Plus de 630 personnes ont été arrêtées dans plusieurs gouvernorats tunisiens par les forces de sécurité, assistées par l'armée mobilisée pour contenir les manifestations nocturnes et actes de vandalisme qui ont éclaté depuis trois jours dans le pays. D'après le porte-parole du ministère tunisien de l'Intérieur, Khaled Hayouni, les unités sécuritaires ont interpellé 632 individus, pour la plupart des mineurs, à la suite de ces actes de vandalisme et de vols constatés dans de nombreuses régions tunisiennes. Il a précisé que les unités sécuritaires mettent tout en oeuvre pour faire face aux actes de violence et aux tentatives de vol et de pillage des biens privés et publics, ajoutant que les saccageurs ont lancé des projectiles sur les forces de l'ordre. Il a fait état de plusieurs blessés d'un degré de gravité variable dans les rangs des forces de l'ordre, rappelant que des cocktails Molotov ont été lancés sur des policiers « leur causant des brûlures ». Pour sa part, le porte-parole du ministère tunisien de la Défense Mohamed Zekri a annoncé le déploiement des unités militaires dans quatre gouvernorats à savoir Sousse (côte-est), Kasserine (centre-ouest), Bizerte (extrême-nord) et Siliana (nord-ouest) afin de protéger le institutions de souveraineté. Le responsable militaire a ajouté que « ce renforcement sécuritaire a été décidé en premier lieu par la nécessité de protéger les quartiers généraux des établissements souverains dans ces quatre gouvernorats à la lumière de l'évolution de la situation due aux émeutes et aux actes de saccage dans un certain nombre de régions ». Cette décision intervient alors que la plupart des provinces du pays, dont Tunis, Ariana, Siliana, Bizerte, Monastir, Manouba, Nabeul, Kairouan, Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa et Sousse, sont en proie à de violentes manifestations populaires nocturnes pour le troisième jour consécutif, marquées par des affrontements entre les forces de sécurité et des jeunes ayant délibérément fermé des routes et jetant des pierres ainsi que d'autres projectiles contre les forces de l'ordre. Certains manifestants dans plusieurs villes ont pris d'assaut des supermarchés avant de se livrer à un pillage en règle. Ils ont également tenté de brûler un centre de sécurité, un entrepôt municipal, une succursale bancaire ainsi que d'autres propriétés privées et publiques, selon des sources sécuritaires. En réaction à ces émeutes, l'influente centrale syndicale, l'Union Générale Tunisienne du Travail, a appelé les jeunes à cesser les protestations nocturnes, propices à des dépassements, tout en rappelant que la Constitution garantit le droit de manifester. Pour leur part, l'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA) et le Syndicat des Agriculteurs de Tunisie (Synagri) ont condamné, lundi, ces actes de violence et de vandalisme et les attaques aux biens publics et privés enregistrés ces derniers jours, critiquant le « mutisme des gouvernants et leur incapacité à gérer la situation ». Pour cette organisation professionnelle, « ces pratiques ne généreront à la Tunisie que davantage de pertes dans un contexte économique et social très délicat, marqué par les répercussions de la pandémie sanitaire ». De son côté, le Synagri a exprimé l'attachement au droit à la protestation pacifique en raison de la « situation socio-économique catastrophique » que vivent les différentes catégories sociales et les agriculteurs notamment dans les milieux ruraux. « Les mouvements sociaux recrudescents que connaît le pays sont le résultat inévitable de l'échec des choix économiques, notamment dans le secteur agricole ». Ces affrontements avaient éclaté vendredi quelques heures après l'annonce par le chef du gouvernement tunisien Hichem Mechichi d'un vaste remaniement de son gouvernement affectant douze ministères notamment ceux de l'Intérieur, de la Justice et de la Santé. Dix ans après la chute du président Zine El Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011 sous l'effet d'un soulèvement populaire, la Tunisie connaît toujours une instabilité politique et des problèmes socio-économiques. La classe politique, plus fragmentée que jamais depuis les élections législatives de 2019, se déchire alors que l'urgence sociale s'accentue avec la pandémie de coronavirus (175.065 cas, 6.000 morts), qui s'ajoute à la hausse des prix, la persistance du chômage et la défaillance croissante des services publics.