Le choix du Maroc comme destination des travailleurs étrangers ne date pas d'aujourd'hui. En effet, durant le siècle dernier, le Maroc a connu différentes formes de migrations internationales. Ainsi, avant l'indépendance, le Maroc a été considéré comme étant un pays d'immigration, du fait de la politique des autorités du protectorat qui ont encouragé les mouvements migratoires à partir de la France et de l'Espagne vers le Maroc. Aujourd'hui, crise économique et financière oblige, le Maroc est devenu la destination préférée des cadres européens. A la fin des années 1980, les travailleurs étrangers étaient en majorité des ingénieurs. Mais, depuis, ils occupent tous les secteurs d'activité. Des questions dès lors méritent d'être posées : - Quel type de contrat de travail un étranger peut-il conclure? - Quelles sont les règles de forme à respecter lors de l'embauche d'un salarié étranger? - Quels sont les ressortissants étrangers exempts d'autorisation de travail au Maroc? - Les travailleurs étrangers sont-ils soumis aux mêmes lois et règles que les travailleurs marocains concernant leurs droits individuels et collectifs ? I) Les règles à respecter lors de l'embauche d'un salarié étranger L'esprit de ces règles est de stimuler l'emploi des nationaux et de limiter la progression du travail illégal. Or, est-ce que ces règles ne sont pas en mesure de ralentir la compétitivité des entreprises désireuses de faire appel à une main d'œuvre expérimentée ? L'article 516 du Code du travail dispose que : «Tout employeur désireux de recruter un salarié étranger doit obtenir une autorisation de l'autorité gouvernementale chargée du travail. Cette autorisation est accordée sous forme de visa apposé sur le contrat de travail. La date du visa est la date à laquelle le contrat de travail prend effet. Toute modification du contrat est également soumise au visa mentionné au premier alinéa du présent article. L'autorisation peut être retirée à tout moment par l'autorité gouvernementale chargée du travail. » De la lecture de cet article, il ressort que l'organisation de l'emploi des ressortissants étrangers relève de la compétence de l'ANAPEC et le ministère de l'Emploi et de la Formation Professionnelle (Direction de travail, service de l'immigration). Un arrêté du Département de l'Emploi du 9 février 2005 et son annexe du 25 novembre 2005 oblige l'employeur à formuler une demande auprès de l'ANAPEC. C'est cette dernière qui publie l'offre d'emploi rédigée par l'employeur, collecte les candidatures et, en fonction, donne son accord pour l'embauche du candidat étranger. Le problème est que les entreprises étrangères placent la barre très haut pour éliminer rapidement les candidats nationaux en faisant recours à des spécialités presque inexistantes au Maroc. 1) Pour obtenir la fameuse attestation de l'ANAPEC L'employeur doit déposer un dossier qui comprend les éléments suivants : Une demande adressée au directeur général de l'ANAPEC. Le but étant d'expliquer pourquoi le recours à la compétence étrangère. Il faut publier dans deux journaux francophones et arabophones l'annonce du poste. Ceci constitue un frein à l'embauche qui peut avoir des répercussions non négligeables. Dans un délai de 10 jours après l'annonce, l'agence procède au traitement du dossier pour rechercher les profils ciblés. Elle établit après une liste définitive des candidats qu'elle envoie à l'entreprise pour entretien et sélection. Au cas où personne ne répond au besoin de l'entreprise, une attestation d'absence de candidats est établie. Un procès-verbal est rédigé et transmis au ministère de l'Emploi pour prise de décision. Une catégorie de personnes est dispensée de l'attestation d'activité. Il s'agit : Principe de réciprocité. C'est-à-dire les Etats qui ont signé avec le Maroc des conventions qui incitent sur le respect de ce principe. Les étrangers nés au Maroc résidant d'une manière continue pour une durée d'au moins six mois Les conjoints de ressortissants marocains Les gérants statutaires Les actionnaires de société Les salariés détachés pour une période déterminée auprès de sociétés étrangères Les réfugiés politiques et apatrides Les ressortissants de trois pays avec lesquels le Maroc a conclu une convention d'établissement: Algérie, Tunisie et Sénégal Les salariés travaillant au Maroc en application de l'accord franco-marocain du 24 mai 2001 relatif à l'échange de jeunes professionnels Les salariés migrants ayant bénéficié de la régularisation exceptionnelle en 2014 Il y a aussi la liste de ce qu'on appelle les métiers sous tensions : les pilotes, les chefs cuisiniers, hôteliers et certains profils pointus : l'ingénierie. L'employeur est dispensé quand il s'agit de ces catégories de personnes de publier l'annonce aux journaux. 2) L'employeur doit également faire une demande d'autorisation de travail auprès du ministère de l'Emploi (direction du travail, service de l'immigration) Pour pouvoir obtenir le visa de travail, l'employeur doit présenter plusieurs documents, parmi ceux-ci le contrat de travail qui se présente sous la forme d'un formulaire administratif (art. 517 C.T.) Il est à noter que ce sont presque les mêmes pièces que l'employeur est tenu de fournir et pour obtenir l'attestation de l'ANAPEC et pour obtenir le visa, ce qui met en évidence le caractère lourd et obsolète de la procédure d'obtention du visa. Au niveau de la jurisprudence, elle annule systématiquement les contrats de travail non homologués. Ainsi, une affaire jugée en janvier 2015 par la Cour de cassation, qui considère qu'«est nul en vertu de la loi le contrat de travail du salarié étranger non visé par le ministère du Travail même si le salarié cumule la fonction de salarié avec celle de gérant de l'entreprise». Est-ce qu'il y a des exceptions à ce principe posé par la loi ? Oui. Qui sont les catégories d'étrangers concernées ? Il s'agit : des Sénégalais, des Algériens et des Tunisiens ; du conjoint de ressortissant marocain ; des personnes nées au Maroc et ayant résidé au moins 6 mois au Royaume ; des footballeurs ; des artistes pour une durée de résidence ne dépassant pas 3 mois des PDG et DG d'entreprises ; des personnes détachées au Maroc par l'entreprise mère pour une durée limitée (2 à 3 ans). A l'expiration de la durée du contrat de travail, car le salarié étranger ne peut bénéficier que d'un CDD, l'employeur doit renouveler sa demande pour obtenir un nouveau visa apposé sur le contrat de travail. II) Le type de contrat signé par le travailleur étranger Selon les besoins de l'entreprise, un étranger peut être recruté par un contrat à durée déterminée ou indéterminée. Mais s'agit-il d'un vrai CDI ? Selon Frédéric El Bar, juriste et conseiller consulaire français au Maroc : "Ce contrat est considéré comme un CDD quelle que soit la volonté des parties (employeur et employé), alors même que très souvent ces dernières ont signé un CDI». Il ajoute : "Il est de jurisprudence constante devant les tribunaux marocains, compte tenu du code du travail marocain, que ce contrat est assujetti à la formalité de renouvellement du visa qui est accordé par les autorités compétentes. Dès lors, ce contrat ne peut être renouvelé que lorsque le visa est lui-même renouvelé, ce qui est le cas au terme d'un an, voire deux ans". Frédéric El Bar attire notre attention sur un point important consistant à dire que la loi et la jurisprudence marocaines offrent une protection différente selon qu'il s'agit d'un Marocain ou d'un étranger. En effet, ce dernier ne peut jamais espérer signer avec son employeur un CDI, ce qui le met dans une situation de précarité et d'incertitude. Ainsi, un employeur qui souhaite se séparer d'un employé sans forcément vouloir le dédommager attend simplement le terme annuel du contrat. Pire, cette façon de faire favorise le travail clandestin de salariés étrangers en situation irrégulière. Cela est d'autant plus concevable surtout que le Code du travail, très clément avec les fraudeurs, n'effraie guère les employeurs. L'article 521 prévoit une amende peu dissuasive de 2000 à 5000 dirhams pour les infractions relatives aux contrats d'étrangers. Et en cas de récidive, rien n'est prévu ! Dans le même ordre d'idée, "les inspecteurs du travail ferment très souvent les yeux sur ce genre de pratiques qu'ils ne jugent pas graves. Il est très rare qu'ils dressent des PV", témoigne un inspecteur du travail. La Cour de cassation marocaine a considéré que ce «contrat de travail étranger» ne pouvait être qualifié de contrat à durée indéterminée (CDI) malgré des renouvellements successifs, contrairement à ce que prévoit le code du travail. Elle souligne que les salariés français concernés par cette affaire ne peuvent pas bénéficier des indemnités auxquelles peuvent légitimement prétendre tous les salariés dues à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Or, la convention de séjour et d'emploi entre le Maroc et la France prévoit la délivrance d'un contrat de 10 ans au quatrième renouvellement. Les entreprises se retrouveraient alors avec un salarié disposant non pas d'un CDI avec une autorisation de travail de 10 ans, mais de facto avec un CDD de 10 ans, dont les conditions de rupture avant la fin du contrat seraient très onéreuses pour l'entreprise. Ces dernières ne demandent donc jamais une autorisation de travail de 10 ans. La loi et la jurisprudence marocaines opèrent donc une distinction entre les nationaux et les étrangers pour l'application de la législation du travail, notamment concernant le volet qui touche le licenciement. En effet, dans la mesure où la jurisprudence marocaine considère que les CTE sont des CDD, les règles de rupture du CDD sont applicables. Pour être plus précis, le CDD pose moins de problème que le CDI, puisque en cas de rupture de ce contrat avant l'échéance, les mêmes règles s'appliquent aussi bien aux nationaux qu'aux étrangers. Ainsi, toute rupture anticipée de CDD, hors le cas de force majeure ou de faute grave du salarié, cela donne lieu à des dommages et intérêts dont le montant est équivalent au total des salaires dus pour la période restant à courir dans le cadre du CDD. Cependant, cette discrimination de création prétorienne trouve plus place dans le cadre d'un CDI. En effet, les règles protectrices contre le licenciement (indemnités) ne sont pas applicables aux salariés Cette jurisprudence est donc contraire au rapport du Royaume du Maroc présenté à l'ONU le 12 juillet 2012, précisant : "La non-discrimination fait partie des principes de base de la législation marocaine." (Article 54 du rapport). "La législation nationale du travail interdit toute discrimination entre les travailleurs nationaux et les travailleurs migrants en situation régulière et s'applique à tous de manière égale." (Article 57 du rapport). De même, elle est contraire aux principes de non-discrimination figurant dans le Code du travail marocain, la Constitution marocaine et plusieurs conventions internationales ratifiées par le Royaume du Maroc qui prévoient expressément une égalité de traitement des salariés nationaux et étrangers, comme par exemple la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ou encore l'Accord d'association entre l'Union Européenne et le Maroc, dont l'article 64 dispose que : 1. Chaque Etat membre accorde aux travailleurs de nationalité marocaine occupés sur son territoire un régime caractérisé par l'absence de discrimination fondée sur la nationalité par rapport à ses propres ressortissants, en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement. [...] 3. Le Maroc accorde le même régime aux travailleurs ressortissants des Etats membres occupés sur son territoire." *Enseignant-chercheur à la Faculté de Droit Aïn Choc- Casablanca