Il est certain que la crise de l'art est en rapport avec celle de la culture ; il est admis, aussi, que la crise sociopolitique et économique peut étouffer la création. Puisque cette création est engendrée par son milieu et son époque, elle est sensible à tout dynamisme et à toute stagnation qui prédominent dans un pays durant une période déterminée. Le jaillissement de l'art Seulement, la création dépasse, au moins par sa vision artistique, toute activité humaine. N'est-elle pas considérée comme première étincelle de la pensée ?! Grâce à la liberté consciente à laquelle elle appelle, grâce aussi à l'insatisfaction qui l'habite, elle réagit incessamment contre le goût commun et le mode de vie ; elle réagit surtout contre les règles établies et les conventions dégénérées, contre l'oppression et la dictature, contre l'hypocrisie et l'indifférence, contre l'idéologie et la « société unidimensionnelle ». Malgré le joug du colonialisme et le génocide sauvage dont souffre le peuple palestinien, l'art, surtout la poésie, surgit du martyre, a lancé sa haute voie noble à travers le monde. Et dans une société de consommation, comme les Etats-Unis, dominée par le système marchand, le néo-dada puis le happening ont fait irruption, comme un ouragan, produisant des œuvres invendables. C'est sous l'oppression que naissent la belle poésie et le lyrisme grandissant en peinture, en musique ou dans le théâtre ; c'est dans la souffrance que jaillissent la symphonie tonnante, le chant intrépide et le roman s'annonce. Lorsque la liberté s'annonce Seulement, cette naissance et ce jaillissement ont besoin, pour se développer et s'épanouir, d'une ambiance culturelle, sinon ils restent souterrains et s'éteignent même. Ils ont besoin d'un récepteur actif qui fasse circuler cette création dans le monde. Ils ont besoin, non seulement d'applaudissements et de cris encourageants, mais de sympathisants et d'amateurs d'art qui combattent pour donner à cette liberté sa vraie ampleur, d'où la tendance et le mouvement artistiques. Qu'on se rappelle ces grandes révolutions artistiques, comme l'expressionnisme, le cubisme, les débuts de l'abstraction et le Bauhaus ! Malgré la pauvreté et la solitude, malgré l'indifférence ou la dictature, elles ont pu jaillir, grâce à la persévérance des artistes, à leur audace et à la croyance qu'ils ont de cette vision nouvelle. Lorsque la liberté consciente s'annonce dans un groupe artistique ou dans un atelier collectif, contre, tout d'abord, les bas sentiments, puis contre les idéologies qui se confrontent, contre le mercantilisme et la spéculation, contre, enfin, le plagiat et le mimétisme, plus rien n'arrête la nouvelle vague déferlante. Lorsque dans les groupes artistiques et dans les ateliers collectifs prédominent l'amour, la sincérité et la bonne entente, ainsi que la recherche pure, l'expérience audacieuse et structurée, lorsque dans cette ambiance, la création s'analyse avec rigueur et s'expose au public, dans la nouvelle vague des mouvements se développent. Toute recherche avant-gardiste est combattue à ses débuts. Si cette tendance ou ce mouvement, nés dans la solitude, l'indifférence ou sous les bottes de l'oppression, n'acquièrent pas d'encouragement parmi les artistes et les intellectuels, s'ils ne rencontrent pas, dans leur formation, des galeries et des mécènes qui les soutiennent, ils persistent péniblement ou s'éteignent. Au contraire, si ces avant-gardes et ces chercheurs arrivent à constituer une ambiance culturelle rayonnante, grâce à leur dévouement pour la vision nouvelle à laquelle ils croient, grâce au soutien des secteurs publics et privés qui rehaussent leur image dans le monde, grâce surtout aux galeries spécialisées qui s'ouvrent, sans hésitation, à ces recherches audacieuses et les font circuler, à travers une grande médiatisation, tout création, quelle qu'elle soit, s'épanouit dans une vie artistique ambiante. Même ayant la grande initiative d'amener un millier d'œuvres d'artistes européens aux Etats-Unis en 1913, Marcel Duchamp et Picabia n'ont pas trouvé beaucoup d'émules parmi les artistes et les amateurs de l'art. Ils n'ont trouvé, faute de salle convenable, qu'une caserne pour exposer cette gigantesque production ; c'est l'Armory Show. Cette grande nation ne sera prête pour comprendre le nouvel art qu'après la Seconde Guerre mondiale. D'ailleurs, ce n'est qu'après cette guerre que tout l'Occident change de visage et opte pour l'art contemporain, en fondant une grande infrastructure digne de l'époque, en développant aussi une promotion de l'art et de la culture, selon les trois directions essentielles, la médiatisation de l'œuvre, sa théorisation et sa réalisation. Et le Tiers-Monde ! Cependant, à peine sortis du colonialisme après cette guerre, la plupart des pays du Tiers-Monde ont essayé de se retrouver dans cette culture contemporaine, dont la plus importante partie leur vient de l'Europe et les séduit. S'acharnant, aussi, à retrouver leur identité bafouée et faire renaître leur patrimoine ancestral, à travers des recherches inspirées en même temps de celles de l'Occident, les artistes et les intellectuels des pays du Sud ont réussi à créer leur propre culture. Seulement, manquant d'infrastructure et de promotion dans une société qui, à peine libérée du joug colonialiste, entre dans des crises interminables, à travers des conflits et des guerres, pour la plupart fomentés par les diverses idéologies qui se confrontent. Dans une époque où la mondialisation, nouvelle vision et nouvelle arme surgies de l'Occident, absorbe les créations, en les rendant siennes ou les étouffe, où la crise de la culture due, tout d'abord, à l'oppression de certains systèmes politiques dictateurs, à l'indifférence de la plupart des sociétés envers la recherche et aux crises socio-économiques et politiques qui bouleversent tous les efforts d'émancipation, si les différents responsables et promoteurs de l'art ne mettent pas en valeur les créations véritables, à travers une politique culturelle conçue selon notre millénaire, tous les horizons seront chaotiques et on verra un Tiers-Monde englouti dans la consommation des produits standardisés.