Au moment où la ministre des Affaires étrangères française Catherine Colonna décollait de Rabat, le ministre Gérald Darmanin atterrissait à Alger. « La France et l'Algérie ont ouvert une nouvelle page de leurs relations. À la demande d'Emmanuel Macron, je me suis rendu à Alger afin d'évoquer avec mon homologue et le Président Tebboune la coopération de nos deux pays dans les domaines migratoire et de la sécurité. » dira le ministre dans sa déclaration. Sauf que cette fois-ci, le ministre de l'Intérieur est accompagné juste de sa femme et non d'une délégation de ministres ! « Nous avons eu un échange extrêmement important parce que ça a permis à la France de continuer à montrer sa volonté de coopération en termes de sécurité, coopération aussi en termes des échanges entre les deux pays. D'ailleurs, depuis lundi dernier, nous avons repris une relation consulaire normale... ». En dépit du bon sens, la déclaration de Darmanin nous rappelle le début de celle de Catherine Colonna, lors de la conférence donnée avec son homologue Nasser Bourita devant les journalistes. « Je voudrais devant vous mentionner un sujet qui nous a occupés ces derniers mois. Sachez que nous avons pris des mesures avec nos partenaires marocains pour la reprise d'une activité consulaire normale pour restaurer une relation consulaire complète entre nos deux pays ». A voir de près, Macron balance certainement d'un pied sur l'autre sans vraiment trouver un équilibre à ses acrobaties. Peur de fâcher le Président Tebboune et peur de perdre le Maroc, il essaie donc de jouer au funambule. Sauf que c'est vraiment ne pas connaître la monarchie ni la diplomatie marocaine qui est une autre paire de manches. Envoyer Colonna pour essayer de réchauffer les liens avec le Maroc et de l'autre Darmanin en Algérie avec le même discours, est un jeu d'intérêt puéril. Faire table rase pour construire La ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna est arrivée le 15 décembre à Rabat pour préparer la visite d'Etat d'Emmanuel Macron, prévue début 2023. Et c'est lors d'une conférence de presse conjointe avec Nasser Bourita que la ministre annonce : « Nous sommes déterminés à écrire une nouvelle page ensemble, où nous avons besoin l'un de l'autre ». C'est bien dit, toutefois pour cela il faut bien tirer au clair l'origine de toutes les crispations qui règnent depuis quelque temps. Force est de constater que le ministre Nasser Bourita laissait parler beaucoup plus Mme Colonna(un peu déstabilisée ?). Signe de galanterie ? Certainement pas puisque dans la diplomatie, il y a d'autres considérations et surtout des codes à déchiffrer. Et c'est Colonna qui va annoncer la volonté commune de se projeter vers l'avenir, tout en mettant en valeur de très fortes convergences entre les deux pays. Pour la ministre « le Maroc est un grand pays, un pays ami et un partenaire d'exception. Un pays avec lequel on a tissé au fil des siècles une relation d'une densité et d'une qualité exceptionnelle. Je crois même qu'entre Français et Marocains, il y a quelque chose de singulier, d'unique. C'est une relation qui ne se compare à aucune autre ». Or du côté de M. Darmanin, le discours n'était pas vraiment très différent. Par ailleurs, le premier message de la part de la diplomatie marocaine est que le ministre s'est adressé à Colonna et aux journalistes dans la langue officielle du Maroc. Est-ce pour dire que le Maroc change et que, désormais, il faut qu'il y ait une relation d'égal à égal ? Si les deux ministres ont mis en emphase l'importance de la coopération entre Rabat et Paris et la densité des relations bilatérales, M. Bourita a précisé que les entretiens étaient l'occasion de discuter des relations traditionnelles et historiques entre les deux pays mais aussi pour soulever certaines entraves qui surviennent des fois entachant les liens. En revanche, s'il y a une déclaration claire de part de la ministre c'est bien à propos du problème qui a empoisonné pendant toute cette année les relations entre les deux pays à savoir les visas et « le retour à la normale » comme signe de la France de vouloir repartir sur de nouvelles bases. Le reste du discours de la ministre n'apporte rien de nouveau et relève plutôt du déjà vu. La suite des déclarations de M. Nasser Bourita était, par ailleurs, chargée de messages à décrypter. Sahara : « le Maroc considère qu'il est temps de définir des positions » Tout en précisant que « le Maroc connaît la position de la France qui est claire et constante » concernant la question du Sahara marocain, la ministre a rappelé que son pays soutient le cessez-le-feu et les efforts de l'Envoyé personnel du Secrétaire général de l'ONU. Et attrapant la balle à la volée, le Chef de la diplomatie marocaine rétorque que la France a depuis le début été pionnière dans l'appréciation et le soutien au plan d'autonomie. Néanmoins, il est bien clair qu'elle est consciente de l'importance du Sahara pour le Maroc, pour le peuple marocain et pour les forces vives de la nation marocaine. Et répondant à la ministre qui a soutenu qu'une relation bilatérale a besoin