Rien de plus fantastique que cette histoire du saint Sidi Bentalha, situé non loin d'Aoufous (40 km d'Errachidia). C'est un Saint à deux tombes voisines. Sa dépouille est certes enterrée à Oulad Chaker, mais son mausolée, lui, se situe à Oulad Issa, localité ayant abrité, tout au long du week-end, son Moussem traditionnel. Mustapha Elouizi L'histoire dit que les deux tribus se sont longtemps disputées le droit d'enterrer chez eux ce Saint homme. Les Oulad Chaker et les Oulad Issa entraient ainsi dans une interminable guéguerre. La récurrence du vol nocturne de sa dépouille pour l'enterrer ici et là, n'était pas du goût des sages deux côtés. En voulant s'approprier le privilège de voir ce troubadour "source de vertus", enterré sous son sol, chacune des deux tribus entendait, bien évidemment, profiter de ses bienfaits et bénéficier d'une portée symbolique, signe du rôle capital des wali et des zaouïas dans la vie du Maroc de la fin 19ème et début du 20è siècle. Il fallait ainsi trouver un terrain d'entente pour départager les deux frères-ennemis. L'un des sages des deux tribus aurait prétendu avoir vu dans son rêve Sidi Bentalha qui lui a recommandé de l'enterrer à Oulad Chaker, mais son mausolée qui devrait accueillir les offrandes et ziaras le jour du mawlid du prophète devrait être mis en place à Oulad Issa, lieu actuel du Moussem annuel. Quatre "Taifas" fêtent le wali, en l'occurrence les Jilalyines, les Ben Abdsadek, les Issaoua et la taifa de Moulay Abdellah Charif. Si chacun y va d'une tradition particulière, elles se rendent toutes, à tour de rôle, au mausolée le jour de l'Aid. La visite ne doit pas dépasser une demi-heure. Le même jour, tous les adeptes et simples visiteurs mangent du couscous à l'entrée du mausolée. Pendant le Moussem qui n'est célébré qu'en septième jour du Mawlid, les disciples des quatre rites, venant de tous les coins du Tafilalet, présentent leurs bébés nés durant l'année en cours pour les baptiser membres de l'une des taifas. Chacune de ces taifas garde son indépendance et ses propres traditions. Les différences sont ainsi manifestes aux niveaux des étendards, couleurs, rythmes et chants. Si les Ben Abdesadek et Moulay Abdellah Charif se contentent de psalmodier de Dikr et Madih, avec des mouvements corporels au rythme lent et un rare recours aux tamtams pour les seconds, les Jilalyines et Issaoua, quant à eux, recourent à des tambours et des hautbois traditionnels (ghaita), pour créer un rythme élevé incitant les adeptes à la Hadra jusqu'au rituel de transe. Devancés par des hommes portant des étendards de différentes couleurs, les deux dernières taifas qui attirent un grand public traversent toutes les petites ruelles d'Oulad Issa. Une fois devant le mausolée, le rythme s'accélère d'un cran. La tradition veut qu'on ne s'arrête qu'après avoir satisfait les Mlouks de toutes les personnes en transe. Le signal est clair, il faut que la personne s'écroule ou cède d'elle-même. Outre son caractère spirituel, le Moussem est une opportunité socio-économique. Si les uns profitent des produits et marchandises de tous genres, d'autres y trouvent une occasion pour rencontrer d'anciennes connaissances venant d'autres douars et parfois d'autres villes. Au Moussem, l'on trouve également de curieux visiteurs venus parfois en touristes assister aux festivités du Moussem et ses mystères rituels, mais aussi savourer la simplicité de la vie dans cette luxuriante palmeraie située dans la vallée du Ziz.