Le forum de Fès "Une âme pour la mondialisation", sorte de Davos spirituel du 17ème festival des musiques sacrées du monde, donne la mesure de l'ambition des organisateurs pour cette année : se lancer à la reconquête des sources mêmes de la sagesse, dans une énième tentative de cerner le "sens ultime de l'être". (Par Mourad El Khanchouli) Ouvert samedi sous le chêne pluricentenaire du musée Al Batha, le Forum a choisi, pour commencer, une grande interrogation, pour le moins philosophique, se proposant de puiser dans une nouvelle forme de sagesse, adaptée et adaptable à notre temps. Introduisant ce "débat des sages", l'anthropologue et directeur de la fondation Esprit de Fès, M. Faouzi Skali, estime qu'il convient aujourd'hui de "déverrouiller nos systèmes de pensée, nos habitudes et nos automatismes mentaux, afin de nous rendre attentifs et réceptifs à d'autres sources de sagesse, à d'autres voies, à d'autres paroles ". Peu importe, selon lui, que nos ressourcements se nourrissent de philosophies anciennes ou récentes, venues du Nord ou du Sud, d'Orient ou d'Occident, l'essentiel, c'est que, par l'effet de leur rencontre, elles puissent nourrir notre rapport au monde. Par l'effet de cet échange, ces philosophies laissent émerger, non pas une diversité quantitative, justifiée par on ne sait quel relativisme des cultures, mais une vraie diversité à la fois exigeante et riche de pensées, de conceptions sociales, de regards portés sur le monde et sur nous-mêmes, renchérit le chercheur. Une idée de richesse reprise par le grand philosophe français, Edgar Morin, qui se demande, d'emblée, "si on peut trouver une unité entre toute cette diversité de sagesses dans le monde". Une approche anthropologique de la sagesse conduit, selon lui, à partir de l'idée selon laquelle "l'être humain est à la fois sage et capable de toutes les folies". Cette "bipolarisation" entre raison et folie, comme il se plait de l'appeler, doit être minutieusement abordée, du moment où il s'agit d' "une navigation entre ce jeu permanent Raison-Passion que l'une risque d'être submergée par l'autre". Selon Edgar Morin, cette sagesse peut être approchée, en gros, comme le non-refus de la poétique de la vie, la conciliation entre autonomie personnelle et intégration dans la communauté ou encore la compréhension d'autrui. Il est impératif dans ce registre, poursuit-il, de mener un travail énorme de compréhension d'autrui, de conception de sa complexité, d'auto-reconnaissance, d'autocritique et de lutte contre la peur d'autrui. C'est de cette peur de l'autre que le philosophe français et essayiste altermondialiste, Patrick Viveret, appelle avec insistance à se défaire. Il avance, pour argumentaire, que " les traditions de sagesse nous enseignent que les barbaries ne proviennent pas de l'extérieur, mais naissent, par contre, au sein de nous-mêmes ". Devant ces barbaries et ces dérèglements qui hantent nos vies, il est impératif aujourd'hui, conclut Patrick Viveret, de briser ce couple extrême d'"excitation-dépression" et de faire un grand retour à la sagesse. Cinq jours durant, le forum "une âme pour la mondialisation" propose des éclairages, des débats et des réflexions sur les apports essentiels que peuvent être ceux de la diversité des arts, philosophies et visions du monde au processus en cours de mondialisation. Pratiquement tous les jours, des intellectuels, connus et reconnus dans le monde entier, se réuniront, sous le chêne pluricentenaire du somptueux musée Al Batha, pour parler d'Islam, d'Occident, de politiques de civilisation, des nouveaux horizons du Maghreb, de l'avenir du Proche-Orient, de la crise et des expériences émergentes.