d'adaptation et de rénovation, le ministre des Affaires étrangères souligne, avec une force probante que « Le dossier du Sahara a connu récemment des évolutions importantes, l'environnement du dossier régional et géopolitique lui-même a connu des évolutions. Et sans remettre en cause des fondamentaux auxquels le Maroc est attaché, le Royaume n'est pas pour une solution imposée mais il considère qu'il est temps de définir des positions par rapport à l'objectif des processus onusiens et non par rapport aux processus eux-mêmes. Ceux-ci n'étant pas un objectif en soi, ils doivent nous amener à une solution. Il est donc fondamental que des pays qui sont proches de cette région, qui ont une très bonne connaissance de ce dossier puissent contribuer à la définition de cette zone d'atterrissage, ou de cette perspective de solution. » Dans ce sens, et connaissant bien sa partie, le ministre a fait constater que durant ces trois dernières années, grâce à l'action menée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, il y a eu des évolutions fondamentales dans les positions de pays proches de la France, soit géographiquement soit politiquement. C'est dire qu'il faut sortir de la zone grise autrement. Deux décisions unilatérales Concernant la crise maroco-française, le ministre des Affaires étrangères M. Nasser Bourita a rappelé que « Lorsque les mesures unilatérales ont été prises, le Maroc s'est interdit de commenter officiellement par respect à une décision souveraine et unilatérale, prise par les autorités françaises. » faisant, bien entendu, allusion à la décision de réduire de la moitié le nombre de visas octroyés aux Marocains. « Aujourd'hui, la décision de reprise est une décision, encore une fois, unilatérale que le Maroc, encore une fois, respecte et ne commentera pas officiellement mais c'est la normale dans la relation et madame la Ministre a évoqué cette dimension humaine qui est fondamentale pour nos relations, une décision unilatérale au début puis -encore une fois- une autre décision unilatérale qui va dans le bon sens et c'est tant mieux. » a continué Monsieur Bourita. Evidemment, si la ministre a opté pour « la langue de bois« , M. Bourita, lui, n'est pas allé par quatre chemins et a été on ne peut plus clair. « Il n'y a pas de crise maroco-française, Madame la Ministre l'a expliqué. Il y a le besoin de rénover et d'adapter cette relation. ». Tout en mettant en emphase que grâce à la vision Royale, le Maroc a évolué en interne économiquement et politiquement. Il a également renforcé son déploiement et son protagonisme à l'international en diversifiant ses partenariats. « Est-ce un handicap ? Est-ce un atout pour nos relations ? » s'est demandé le Chef de la diplomatie marocaine de façon rhétorique. En somme, pour faire évoluer les choses et avancer, la relation doit s'adapter à ces évolutions et changements. « Comme je l'ai dit, un Maroc plus fort en interne, avec plus de protagonisme à l'international, avec une diversification des partenariats n'est pas un handicap pour la relation maroco-française, au contraire. ». Nasser Bourita a ainsi mis les points sur les « i » laissant comprendre qu'il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. La ministre quant à elle a bien saisi le message. « Je l'ai dit, et vous voyez qu'on aborde cette adaptation nécessaire vraiment dans un esprit positif, constructif et je dirai volontariste. Oui, c'est un atout de voir que le Maroc a pu évoluer, a pu développer aussi, dans la région et au-delà, un rôle qu'il n'avait pas, il y a quelques années. Nous-mêmes nous nous transformons, nous nous réformons. Il faut évidemment s'adapter ». Fini les voies à sens unique Il est clair que la France et le Maroc sont des alliés qui ont besoin l'un de l'autre parce qu'entre Rabat et Paris, il y a des enjeux et des défis communs dans plusieurs zones du monde et sur plusieurs plans. Nécessité faisant loi, la relation entre les deux pays a besoin, aujourd'hui, de nouvelles bases solides, marquées au coin du bon sens, mais aussi de nouvelles approches. Il ne suffit plus d'avoir une convergence dans les visions pour l'évolution des relations bilatérales mais une volonté commune de renforcer la coopération nécessite des moyens pour la développer. Le respect des valeurs, du multilatéralisme ne doivent plus aller dans un seul sens. La France doit comprendre qu'elle n'a plus le monopole de fait. En tout cas, elle l'a bien compris et l'a exprimé à travers sa cheffe de la Diplomatie qui a affirmé que « Notre volonté est simple : c'est d'être dans un partenariat exemplaire, un partenariat d'exception, un partenariat fraternel et un partenariat moderne. Cela suppose des deux côtés de nous adapter aux attentes légitimes du Maroc qui s'est profondément transformé, qui continue de se transformer et qui joue un rôle majeur, aujourd'hui, en Méditerranée et en Afrique et de lui proposer ce que la France, qui elle aussi se réforme, s'adapte, se transforme, qui elle aussi a changé profondément, ce que nous avons de meilleur pour construire un partenariat où nous pouvons agir ensemble. »