La poussée fulgurante des partis de l'extrême-droite en Europe n'aura finalement pas chamboulé les grands équilibres au Parlement européen. La coalition des trois grandes familles politiques au sein de laquelle se forgent les compromis dans l'hémicycle et qui donnent le tempo au sein des institutions européennes devrait rester au gouvernail. Sauf coup de théâtre, la présidente sortante de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, devrait rempiler pour un nouveau mandat de cinq ans. L'on imagine mal qui pourrait ravir à la cheffe de l'Exécutif son fauteuil au 13è étage du Berlaymont, elle qui sort auréolée de la victoire de son Parti Politique Européen (PPE), qui a conforté son statut de premier groupe politique européen, avec 185 sièges (sur 720), suivi de ses partenaires de coalition, les Sociaux-démocrates (S&D, 137) et les libéraux de Renew (79). Trois courants politiques avec des fortunes diverses, certes, mais, ensemble, n'auront pas de mal à rester aux commandes. Selon l'usage, le chef de file du parti arrivé en tête des élections au niveau européen a le droit de revendiquer la présidence de l'exécutif. Ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-Sept, réunis au sein du Conseil européen, qui doivent proposer un candidat aux députés européens. Un sommet est en effet prévu les 27 et 28 juin à Bruxelles, après une première rencontre informelle le 17 juin. Le moment peut-être de s'accorder sur des noms pour les ''top jobs'' européens (chefs de la Commission, du Parlement, du Conseil et de la diplomatie). Ou pas. Car, la répartition des postes clés du leadership européen n'est jamais une sinécure. Le (ou la) futur(e) président(e) de la Commission européenne a, en effet, besoin d'un double feu vert. D'abord, une majorité qualifiée des 27 Etats membres, c'est-à-dire un vote favorable de 55% des Etats membres, représentant au moins 65% de la population de l'UE. Von der Leyen peut compter au moins sur les douze membres du Conseil européen appartenant au PPE. Puis une majorité simple des 720 eurodéputés qui siégeront à partir de juillet, soit au moins 361 voix. La première séance plénière de l'actuel hémicycle est prévue du 16 au 19 juillet. La constitution des différents groupes politiques a déjà commencé lundi 10 juin, les partis politiques ayant officiellement jusqu'au 15 juillet pour les former. Lire aussi : Elections européennes : Von der Leyen promet de construire « un rempart » contre les extrêmes Numériquement, Mme Von Der Leyen n'aura pas de mal à obtenir une majorité confortable au Parlement. Sa coalition PPE-S&D-Renew totalise 401 sièges, selon les résultats encore provisoires. Mais, certains observateurs attirent l'attention sur de possibles défections au sein même de sa famille politique. Les Républicains (LR) en France, au bord de l'implosion après l'annonce par leur président d'une alliance avec le Rassemblement national (extrême-droite), ont déjà annoncé qu'ils ne voteraient pas pour la présidente de la Commission sortante. Les Socialises, eux, pourraient sortir leur veto, en cas d'ouverture du PPE sur le groupe d'extrême-droite ECR (Conservateurs et Réformistes européens). À ce stade, le parti de Mme Von der leyen (centre-droit) jure fidélité à ses deux partenaires de la coalition sortante. ''Il reste une majorité au centre pour une Europe forte et c'est crucial pour la stabilité'', a-t-elle plaidé, dès l'annonce des résultats, confirmant vouloir s'allier aux S&D et Renew, mais aussi à ''tous ceux qui sont pro-européens, pro-Ukraine et pro-Etat de droit''. Elle n'a dans cette logique pas fermé la porte à l'élargissement de la coalition, pour y inclure notamment les Verts, qui se sont dits ''prêts à soutenir une majorité composée du PPE, des sociaux-démocrates et de Renew pour garantir l'avenir du Pacte vert européen''. « Vous aurez peut-être une majorité à vous trois, mais si vous cherchez la stabilité pour élaborer des mesures de politiques responsables pour les cinq prochaines années, intégrer les valeurs de l'extrême droite ne peut être une option. Malgré nos résultats décevants, nous, Verts/ALE, sommes tout à fait prêts à assumer nos responsabilités », a lancé le co-président du groupe des Verts au Parlement européen, Philippe Lamberts. Dans les jours qui ont suivi l'annonce des résultats, ni les Sociaux-démocrates, ni Renew n'ont émis de réserves ou posé des conditions insurmontables pour la reconduction de l'alliance avec les conservateurs du PPE. Le chef de file des S&D, Nicolas Schmit, s'est dit ''disposé à négocier avec toutes les forces démocratiques''. ''Nous réclamons un accord pour une Europe plus forte, plus démocratique, plus sociale, économiquement forte, mais aussi plus sûre'', a dit le commissaire européen sortant. Chez Renew, qui a subi un sérieux revers lors des élections européennes du 9 juin, perdant une vingtaine de voix au sein du Parlement européen, l'heure est plutôt au pragmatisme. Les libéraux veulent être ''dans le poste de pilotage d'une nouvelle coalition pro-européenne, avec l'objectif de moderniser et de réformer l'Union, si nos ambitions sont rencontrées par d'autres pro-européens'', a déclaré la présidente du groupe, Valérie Hayer. Toutefois, l'arithmétique ne fait pas tout. Au-delà d'une majorité numérique au Parlement, la ligne politique de l'Europe est surtout dictée par les capitales. L'affaiblissement du ''moteur'' franco-allemand interpelle à plus d'un titre. Le poids économique et démographique de la France et de l'Allemagne rend les deux capitales incontournables dans l'UE, mais le contexte politique n'est pas favorable aux deux dirigeants. En Allemagne, la coalition socialistes-verts-libéraux du chancelier Olaf Scholz a perdu des plumes. Les sociaux-démocrates sont arrivés derrière les conservateurs et l'extrême droite. En France, les résultats historiques du Rassemblement national ont ''contraint'' le président Emmanuel Macron à dissoudre l'Assemblée nationale et à convoquer des élections législatives anticipées. L'hypothèse d'une cohabitation avec le Rassemblement national tient en haleine l'Union européenne. Le soutien énergique de Macron à Ursula Von der Leyen ne semble plus le même, dans le contexte des législatives cruciales pour la suite du mandat du président français. S'il s'était imposé en 2019 comme le ''faiseur de roi'', en appuyant le nom d'Ursula Von der Leyen à la présidence de la Commission européenne et obtenant la présidence de la Banque centrale européenne pour la France, M. Macron sera, en cas de cohabitation avec un Premier ministre du RN, moins en position d'imposer cet agenda là à ses partenaires européens. Les élections législatives françaises de juin-juillet pourraient même repousser l'approbation des leaders des institutions européennes au mois de septembre. Un fastidieux travail de jeu d'équilibristes a déjà commencé aussi bien dans les couloirs du Parlement européen que dans les capitales européennes. Certains profils commencent à circuler. Les pistes mènent, entre autres, à l'ancien Premier ministre portugais Antonio Costa (S&D), pour succéder à Charles Michel au Conseil européen, à Roberta Metsola (PPE), pour deux ans et demi de plus au perchoir du Parlement et enfin à la Première ministre estonienne, Kaja Kallas (Renew), comme nouvelle cheffe de la diplomatie européenne.