et Rifâat Al-Amin étaient bel et bien fiancés, ce qui ramène aux termes du Code de la famille concernant les relations et les grossesses en situation de fiançailles, instituant le principe du respect de la vie privée». «Cette forme de relations est reconnue par ce texte mais pas par le Code pénal, ce qui constitue une antinomie flagrante profitant à un ordre moral archaïque et oppresseur à combattre encore», souligne Souad Ettaoussi. La libération de Hajar Raïssouni ne signe pas la fin du débat «La présence de lois dans le Code pénal portant atteinte à la vie privée est une violation flagrante des principes onusiens adoptés par le Maroc, en termes de droits économiques, sociaux et culturels ; notre pays a le devoir d'accélérer les réformes législatives pour se tenir au respect de ces droits ainsi qu'aux libertés individuelles», explique Mohamed Sadkou, rappelant que si Hajar Raïssouni est désormais libre, ces lois existent toujours. «Si le Maroc a signé et ratifié des conventions internationales qui ont la primauté, comme la CEDEF, le changement des lois est un impératif et le Code pénal doit lui aussi les accompagner», enchaîne Souad Ettaoussi. Le sociologue et acteur associatif Mehdi Alioua se réjouït également de la libération de Hajar Raïssouni. En revanche, il considère que le revers de la médaille est que la grâce royale constitue une forme de cercle où «c'est l'arbitrage royal qui débloque des situations d'injustice et non pas un fonctionnement normal des institutions». «Une société ne fonctionne pas seulement dans un système politique, mais également dans les interactions quotidiennes qui font ce système-là, lequel devient archaïque», constate-t-il. «Dans l'affaire Hajar Raïssouni, cela s'est incarné en une suite de violences du pouvoir jusqu'à l'ultime, c'est-à-dire forcer une femme à écarter les cuisses pour un examen médical qu'elle a vécu comme un viol. C'est une situation qui échappe à la raison de l'Etat, du citoyen, qu'il est donc difficile de soutenir.» Mehdi Alioua Par ailleurs, Mehdi Alioua «ne pense pas que la dynamique de débats sur le droit à la vie privée et aux libertés individuelles, accélérée par ce procès, s'essoufflerait dans un avenir proche car elle va au-delà de cette affaire». «Dans ce contexte, je vois en la grâce royale un signe d'encouragement car nous avons besoin d'un moratoire, le temps du débat. On ne peut pas imposer éternellement des mœurs dont les Marocains ne veulent plus, toujours est-il qu'il faut expliquer à ces derniers que leurs façons de vivre ont évolué et que le cadre légal ne les accompagne pas pour le moment», considère le signataire du manifeste des 490. «Nous devons avoir un débat sur toutes les libertés individuelles et pas uniquement celles liées aux droits sexuels», souligne Mehdi Alioua. Pour lui, il s'agit plus globalement du «droit à la vie privée, aux différentes formes de violation de droits humains dans ce cadre, notamment la répression d'opposants, de journalistes ou d'acteurs associatifs». Ainsi, Mehdi Alioua estime que «le rôle de la police n'est pas de mettre ces gens-là en prison mais de gérer pacifiquement les différences et les oppositions, afin de continuer le débat dans un cadre sain». «Lorsqu'on est tyrannisé, on n'est pas libéré et quand on n'est pas libéré, on ne peut participer à améliorer son pays», affirme-t-il. Réuni cet après-midi au siège de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), un comité de soutien à Hajar Raïssouni a d'ailleurs indiqué que cette libération salutaire doit être une occasion pour «mettre fin à l'exploitation politique et sécuritaire des dispositions pénales restrictives sur les libertés individuelles pour resserrer l'étau sur les libertés publiques, tel un moyen de restriction sur les activités des journalistes et des associations». Par ailleurs, le comité exige réparation pour Hajar Raïssouni et dit continuer à suivre les développements de son affaire et cas similaires, tout en appelant à un changement de ces dispositions légales. De son côté, Mehdi Alioua rappelle que «chaque année, près de 17 000 personnes sont poursuivies pour homosexualité, adultère, relation hors-mariage consentie ou tentative d'avortement». En d'autres termes, «cela veut dire que 17 000 vies sont brisées annuellement à cause de lois sur les mœurs, qui font perdre au policiers d'interminables heures d'investigation sur l'intimité des personnes». «Nous devons mettre fin à ces pratiques pour nous concentrer sur l'essentiel», conclut le sociologue. Article modifié le 2019/10/16 à 22h47