5.000 kilomètres de gazoduc entre le Nigeria et le Maroc et la lumière se fera dans 11 pays d'Afrique de l'Ouest, côtiers de l'océan atlantique et situés le long du tracé, et ce, par extension de leur électrification. Sera, ainsi, également éclairée la nouvelle géo-économie de cette partie du continent, vers laquelle la Chine veut étirer sa Route de la soie. Feu Hassan II a formalisé, en son temps, la vocation « interfaciale » du Royaume. « Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe ». SM Mohammed VI la concrétise, développant des relations multiformes avec les pays au Sud du Sahara autrement plus solides et durables que les Almoravides, qui avaient initié cette stratégie, et les Saâdiens, qui l'avaient revitalisée. Le franchissement du Sahara vers l'Afrique subsaharienne, dans la nouvelle conception élaborée par le Souverain portant le cachet du partenariat gagnant-gagnant, a mené le Maroc jusqu'aux portes de la CEDEAO et au delà. Mettre les pieds dans un marché de 320 millions de consommateurs devra, certainement, donner un coup d'accélérateur aux échanges extérieurs du Maroc et un puissant stimuli à son appareil productif. Et son adhésion à la CEDEAO fera de ce dernier le 20ème bloc économique mondial. Il ne faut, cependant, pas oublier que la libre circulation entre les 15 pays membres de ce regroupement régional ne concerne pas que les biens et les capitaux, mais également les personnes détentrices du passeport numérique communautaire, sans limite de la durée de séjour. En cette époque où les changements climatiques poussent de plus en plus de Sahéliens à aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte, le facteur migratoire est à prendre très au sérieux. Toute opportunité comporte des défis à anticiper pour mieux les relever. Les défis qui se posent, désormais, au Maroc dans la mise en œuvre de sa politique africaine sont à la hauteur de la catégorie géopolitique dans laquelle il s'est inscrit. Les opérateurs économiques et financiers marocains se meuvent, essentiellement, en zone franc CFA, symbole de la « Françafrique ». Et contrairement aux allégations des adversaires du Maroc à l'échelle continentale, il y a peu de collaboration entre opérateurs marocains et français actifs dans cette zone. La présence du Souverain à Paris entre présidence française sortante et nouvellement élue peut être considérée comme entrant dans le cadre du management de la triangulation France-Maroc-Afrique. Sauf que pour parvenir en Afrique subsaharienne, les camionneurs marocains ont à traverser la sous-région du Sahara et du Sahel infectée de bandes narcoterroristes. Celle des polisariens, dont les accointances avec les jihadistes ne sont plus à établir, représente la menace la plus directe. On voit, ici, toute l'importance d'avoir, diplomatiquement, balayé les polisariens de Guergarat, un obstacle sciemment dressé sur le chemin du Maroc dans une vaine tentative du pays voisin de l'Est d'étouffer son expansion économique et politique en Afrique. L'Algérie s'est pourtant elle-même asphyxiée en rejetant -solution de facilité de courte vue- son AQMI vers le Nord du Mali, ainsi transformé en zone de non-droit commercialement peu praticable, sauf pour les trafiquants de tout acabit. Ce que, entre parenthèse, les Maliens ne peuvent que constater avec amertume. Ainsi s'est évaporé le rêve d'un gazoduc Nigeria-Algérie, pourtant d'un tracé plus court que le futur gazoduc Nigeria-Maroc, mais dans la construction duquel aucun investisseur ne s'est montré prêt à investir le moindre dollar. De toute manière, depuis que le voisin de l'Est n'a plus les moyens de « la diplomatie de la valise », sa politique africaine s'est rétrécie comme peau de chagrin. Ce qui n'est pas prêt de changer, maintenant que les Européens veulent renégocier avec l'Algérie le renouvellement des contrats gaziers à la baisse des prix et que cette dernière a en bonne partie dévoré ses réserves de devises au cours des dernières années, sans investir dans la diversification de son économie. Parmi les acteurs les plus intéressants, actuellement, sur l'échiquier géopolitique africain au Nord de l'équateur, outre la France, en raison des liens particuliers qu'elle a conservés avec ses anciennes colonies, la Chine et son insatiable gourmandise en énergies, matières premières et débouchés commerciaux. Le Maroc et la Chine portent un grand intérêt à l'Ethiopie et au Nigeria, deux poids lourds économiques et politiques, situés symétriquement à l'Est et l'Ouest du continent, et ce, autant pour l'important potentiel de croissance de ces marchés que pour leurs positionnement géographique donnant accès à leurs sous-régions respectives. Cet intérêt marocain et chinois a une traduction en termes de projets d'infrastructures. Le Maroc voit son avenir dans la réalisation d'un double corridor, énergétique et routier, s'étendant jusqu'au Nigeria. La Chine cherche, quant à elle, à investir dans un autre corridor routier, perpendiculaire au premier, allant de l'Ethiopie, qui est reliée par ligne de chemin de fer à Djibouti et à l'Océan indien, au Nigeria, sur la rive atlantique, en prolongement de son mégaprojet de Routes de la soie. Ce projet, dont le tracé n'est toujours pas décidé, est pour l'instant irréalisable, en raison de l'instabilité qui règne dans les pays situés entre l'Ethiopie et le Nigéria, à savoir le Sud-Soudan, la République centrafricaine et le Nord du Nigeria, fief de Boko Haram. A terme, les deux projets, marocain et chinois, vont se rencontrer, au Nigeria, et devenir ainsi complémentaires. Et c'est l'Afrique qui en sera la grande gagnante, en étant mieux connectée aux réseaux infrastructurels de la mondialisation de l'ère multipolaire. Ahmed NAJI