La Turquie, un pays musulman qui s'est engagé ces dernières années dans un rapprochement stratégique avec ses voisins arabes, s'est trouvée avec la crise libyenne, dans "une situation inconfortable" entre préservation des liens historiques et des intérêts économiques et obligations internationales, notamment au sein de l'OTAN, dont elle est membre. Par Mohammed Réda Braim La crise en Libye et la participation de la Turquie à la coalition internationale contre ce pays arabe, ont focalisé, ces derniers jours, l'attention des responsables turcs, qui ont multiplié les rencontres et les déclarations à ce sujet aussi bien au niveau national qu'international. La Turquie s'est prononcée dès le début de la crise contre toute intervention militaire en Libye, mais pour une solution autre qui aidera le peule libyen à construire lui-même son avenir dans la paix et la sécurité, contre une communauté internationale, menée par Paris, pour le recours à la force. Ankara, qui a fortement critiqué la manière avec laquelle la coalition internationale, particulièrement la France, mène les opérations militaires en Libye, a mis en garde contre un nouvel Irak en Afrique du Nord, précisant que dans le passé "des opérations de ce genre ont tourné à l'occupation et occasionné davantage de pertes civiles". La Turquie était donc claire en précisant qu'elle ne prendra pas part aux opérations de combats contre la Libye, dans le cadre de la coalition internationale. "La Turquie ne sera jamais le pays qui pointe une arme contre le peuple libyen", avait dit le Premiers ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Après de longues discussions au sein de l'OTAN, Ankara a décidé finalement de prendre part aux opérations contre la Libye, mais en se chargeant uniquement de faire respecter l'embargo sur les ventes d'armes imposée par le Conseil de sécurité de l'ONU. Cinq navires de guerre et un sous-marin turcs font désormais partie des 16 bâtiments navals des pays membres de l'OTAN à déployer au large des côtes libyennes pour faire respecter l'embargo sur les armes. Le parlement turc devrait se réunir ce jeudi pour donner son feu vert à la motion que le gouvernement a déposée à ce sujet. Dans ce cadre, le ministre turc des Affaires étrangères s'est entretenu mercredi au téléphone avec le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, ainsi qu'avec la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, et le secrétaire d'Etat britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, William Hague. Il a également reçu à Ankara le commandant en chef de l'OTAN en Europe, l'amiral américain James Stavridis. La crise libyenne et la participation de la Turquie à la mission de l'OTAN ont été fortement présentes lors des ces contacts, qui interviennent après l'entretien téléphonique entre le président américain, Barack Obama, et le chef du gouvernement turc. Les deux dirigeants, qui ont évoqué la situation en Libye, où les opérations militaires de la coalition internationale se poursuivent toujours, ont réaffirmé, à cette occasion, leur soutien à l'application totale des résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU visant à protéger le peuple libyen. Le mécontentement des responsables turcs à l'égard du développement de la situation sur le terrain des combats en Libye a atteint son apogée avec le président turc, Abdullah Gul, qui a carrément qualifié d'"opportunistes" certains pays impliqués dans la coalition internationale contre la Libye, sans les nommer. "Certains pays, membres de l'alliance internationale, versent dans l'opportunisme", a déclaré à la presse le président turc, ajoutant que leur attitude provoque des soupçons quant à leurs véritables ambitions en Libye, pays riche en pétrole. Les responsables turcs sont allés jusqu'à accuser à mi-voix les Occidentaux de vouloir occuper la Libye pour ses richesses abondantes en pétrole. Partagé entre le respect de ses liens historiques et la préservation de ses intérêts économiques en Libye et ses obligations internationales notamment au sein de l'OTAN, le gouvernement turc, mené par le Parti pour la Justice et le développement (AKP/islamo-conservateur), continue de gérer la situation avec beaucoup de délicatesse pour ne pas heurter une opinion publique turque très regardant sur les actions de ses dirigeants à quelques mois d'élections générales jugées très cruciales.