Dans son dernier rapport économique consacré à la région MENA, publié en avril 2025, la Banque mondiale alerte sur une réalité préoccupante : 83 % des entreprises marocaines opèrent dans l'informalité. Ce chiffre, l'un des plus élevés de la région, illustre l'ampleur des défis structurels qui freinent la pleine expression du potentiel économique du royaume. Alors que le secteur privé est censé être un moteur essentiel de croissance, d'innovation et de création d'emplois, au Maroc, il demeure plombé par une fragmentation profonde entre un petit noyau d'entreprises formelles dynamiques et une majorité d'acteurs économiques échappant aux règles fiscales, sociales et réglementaires. Cette situation, selon la Banque mondiale, limite gravement la productivité globale et freine la capacité du pays à générer une croissance inclusive et durable. Le rapport Shifting Gears: The Private Sector as an Engine of Growth in the Middle East and North Africa souligne que, dans l'ensemble de la région MENA, l'informalité reste élevée, mais le cas marocain apparaît particulièrement marquant. À titre de comparaison, environ 40 % des entreprises au Liban et 50 % en Jordanie évoluent également en dehors du cadre formel, des niveaux déjà jugés préoccupants. Pourtant, avec plus de huit entreprises sur dix opérant sans enregistrement officiel, le Maroc se situe au sommet de cette tendance régionale. Lire aussi : Diplomatie parlementaire marocaine en action aux Assemblées de Printemps de la Banque mondiale et du FMI à Washington Au-delà du simple constat, la Banque mondiale met en évidence les conséquences de cette informalité massive : des niveaux d'investissement et d'innovation très inférieurs à ceux observés dans les pays à revenu similaire, une sous-utilisation marquée du capital humain, et une vulnérabilité accrue face aux chocs économiques et climatiques. Dans les économies avancées, les entreprises informelles représentent une frange marginale ; au Maroc, elles constituent la norme. Paradoxalement, cette dynamique s'observe malgré des progrès notables dans le développement du capital humain. Avec un taux moyen d'achèvement du cycle secondaire inférieur à 70 %, le Maroc dispose d'une jeunesse relativement instruite, mais qui peine à trouver sa place dans un tissu économique fragmenté, où les perspectives d'emplois formels restent limitées. Le rapport note également que, contrairement à d'autres économies de la région comme la Tunisie, où les entreprises les plus productives réussissent à accroître leur part de marché, au Maroc, les firmes les plus performantes ne parviennent pas à dominer leur secteur. Ce manque de « sélection naturelle » économique traduit une faiblesse de la dynamique concurrentielle, elle-même aggravée par la forte présence d'entreprises publiques et un environnement des affaires encore contraignant. La Banque mondiale plaide ainsi pour une profonde refonte des politiques publiques. Parmi les priorités : promouvoir la concurrence, améliorer l'accès au financement, simplifier les procédures administratives et réduire l'écart de traitement entre entreprises publiques et privées. Le rapport insiste également sur la nécessité d'adopter des politiques industrielles plus sélectives, guidées par des données fiables et soumises à une évaluation régulière. Au Maroc, les défis liés à l'informalité s'articulent étroitement avec une participation féminine au marché du travail particulièrement faible, un autre facteur structurel qui freine la croissance. Dans l'ensemble de la région MENA, les femmes représentent seulement 18 % de la population active, contre 49 % à l'échelle mondiale. Le Maroc ne fait pas exception, malgré quelques progrès récents. Pourtant, selon la Banque mondiale, réduire l'écart de genre sur le marché du travail pourrait accroître de 50 % le revenu par habitant dans un pays moyen de la région. Face à ces constats, le Maroc se trouve à la croisée des chemins. La modernisation de son tissu économique ne pourra se faire sans une stratégie volontariste d'intégration progressive du secteur informel, qui représente aujourd'hui une source d'emplois mais aussi un frein à la montée en gamme de son économie. L'amélioration des pratiques de gestion dans les entreprises, l'appui à l'entrepreneuriat féminin et la promotion d'une concurrence saine apparaissent comme autant de leviers pour libérer l'énergie créatrice du secteur privé marocain. Alors que le royaume ambitionne de rejoindre le cercle des économies émergentes les plus dynamiques, le poids massif de l'informalité constitue un obstacle majeur qu'il lui faudra impérativement surmonter. Dans cette perspective, la Banque mondiale appelle à des réformes courageuses, car seul un secteur privé plus formel, plus compétitif et plus inclusif permettra au Maroc de réaliser pleinement ses ambitions de développement.