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Vague d'arrestations en Tunisie : Le pouvoir chasse les comploteurs ou des opposants ?
Publié dans Maroc Diplomatique le 17 - 02 - 2023

La vague d'arrestations d'hommes politiques, de figures de l'opposition, d'activistes de la société civile, de responsables de médias et de syndicalistes, déclenchée le week-end dernier, ne risque pas de s'arrêter de sitôt.
La liste des personnes arrêtées ne fait que s'allonger et chaque jour apporte son lot d'arrestations qui se font selon un mode opératoire, d'après les observateurs, fait de traque, d'arrestation et de perquisitions dans les domiciles des personnes ciblées par cette opération « coup de balais ».
Cette opération, coup de poing, contre tous ceux qui ont déclaré leur opposition au projet de la gouvernance par la base défendu par le président Kais Saied, soutiennent ces observateurs de la scène politique tunisienne, a pour objectif de « semer la peur ».
Désarçonner une opposition qui ne fait que se renforcer au fil des jours, malgré son extrême division et son affaiblissement, parvenant à faire entendre sa voie et à mobiliser les foules, de plus en plus, touchées de plain-pied dans leur pouvoir d'achat, par la pénurie continue des produits de première nécessité et l'absence de perspectives sur l'avenir du pays.
Après des élections législatives marquées par un taux d'abstention qui a flirté 90%, cette vague d'arrestations sans précédent, ajoutent les mêmes observateurs, se veut un moyen choisi par les autorités, pour détourner l'attention de l'opinion publique.
A rappeler que depuis samedi 11 février 2023, la Tunisie a enregistré une accélération de la vague des arrestations de figures venant d'horizon divers et qui sont toutes accusées par le chef de l'Etat en personne « de complot contre la sécurité de l'Etat ».
En effet, le 11 février, les forces de sécurité ont appréhendé à Tunis, Khayam Turki, un militant politique impliqué dans des tentatives de fédération d'une opposition éclatée.
Il en est de même pour Kamel Eltaïef, homme de l'ombre mais très introduit dans les milieux politiques. Il est perçu comme l'un des symboles de la corruption dans le pays.
Le même jour, Abdelhamid Jelassi, un ancien dirigeant du parti Ennahda (islamiste) connaît le même sort. Deux jours plus tard, Béchir Akremi, ancien procureur de la République (2016-2020), très controversé pour sa gestion de dossiers relatifs au terrorisme, a été interpelé et placé en garde à vue. Il a été procédé, en outre, à l'incarcération de Noureddine Bhiri, ancien ministre de la justice (2011-2013) et ancien député d'Ennahda.
Le soir du même jour, Noureddine Boutar, directeur général de la radio privée « Mosaïque FM », ainsi que l'avocat et homme politique Lazhar Akremi, ont été incarcérés et leurs demeures perquisitionnées.
Enfin, le 14 février, un ancien député Walid Jalled (Nidaa Tounes) s'ajoute à la liste des personnes arrêtées.
Fait étonnant : les magistrats chargés des dossiers n'avaient toujours pas fait connaître les chefs d'inculpation retenus contre ces différentes personnalités et les avocats des personnalités arrêtées se sont empressés de parler de dossiers vides et d'incarcérations abusives.
L'avocat de Khayam Turki, Me Ghazi Chaouchi, a déclaré qu'il s'agit « d'une tempête dans un verre d'eau, soutenant, que ces arrestations visent à terroriser les opposants, à semer la peur.
Face au mutisme du pouvoir judiciaire, le président Saïed n'a pas omis de divulguer les raisons ayant motivé ces arrestations en déclarant que « l'affaire n'a rien à voir avec les droits et les libertés comme ils le prétendent ».
« Nous ne pouvons laisser quelqu'un comploter contre l'Etat parce qu'il vise l'Etat. C'est leur objectif. Certains parlent de droits de de libertés, avez-vous déjà vu, dans n'importe quel pays du monde, quelqu'un qui commande l'assassinat du président de la République... ? », se demande-t-il.
Après le moment de surprise et de stupeur, l'opposition a repris le poil de la bête dénonçant « des règlements de compte politiques ».
Quant aux sympathisants du président, ils voient dans ces arrestations une lutte contre la corruption, y compris dans le domaine de la justice.
Le président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH), Bassem Trifi, estime que les propos du chef de l'Etat torpillent la présomption d'innocence et les bases d'un procès équitable et portent atteinte à la liberté d'expression et aux médias indépendants.
Il considère que la présidence a rendu des jugements définitifs et incontestables, sans attendre les résultats des recherches et de l'enquête ainsi que les verdicts judiciaires en déclarant que les interpellés sont des « criminels » et des « terroristes ».
Pour sa part, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Volker Türk, a exprimé sa « préoccupation face à l'aggravation de la répression contre ceux qui sont perçus comme des opposants politiques et [des membres] de la société civile, notamment par l'intermédiaire de mesures prises par les autorités, qui continuent de saper l'indépendance du pouvoir judiciaire ».
L'ordre des avocats, quant à lui, a demandé des explications sur cette vague d'arrestation qu'il juge « illégale » et vise « à liquider les opposants politiques ».
Par ailleurs, l'ONG « Reporters sans Frontières » déplore « l'arrestation du directeur de Radio Mosaïque FM, sans mandat d'arrêt ni raison officielle, son interrogatoire qui a porté sur ses choix éditoriaux », soulignant qu'elle est tout aussi « inacceptable que tristement révélateur de la répression qui s'abat sur la presse en Tunisie ».
Le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Yassine Jelassi, a déclaré que l'arrestation du directeur général de la Radio privée « Mosaique FM » dénote d'une volonté, du pouvoir en place, de « museler les médias et de faire taire toutes les voix ».
Face à la levée de boucliers, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar a qualifié de « hâtives », « impertinentes » et « inexactes » les déclarations de « certaines parties étrangères » sur les récentes arrestations.
Les récentes arrestations interviennent sur fond de « graves affaires » touchant à « la sûreté de l'Etat » et n'ont aucun lien avec l'activisme politique ou des droits de l'Homme », explique-t-il.
Dans l'attente, tout le monde se demande comment cette vague va s'arrêter et quel sort sera réservé à ces personnes arrêtées?


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