"Le Maroc représente pour moi un prolongement spirituel, culturel et civilisationnel sans lequel je ne peux percevoir l'Algérie", a affirmé le romancier algérien Wassini Laredj. Propos recueillis par Abdellah LBOUCHOUARI. Dans un entretien accordé à la MAP, en marge de la 17è édition de Salon International de l'édition et du livre, l'écrivain a exprimé son refus catégorique de dresser les barrières entre les peuples unis, s'interrogeant, avec amertume, comment se fait-il qu'Algériens et Marocains soient privés les uns des autres à cause de telles barrières. Face à cette question douloureuse, l'écrivain préfère se réfugier dans ses souvenirs d'enfance. Une enfance passée à Maghnia près de la frontière avec le Maroc. Il se souvient, avec nostalgie, du temps où il entrait à Ahfir pour voir des films dans une vieille salle de cinéma. "J'ai grandi à Maghnia et je fréquentais régulièrement le cinéma d'Ahfir qui était à quelques encablures de chez moi malgré la pauvreté et ses problèmes, nous vivions heureux", raconte-t-il avant de poursuivre: "Le Maroc est un prolongement spirituel, culturel et civilisationnel sans lequel je ne peux percevoir l'Algérie". Wassini a d'ailleurs une étrange relation avec l'espace et les détails que recèlent les endroits. Son attachement aux lieux va jusqu'à l'obsession. Il parle longtemps de Maghnia, du bain turc et de la statue en marbre d'une femme à moitié-nue, rappelant les sculptures grecques. "Elle n'avait rien d'outrant. Ses mains étaient ouvertes et il y avait dedans un oiseau prenant son envol", dit-il en la décrivant. Tristement, il relate comment après l'indépendance on a détruit la statue prétextant que c'était un legs du protectorat. "On a bâti à sa place bloc en ciment. Cela prouve que nous ne sommes satisfaits qu'après avoir détruit ce qu'il y a de beau en nous ", se lamente-t-il. Evoquant sa vie à Tlemcen, il a affirmé que "c'est ma mémoire vivante que je défends ardemment. C'est à Tlemcen que j'ai appris à aimer la ville plus que la campagne, bien que j'y suis originaire". "C'est de cette ville que je suis parti à Paris qui m'a accueilli pendant une période difficile et je lui dois beaucoup, c'est Paris qui m'a donné l'occasion d'écrire, de vivre et de travailler ", se souvient-il. En effet, l'attachement de Wassini aux endroits n'a d'égal que sa passion pour les personnages qu'il a créés dans ses romans. Parmi eux, figure "Mariam". Elle est son égérie. Un personnage assez récurrent dans son oeuvre. "J'ai essayé de me débarrasser de certains de mes personnages, mais j'ai fini par réaliser que cela était impossible. Ce n'est qu'un jeu littéraire", a-t-il dit. L'écrivain crée une sorte de conflit entre un monde réel et un autre virtuel et se place quelque part entre les deux", avoue Wassini Laredj. Le temps d'une conversation le romancier raconte sa vie, son oeuvre, dépoussière le passé, analyse le présent et prospecte le futur au passage, sur la conjoncture dans le monde arabe. Plus précisément, la relation entre littérature et révolutions. "Les textes littéraires ne font pas de révolutions. Ils font les têtes qui les mènent. L'acte romancier nait d'un cumul culturel. Les conséquences n'apparaissent qu'ultérieurement ", estime-t-il. "La révolution française, par exemple, a été inspirée par la philosophie des lumières ", ajoute l'écrivain pour illustrer son propos. Récemment il s'est orienté vers l'écriture historique. Il a choisi d'intégrer l'histoire andalouse dans ses écrits, car profondément convaincu qu'elle fait partie intégrante de l'identité culturelle du Maghreb particulièrement du Maroc et de l'Algérie. "Malheureusement cet héritage à tendance à disparaitre et il n'apparait que dans de rares aspects tels que la musique andalouse. Il n'y a par exemple aucun reflet de cet identité dans le paysage architectural", a-t-il dit. Ainsi, dans "La Maison andalouse" Laredj pose la question identitaire expliquant son point de vue selon lequel il est impossible d'imaginer une modernité incarnée uniquement par des bâtiments édifiés dans le vide. "Nous avons détruit les racines et construit une modernité en béton, sans âme", clame-t-il.