Le Salvador est un pays du Nord-est de l'Amérique centrale, limité au nord par le Honduras et le Guatemala et au sud bordé par l'Océan pacifique. C'est le plus petit état latino-américain ,21 041km2 un peu plus petit que la Belgique où vivent 6,3 millions d'habitants auxquels on doit ajouter 2,5 millions d'expatriés, en majorité aux Etats Unis. Une longue guerre civile a opposé le gouvernement au Front de libération marxiste faisant des dizaines de milliers de morts et de réfugiés, avant que n'intervienne un accord de paix signé en 1992. C'est en février 2019 que Nayib Bukele, 37 ans, fils d'un commerçant originaire de Palestine, fort de son expérience de maire de la capitale sera élu en dehors du système des partis. Son programme de lutte contre la corruption, de sécurisation du pays et de lutte féroce contre les gangs ne va pas sans débordement, le pays ayant la septième place dans le classement mondial pour la part de la population emprisonnée : 492 pour 100 000. Le président reste cependant populaire et lance des projets innovants comme la construction du Bitcoin City, une nouvelle ville financée par la dette en crypto monnaie pour réduire sa dépendance vis avis du dollar. Un projet que défendra au cours de notre entretien Felix Ulloa vice-président du Salvador en visite au Maroc. Cet avocat qui a fait partie du mouvement étudiant lors du conflit armé a défendu le Front. Il a vécu dans sa chair les affres de la guerre civile, son père recteur de l'Université du Salvador a été assassiné en 1980 par un escadron de la mort. Il mène actuellement un important chantier de coordination et de propositions pour la révision de la Constitution devant être approuvée par le Parlement. Cette révision constituera la base d'une législation moderne et efficace qui devra répondre aux besoins de la société. * MAROC DIPLOMATIQUE : Notre première question est liée à l'actualité. En marge du Sommet du G20 qui réunit les 20 pays les plus développés de la planète, on assiste à une guerre froide en sourdine entre les puissances, Etats Unis -Russie, et au bras de fer Chine-Etats Unis. Nombre de pays du Sud tentent de résister à ces logiques d'affrontement dans un monde en tensions. Comment le Salvador se situe-t-il dans ces guerres économiques et idéologiques ? Felix Ulloa : Nous avons vécu au Salvador les affres d'une guerre froide lors de la guerre civile qui a duré de 1979 à 1992. Nous avons été au centre de la confrontation Est-Ouest qui opposait les Etats Unis à la Russie. Le Front FMLN était soutenu par Cuba et le Nicaragua et le gouvernement de l'époque par les Etats Unis qui ont soutenu militairement et financièrement l'armée pour défendre leurs intérêts stratégiques. Lire aussi : Sahara marocain: El Salvador réitère son soutien à la souveraineté du Royaume sur ses provinces du Sud A l'époque le président Ronald Reagan avait déclaré que la bataille entre l'Est et l'Ouest se livrait en Amérique centrale. La fameuse théorie des dominos considérant que tout basculement idéologique en faveur du communisme entrainerait le basculement des pays voisins justifiait selon les Américains la doctrine du « containment » pour écarter toute propagation. Le Salvador devait être défendu pour éviter le sort du Nicaragua, du Guatemala et une révolution à la frontière du Texas. Le Salvador a servi de terrain d'expérimentation de cette doctrine avec des milliers de morts avant la signature des accords de paix de Chapultepec finalisés à Mexico le 16 janvier 1002 sous les auspices du Secrétaire général des Nations unies de l'époque, Perez De Cuellar. Avec l'élection de Nayib Bukele nous avons voulu tourner la page de l'après-guerre et sortir du bipartisme droite-gauche de certains modèles pour mettre fin aux jeux politiciens et des partis et pour lutter contre les vrais problèmes comme la corruption, les trafics de drogue ou la violence des gangs. Au niveau de la politique étrangère, nous nous sommes abstenus de prendre position dans la guerre de l'Ukraine pour rester neutres. Dans la confrontation économique et commerciale entre la Chine et les Etats-Unis nous adoptons la même position de neutralité en ayant des relations avec tous les pays et en défendant nos intérêts et le bien-être de notre peuple. C'est ainsi que le président Bukele s'est rendu en Chine où beaucoup de projets économiques ont été signés. Nous avons conclu la semaine dernière un accord de libre-échange avec la Chine. * Plus d'un tiers de la population salvadorienne vit aux Etats-Unis. Quelles relations avez-vous avec ce pays ? Nous ne sommes pas contre les Etats-Unis, mais nous voulons être indépendants, exercer notre souveraineté et défendre les intérêts de notre pays. * Un autre grand rendez-vous a lieu actuellement au Caire avec la COP 27 où les pays du sud tentent de défendre leurs positions. Un mot sur cette question de changement climatique qui a provoqué des inondations et beaucoup de