Des enseignants agressés, un buzz sur les réseaux sociaux, une condamnation unanime de ces actes de violence inadmissibles, un ministère de l'éducation nationale qui dénonce en soulignant que l'intégrité physique du corps enseignant et des cadres administratifs est un droit qui ne peut en aucun cas être violé tout en ordonnant aux académies de se porter partie civile dans tout procès ou des enseignants sont pris à partie lors de l'exercice de leur fonction. Bref c'est une mobilisation générale contre ces agissements. Et pourtant on donne l'impression que le phénomène nous dépasse, qu'on agit à postériori sur les conséquences dramatiques de ces violences au lieu de prévenir et de s'attaquer aux causes réelles. Il y a juste un mois, le programme national d'évaluation des acquis, organe d'évaluation du Conseil Supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) avait sonné l'alarme : 15% des élèves fument, 13% se droguent, 10% consomment de l'alcool, 18% se sentent victimes de harcèlement sexuel et moral, bref environ 60 % des élèves jugent leur environnement scolaire de façon négative, incompatible avec leur épanouissement personnel. Ces chiffres rendus publics reposait avec acuité la problématique de la moralisation de la vie scolaire et du degré de respect des valeurs liées aux règles élémentaires de la sociabilité telles que le respect des personnes et des biens, le respect des enseignants et du personnel éducatif, le respect de l'autre et de ses opinions, le rejet de l'intolérance...une crise de valeurs aux conséquences graves qui pourrait transformer un espace de savoir et de connaissance en lieux de conflits, d'incivilité de tout genre, de repli sur soi. Une crise de valeurs pouvant évoluer sur une crise d'identité qui ébranle les principes mêmes de la scolarisation comme moyen de socialisation, du vivre ensemble, d'ouverture et de citoyenneté. Prendre des enseigant(e)s à partie au sein même de l'établissement scolaire, les agresser, les apeurer n'est pas un acte d'indiscipline anodin, c'est un acte de violence sur une figure d'autorité « éducative » qui met à mal tout le système, en plus de son caractère pénal. Le défi de l'école marocaine aujourd'hui, lieu de socialisation par excellence, c'est de trouver le moyen adéquat pour intégrer le collectif et les valeurs partagées en s'éloignant de certaines pratiques individuelles de repli, et de valoriser le plaisir du vivre ensemble, de donner une chance à chacun de s'épanouir afin de lutter contre l'échec et l'abandon scolaire. L'école devrait offrir l'occasion aux enfants et aux jeunes d'intégrer un comportement responsable et citoyen, en donnant du sens aux savoirs, en cultivant le sens des responsabilités, la capacité à résoudre d'une façon civilisée des conflits, l'engagement à servir la collectivité, l'ouverture aux idées et au respect des jeunes filles, du corps enseignant et des règles. Mais pour qu'elle puisse remplir son rôle social et éducatif, émanciper, reconnaître les différences, promouvoir la solidarité, l'école a besoin, elle-même, d'être respectée par tous les intervenants, et en premier lieu les parents et les élèves. On est loin, très loin de cette tradition marocaine qui respecte, dans tous les villages et les ksours du Maroc, deux espaces « sacrés », la mosquée et l'école. Maintenant, si l'espace de la mosquée est toujours respecté, les écoles rurales sont quotidiennement violées, saccagées, vandalisées. Quel dommage. Autre problème majeur auquel le ministère devrait s'attaquer est le laxisme ambiant et la démission des acteurs de l'éducation. L'apprentissage de la citoyenneté passe par le respect des règles, d'ailleurs souvent émises par les élèves eux-mêmes sous forme de chartes de bonne conduite. Toute transgression doit être immédiatement sanctionnée. Tolérance zéro sur la violence, le harcèlement, le vandalisme, les incivilités...tout laxisme sur ses principes de base est une complicité silencieuse condamnable. Les éducateurs dans les lycées et collèges marocaines font le même constat. Les élèves perturbateurs, réfractaires à l'autorité, adoptent les mêmes comportements et commettent les mêmes délits (se bagarrer, insulter un professeur, sécher les cours, fumer ...) , tandis qu'un fort sentiment d'impunité règne. La faute à une administration permissive qui rechigne à réagir, à sanctionner et préfère attendre que ça passe...de peur d'être considérée, par les supérieurs, d'incapable et de donner une « mauvaise » image de l'établissement. On oublie souvent que la sévérité dans le respect des normes permet d'instaurer une atmosphère propice aux études, à la cordialité, établissant un rapport assaini entre élèves et adultes. Inversement, le laxisme et l'absence de sanction produisent une ambiance délétère où le respect ne se gagne qu'à travers de perpétuels rapports de force, où les problèmes de harcèlement, de violence, d'absentéisme et d'incivilités sont le lot quotidien des administrations pédagogiques. Les directions d'établissements ont un rôle primordial à tenir dans la garantie de l'ordre et de la discipline. Ils n'ont pas vocation à tout accepter pour donner l'illusion d'un établissement « sans problèmes » mais au contraire à exprimer l'intransigeance de l'adulte en charge de faire respecter le règlement et les lois en vigueur. Sans quoi tout est permis. Eduquer, c'est aussi transmettre des valeurs de respect et d'intériorisation des codes et lois qui permettent le « vivre ensemble ». Des règles sont à observer dans l'établissement scolaire afin de permettre l'épanouissement de chacun. En éducation, les principes basiques de l'élaboration d'une bonne règle nous semblent évidents..D'abord, la règle existe : elle est connue, concrète et claire. « Nul n'est censé ignorer la loi » : il importe que la règle soit connue tant pour ceux à qui elle s'applique que pour ceux chargés de la faire appliquer. Elle est écrite pour pouvoir être consultée par tous, pour éviter la désinformation et l'arbitraire. C'est de la responsabilité de l'adulte de porter à la connaissance de l'enfant des règles qui sont de mise dans milieu scolaire. Ensuite, cette règle doit être appliquée pour tous sans distinction, basée sur des valeurs respectées par tous les acteurs, enseignants, élèves, administration. Et toute transgression est assortie d'une sanction. Il ne faut pas se mentir, le dernier rapport du programme national d'évaluation des acquis, organe d'évaluation du Conseil Supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) sur les incivilités à l'école est alarmant. Il touche aux fondements même de notre société, de ses valeurs, de ses constantes, c'est un signal d'alarme inquiétant. Il y va de la responsabilité de tous les intervenants dans le milieu scolaire pour essayer de replacer la moralisation au cœur du système. Ces violences sur des enseignants traduisent un malaise général qui ne peur être résolu à coups de « circulaires ». Tous les intervenants doivent se mobiliser pour rassurer, éduquer, sensibiliser, conscientiser et le cas échéant punir et sanctionner afin de rendre à l'école marocaine sa dignité et sa mission basique comme lieu de savoir, de non-violence, d'éducation et sociabilisation. Hassan BENMAHMOUD