Disparu prématurément, Jilali Gharbaoui est une icône aussi bien emblématique qu'énigmatique du paysage pictural marocain. Son oeuvre restée inachevée, à cause de son décès, a eu le mérite de conduire la peinture marocaine vers la modernité. -Par Hind Rahmoune et Ali Hassan Eddehbi- Aujourd'hui ses toiles représentent l'une des valeurs les plus sûres dans le marché de l'art. Mieux encore, elles ont valeur de patrimoine que la Fondation ONA s'est proposée de préserver à travers la collection d'un grand nombre de ses chefs d'oeuvres, dont certains ont orné, mardi soir, l'espace de la Villa des Arts de Rabat. Aux côtés des toiles de Gharbaoui, le public a pu (re)découvrir celles de l'orientaliste et grand amoureux du Maroc, Louis Morère. Sa Collection avait fait l'objet d'une donation à la Fondation ONA en 2008, de la part de son héritière.
+Gharbaoui, le "martyr" de l'art+
Evoquant l'oeuvre de Gharbaoui l'artiste peintre André El Baz a confié à la MAP: "Lorsque l'on observe une grande partie de ses travaux, on a l'impression comme s'il était fatigué et esseulé, dans un labyrinthe duquel il n'arrivait pas à sortir". Des propos qui convergent avec la triste réalité qu'a vécue Gharbaoui. Depuis sa naissance à Jorf Lmalah en 1930 (près de Sidi Kacem) jusqu'à son dernier souffle, Gharbaoui avait eu un parcours truffé de dures épreuves, de malheurs et d'infortunes. Sa vie prit fin tragiquement. En 1971 son corps est retrouvé gisant sur un banc public à Paris. A l'image de son oeuvre, sa biographie reste aujourd'hui encore mystérieuse. "Rares sont les documents qui révèlent avec exactitude les événements et leurs dates", avait écrit Yasmina Filali dans son livre "Fulgurances" consacré au premier peintre non figuratif au Maroc. Alors qu'il n'avait pas encore dix ans, Jilali Gharbaoui perd ses deux parents et se retrouve d'abord adopté par un de ses oncles, ensuite dans un orphelinat. Il part à Fès pour ses études secondaires. C'est durant les années 40/50 qu'il manie le pinceau et peint ses premiers tableaux impressionnistes. Toujours selon El Baz, Gharbaoui est entré dans l'expérience de la peinture sans formation, sans livres d'arts, de même que le défunt n'avait pas non plus accès aux galeries. "Ceci l'a entrainé à se plonger dans ce nouvel univers en essayant de se forger son propre modèle", ajoute-t-il. Un univers certes frappé du sceau indélébile du renouvellement mais qui recèle une certaine "violence" et reflète une âme morose et un malaise viscéral. Des oeuvres qui ne sont autre que le reflet de l'état d'âme de leur créateur.
+Louis Morère, l'Africain+
Comme s'accordent à le souligner de nombreux critiques d'art, l'oeuvre de Louis Morère est empreinte d'une profonde unité. Son regard d'humaniste est celui de la fidélité à un pays, à tout un peuple, avec ses différentes composantes, dans un climat d'harmonie profonde. Après une enfance passée en Tunisie, feu Morère (1885-1949) s'est rendu au Maroc en 1914, pour y passer le restant de sa vie. Un pays pour lequel il a avait eu une grande fascination, d'ailleurs très visible dans ses tableaux. "Plage de Rabat: vue sur salé", "Rue à Marrakech" ou encore "Les remparts de Salé", sont quelques titres qu'il choisissait pour ses oeuvres dont certaines étaient exposées aux cimaises de la Villa des Arts. Morère s'inspirait de la nature aussi bien dans le choix des couleurs que des thèmes des toiles. Les tableaux se focalisent particulièrement sur les paysages naturels mais reproduisent aussi des scènes de la vie quotidienne du Maroc de l'époque. Meublées de Ksars, Kasbah, Marabouts et palmiers, ses toiles présentent le Maroc dans toute sa diversité, sa splendeur et sa grandeur. Un choix esthétique qui n'était surtout pas fortuit. Car un jour l'artiste écrivait: "il n'existe pas de meilleur maître ni de meilleur modèle que la nature, elle est douce, à mon sens, la plus sérieuse, la plus sûre école des beaux arts qui soit".