Le président tunisien Kaïs Saïed a annoncé la dissolution du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), en l'accusant d'être partial et au service de certains intérêts. « Le CSM appartient au passé à partir de ce moment« , a déclaré le président dans une vidéo diffusée dans la nuit de samedi à dimanche sur la page « facebook » de la présidence tunisienne. Dans cette vidéo, le chef de l'Etat tunisien a accusé de « corruption » cette institution constitutionnelle, « garante, dans le cadre de ses attributions, du bon fonctionnement de la justice et de l'indépendance de l'autorité judiciaire », et d'avoir ralenti des procédures, dont les enquêtes sur les assassinats de militants de gauche survenus en 2013. Le président tunisien a assuré « travailler sur un décret provisoire » pour réorganiser le CSM. Il y a quelques semaines, il avait déjà retiré un certain nombre d'avantages aux membres du CSM. « Malheureusement dans ce pays, certains juges dans les tribunaux ont manipulé le dossier Chokri Belaid« , un dirigeant de gauche tué de trois balles devant son domicile le 6 février 2013, a dénoncé M. Saied, ajoutant que « ce n'est pas le premier procès où ils essaient de cacher la vérité depuis des années ». « Dans ce conseil, les postes et les nominations se vendent et se font selon les appartenances », a affirmé le chef d'Etat, en ajoutant: « vous ne pouvez pas imaginer l'argent que certains juges ont pu recevoir, des milliards et des milliards ». Pour lui, « la place des juges (du CSM) n'est pas là où ils se trouvent mais sur le banc des accusés ». En Tunisie qui traverse une période de fortes turbulences, un bras de fer est engagé depuis plusieurs mois entre le Conseil Supérieur de la Magistrature et le président Kaïs Saïed. Depuis le 25 juillet 2021, date de l'entrée des mesures exceptionnelles dans le pays, le système judiciaire a été constamment la cible de critiques acerbes du président Saïed, qui lui reproche vertement son extrême lenteur s'agissant notamment des graves infractions constatées et consignées dans les rapports de la cour des comptes lors des scrutins de 2014, 2018 et 2019 à la loi électorale. Dans le collimateur du président Saïed, le CSM fait de la résistance et refuse de se plier aux directives. Son président, Youssef Bouzakher a réitéré que les déclarations hostiles de la présidence sont perçues comme une « ingérence » et une « tentative de porter atteinte » à son indépendance. Ce débat sur l'indépendance de la justice s'est enflammé davantage lorsque que la ministre de la Justice, Leila Jaffal, a annoncé en octobre dernier la préparation d'un projet de loi relatif au CSM. Ce qui a ravivé ces appréhensions, ce sont à l'évidence les déclarations particulièrement hostiles du chef de l'Etat tunisien qui affirme, en toutes circonstances, que le système judiciaire nécessite une réforme pour lutter « efficacement » contre la corruption. Dans cette même lignée, il soutient que « La justice est libre, et nous œuvrons à ce qu'elle le soit et le reste, mais le pouvoir judiciaire n'est pas un Etat ou un gouvernement », rappelant au passage que « la justice est au service de l'Etat et qu'elle se doit d'appliquer la loi ». Faisant référence à l'ancien ministre de la Justice et député islamiste Noureddine Bhiri arrêté le 31 décembre dernier sur instructions du ministre de l'Intérieur et placé en résidence surveillée, il a affirmé que « ce n'est pas parce qu'il avait occupé un haut poste ou détenait une grande fortune, qu'il bénéficiera d'un traitement de faveur, celui qui a commis un crime doit être jugé. » Dans la foulée, le CSM est monté au créneau. Lors de son assemblée générale tenue janvier dernier, il a exprimé son refus de la révision et de la réforme du système judiciaire à travers les décrets et dans le cadre des mesures exceptionnelles appelant, en même temps, les magistrats à s'attacher à leur indépendance et à assumer leurs responsabilités dans la lutte contre la corruption et le terrorisme dans des délais raisonnables. La juge et présidente d'honneur de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), Raoudha Karafi, a mis en garde contre les incitations à la haine contre le CSM. Elle a imputé la responsabilité de tout ce qui pourrait atteindre les juges et magistrats au ministre de l'Intérieur et au chef de l'Etat considérant ces attaques incessantes comme une « violation manifeste » de leur indépendance et une menace pour leur intégrité physique.