Tremblez, citoyens-boycotteurs, « Mus la menace » a parlé. Gare à qui dira du mal d'une certaine marque de lait, qu'il a dit, car c'est écoper d'une lourde amende à coup assuré. Vous vous plaignez de la vie trop chère et de vos revenus trop restreints ? Alors, taisez-vous et laissez-vous traire, en bon troupeau, comme vous en avez déjà été qualifiés. S'il vous arrive de vous oubliez et que vous écrivez sur le mur de votre compte facebook, par inadvertance, insouciance ou folle témérité, que le rapport qualité prix de ladite marque de lait n'est pas à votre convenance, le gouvernement va se charger de vous délester encore plus les poches d'une amende pouvant aller de 20.000 à 200.000 dirhams. Le fait même de le penser à haute voix, n'est pas autorisé. Alors, vous le trouvez toujours aussi cher, ce lait ? « Mus la menace » vous a prévenu. L'auriez-vous oublié ? Il y a « l'œil qui voit tout », quotidiennement rincé à l'eau minérale de marque déposée pour garder une bonne acuité, son champ de vision éclairé d'une lampe à pétrole, et ce pour ne pas manquer mot de vos commentaires sur les réseaux sociaux. Songez-y, quand vous pianotez sur vos claviers. Mais, il y a aussi les murs qui ont des oreilles. « Mus la menace », droit dans ses bottes derrière son pupitre, le doigt pointé vers le ciel pour le prendre à témoin, rappelle aux langues trop pendues qu'il y a un prix à payer si l'on se permet la liberté d'exprimer ce que l'on pense d'une certaine marque de lait. Dans la salle où se déroulait la conférence de presse, ça sentait le mazout. Et même pas un verre d'eau pour épancher sa soif. Il n'est pas contre la liberté d'expression, que nenni, « Mus la menace » le répète à qui veut l'entendre. Il faut juste comprendre que pour les dirigeants politiques élus par le peuple, ce peuple ne peut voir les choses différemment d'eux. Si la vision du peuple diffère, ne serait-ce que d'un iota, de celle de ses élus, c'est que le peuple a tout faux ! Il fallait y penser, n'est-ce pas ! Ce que « Mus la menace »veut sympathiquement faire comprendre à ce peuple qui ne comprend rien, c'est que ne sont jamais les élus qui font fausses routes, mais leurs électeurs, ce sur quoi il n'a peut être pas tout à fait tort. Si l'on pousse, en effet, son raisonnement jusqu'au bout, on finit par se rendre compte que c'est peut être le choix opéré par le peuple de porter les dits hommes politiques au pouvoir qui fut sa faute la plus grave. Mais « shut », il ne faut pas le dire, on ne sait jamais... Des rumeurs persistantes font état d'un projet de loi secrètement élaboré par le gouvernement, où il serait question d'interdire toute référence aux propos tenus par des ministres, passés ou présents, et qui ressemblerait de près ou de loin à un appel au boycott. Mot d'ordre a, ainsi, été donné pour que tout commentaire ironique sur le raïb fait maison pour remplacer les pots de yaourt doit être considéré comme une « fake news » et son ou ses auteurs astreints au paiement de l'amende plafonnée. De même que tout conte ou légende faisant référence à du poisson qui boycotte du lait ou qui nage dedans, peu importe la version, verrait ses narrateurs suffisamment allégés de dizaines, voir de centaines, de milliers de dirhams qu'ils en deviendraient définitivement muets comme des carpes. Le devoir de mémoire ne doit même plus être considéré comme un droit, mais plutôt une hérésie à interdire. Sinon, quoi répondre à d'éventuels petits malins qui en viendraient à rappeler qu'un ancien chef de gouvernement et un ministre toujours rémunéré par les contribuables, tous deux barons au sein de la formation politique cheffe de file de l'actuel gouvernement, ont, jadis, eux aussi appelé à boycotter pots de yaourt et fruits de mer pour leur cherté ? Certains hommes politiques, hantés par les démons de l'ambition, qui leur font dire n'importe quoi pour rester ministres, finissent par se faire rabatteurs pour des crocodiles prêts à dévorer les maigres revenus des petites gens. N'est-ce pas M. Benkirane ? Mais ne vous inquiétez pas, honnêtes gens, « Mus la menace » a d'ores et déjà paré à toute éventualité. Sachant qu'une bonne partie des « traîtres » aux marques de produits de consommation, agréées et hautement recommandées par le gouvernement, n'ont pas de quoi payer des amendes avec plusieurs zéro, tous ceux qui persistent dans la bêtise de se croire libres d'exprimer ce qu'ils en pensent seraient alors condamnés à traire les vaches, puiser de l'eau minérale avec des sceaux et porter des barils de pétrole sur le dos, en criant à tue-tête ; «c'est pour le bien de l'économie nationale». L'air grave, le ton sentencieux, « Mus la menace » a été on ne peut plus claire. Quiconque s'imagine que tonton Basri est parti pour son dernier voyage se trompe lourdement, ses disciples, qui se sont laissés pousser la barbe, sont là pour perpétuer son « Œuvre ». Non, mais quoi encore ? Si les consommateurs marocains, qui ne sont que des hurluberlus comme l'a craché l'argentier du Royaume, se permettent aujourd'hui de choisir quels produits acquérir sur leurs propres deniers, demain, les électeurs vont aussi se mettre à demander de choisir quel modèle de société et de développement les partis au gouvernement doivent appliquer, au lieu de se contenter de la promesse de vivre prochainement dans la copie modernisée de la cité du prophète (sws), où couleraient fleuves de lait pasteurisé et d'eau minérale, le pétrole jaillissant déjà raffiné du sol. L'heure est grave, concitoyens, « Mus la menace » ne l'a point caché. Les dirigeants élus commencent vraiment à se lasser de ce peuple grognard et ingrat qui les a portés au pouvoir, ayant l'outrecuidance de leur rappeler sans cesse qu'il les a choisi pour défendre ses intérêts. Si ça continue comme ça, ils pourraient en venir à légiférer pour abroger ce peuple, tout bonnement et tout simplement. Tenez-le pour dit ! A la fin de la conférence de presse, « Mus la menace » épuisé par les impertinentes questions des journalistes, qui ont fait une malsaine fixation sur le thème du boycott, quitte la salle sur les rotules. Ayez pitié, boycotteurs sans cœur, voulez-vous passer un jour devant une pierre tombale et lire l'épitaphe ; « Ci-git un homme politique, mort déçu de ses électeurs » ? Vous le garderez sur la conscience jusqu'au jour du jugement dernier et les autres peuples vont vous le reprocher. Allez ! Un bon verre de lait caillé pour faire passer tout ça, il vient directement de chez le fermier. Ahmed NAJI