dégâts récemment dans votre pays ? Nous sommes en ligne de front alors que nous n'émettons que très peu de CO2 contrairement aux pays du Nord qui ont accéléré cette nouvelle ère que l'on appelle l'ère de l'anthropocène où les activités de l'Homme ont perturbé l'écosystème de la Terre en contaminant à tour de bras, les terres, les mers et les rivières. En Amérique centrale et dans les Caraïbes nous souffrons de ces changements climatiques et des perturbations météorologiques très fortes. Pour nous défendre nous avons constitué un système d'intégration d'Amérique centrale qui réunit 8 pays pour montrer tous les effets négatifs des changements climatiques comme le déferlement des ouragans, les tremblements de terre, les irruptions volcaniques, les inondations, les sécheresses qui causent des milliers de morts et des déplacements de population. Nous avons demandé la création d'un fond pour les réparations et les politiques d'adaptations à ces changements. * Votre visite intervient après celle de la ministre des affaires étrangères Mme Juana Alexandra Hill Tonicco qui a inauguré à Rabat l'ambassade de votre pays en octobre dernier, la première du genre en Afrique. Un rapprochement initié en Juin 2019 avec la visite de Nasser Bourita à San Salvador où il avait été reçu par le président Bukele. Le Salvador avait alors retiré sa reconnaissance de la RASD et affirmé « son soutien à l'intégrité territoriale du Royaume, sa souveraineté nationale ainsi qu'à l'Initiative d'autonomie comme seule solution au différend régional sur le Sahara ». Une position que vous avez réitérée lors de la conférence de presse tenue avec M.Bourita ? Le soutien du Salvador à l'intégrité territoriale du Royaume a été la première décision prise par le gouvernement au niveau de la politique extérieure. Sur le plan bilatéral comme au sein des Nations unies nous soutenons l'initiative d'autonomie. A l'ONU nous sommes aux côtés du Maroc. L'ouverture de l'ambassade du Salvador à Rabat est importante à plusieurs titres. Nous considérons le Maroc comme la porte d'entrée du Salvador en Afrique et nous voulons être la porte d'entrée du Maroc en Amérique centrale et Amérique Latine. Nous serons aux côtés du Maroc pour défendre ses droits et sa souveraineté dans cette région du monde. Nous travaillons à consolider notre coopération bilatérale avec plusieurs projets dans les secteurs de l'agriculture de l'élevage des nouvelles technologies, de la formation. Nous avons tenu une réunion de travail avec la Maire de Rabat pour renforcer les liens entre les capitales de Rabat et San Salvador qui ont signé des accords de jumelage. J'ai constaté avec bonheur les transformations et changements intervenus, les réalisations urbanistiques, que je connaissais pour y avoir été en poste en 2009 durant 2 années. Avec M. Bourita nous avons travaillé sur la feuille de route de la coopération bilatérale avec notamment un focus sur l'agriculture et sur la formation, compte tenu de l'expérience marocaine dans la formation des élites africaines. Au Maroc, une partie de la population parle espagnol ce qui facilite les échanges ... * Votre visite intervient le 14 Novembre 2022. Il y a 45 ans le 14 Novembre 1975, le Maroc et l'Espagne signaient les accords de Madrid qui mettaient fin à la présence espagnole au Sahara. Comment voyez-vous l'évolution de ce conflit régional ? La communauté internationale doit rester vigilante car des tensions régionales peuvent se transformer en conflits de haute intensité comme on dit. Nous sommes entrés dans une période de tensions et de crispations comme en témoignent le conflit d'Ukraine ou la question de Taiwan. Les Nations unies dont le rôle est d'assurer la paix et de proposer des solutions, doivent s'inquiéter de la prolongation d'un différend qui date depuis la Marche verte où les Espagnols ont quitté le Sahara. En ces temps de montée des extrémismes, et de repli identitaire, nous avons besoin de paix et de tolérance. J'ai rencontré l'année dernière M. Miguel Angel Moratino, Haut représentant de l'Alliance des civilisations, une organisation des Nations unies qui œuvre pour la coopération et le dialogue interculturel et interreligieux. L'Alliance tiendra sa neuvième édition dans une ville emblématique, Fès le 22 novembre prochain. Nous sommes très sensibles à cette question de tolérance religieuse et au nom du gouvernement de mon pays, j'ai aussi rendu visite au Pape au Vatican avec une délégation de l'Eglise salvadorienne. Le pape est un fervent défenseur de la Paix et il n'a de cesse d'en appeler à la réconciliation et à la tolérance. En Organisant la rencontre de l'Alliance des civilisations à Fès, le Maroc envoie un message dans ce sens. Au-delà des discours, le Maroc vit pleinement cette tolérance culturelle et cultuelle où Musulmans Chrétiens et Juifs vivent et cohabitent en harmonie. Cela contribue à son rayonnement en Afrique et dans le monde entier.