Le grand poète et écrivain marocain, Abdellatif Laâbi a plaidé pour un pacte national pour la culture au Maroc, soulignant la nécessité d'ouvrir un débat national sur cette question majeure. M. Laâbi, qui était lundi soir l'invité de l'émission "Mais encore", diffusée par la chaîne de télévision "2M", a indiqué que ce pacte "était une nécessité", étant donné "l'état de délabrement profond où se trouve la culture, en plus du manque d'infrastructures et de dynamisme dans un pays qui est un chantier ouvert en permanence dans tous les domaines". "Le projet démocratique que nous voulons et dont nous avons besoin ne peut pas avancer si on laisse de côté ce qui va permettre aux Marocains, notamment nos enfants et nos jeunes de devenir de véritables citoyens conscients de leurs devoirs et obligations, ayant accès aux connaissances et pouvant exercer au bout de leur enseignement la pensée libre et l'esprit critique", a-t-il estimé. "Sans la culture, nos jeunes ne peuvent pas contribuer à l'édification de la démocratie dans notre pays: on se trouvera dans une sorte d'impasse et si on veut en sortir, il faudra alors mettre au centre du débat national, cette question majeure de la culture et de l'enseignement", a-t-il ajouté. S'agissant dudit Pacte, M. Laâbi, primé par "le Goncourt de la Poésie 2009" pour l'ensemble de son oeuvre poétique, a fait savoir que plusieurs intellectuels, peintres, cinéastes, hommes politiques et universitaires ont adhéré à cette initiative. "Il y a aujourd'hui près de 300 signatures derrière ce pacte qui a déjà provoqué un débat et une réflexion commune sur le sujet", a-t-il précisé, formant le voeu de voir la dynamique enclenchée par le pacte, reprise en compte par l'ensemble des hommes et des femmes concernés par l'avenir de la culture au Maroc. M. Laâbi a annoncé son intention de créer un site web pour mettre à disposition le texte de la pétition et la liste des signataires, en vue d'organiser la réflexion autour du sujet et d'enrichir les discussions, l'objectif étant d'aboutir à une sorte de "Livre blanc" sur la culture au Maroc, qui sera présenté lors des «états généraux de la culture". Evoquant le rôle de l'intellectuel dans la société, M. Laâbi a noté qu'il a un rôle particulier à jouer, à savoir celui d'être "un éveilleur de conscience ou d'alerte quand les libertés d'expression individuelle ou collective sont menacées, ou même celui de créateur de valeurs symboliques". Abdellatif Laâbi est, par ailleurs, revenu sur sa vie dans la prison de Kénitra, après sa condamnation en 1973 à 10 ans de réclusion. Cette période représentait pour lui "une école de la liberté et de connaissance de soi-même", a-t-il dit, estimant que l'écriture en prison était "une attestation de vie : écrire signifiait que je suis vivant moralement et intellectuellement". Dans ce sens, il a fait savoir que le premier de ses textes manuscrits était sorti clandestinement de la prison et publié un an plus tard en France, grâce M'Hamed Boucetta, alors l'un de ses avocats à l'époque. Passant en revue sa période d'exil en France, après sa libération en 1980 où il se consacra à la poésie, le roman, le théâtre, l'essai et la littérature pour jeunes, M. Laâbi a indiqué que cette étape constituait "une école de la différence et de l'apprentissage", puisqu'elle lui a permis d'"avoir un regard sur l'autre et d'accroître ma connaissance de cet autre, de sa culture et de sa société". Il s'est dit, dans ce sens, "à l'aise" dans cet espace d'"entre-deux", en se situant en tant que lien entre deux pays, deux continents et deux cultures. Selon lui, l'intellectuel marocain vivant à l'étranger a un double rôle: l'un réside dans sa responsabilité envers son pays, en oeuvrant à garder son identité et l'autre envers l'humanité pour faire connaître et rendre universel la culture et l'imaginaire marocain. Né à Fès en 1942, Abdellatif Laâbi a fait ses études de littérature française à l'université Mohammed V à Rabat et a participé, en 1963, à la création du Théâtre universitaire marocain. En 1966, il fonda la revue littéraire "Souffles" qui a joué un grand rôle dans le renouvellement littéraire et culturel au Maroc. Il compte à son actif plusieurs traductions d'oeuvres de l'arabe vers le français dont "Rires de l'arbre à palabre" (poèmes), d'Abdallah Zrika, "Rien qu'une autre année" (poèmes), de Mahmoud Darwich, ou encore le roman "Soleil en instance" de Hanna Mina. Laâbi a jusqu'à présent publié une trentaine d'oeuvres entre romans, poèmes, pièces de théâtre, chroniques et traductions vers le français, notamment "Le Chemin des ordalies", "Les Rides du lion", "Le Fond de la jarre", "Chroniques de la citadelle d'exil", "Tribulations d'un rêveur attitré", "Mon cher double", "Oeuvre poétique I", "Ecris la vie", "Les Fruits du corps", "L'automne promet", "Poèmes périssables", "Le Spleen de Casablanca", "L'Etreinte du monde" et "Le soleil se meurt".