A partir de calculs et d'intérêts purement partisans à notre sens , les partis politiques ont plaidé soit pour l'augmentation ou le maintient en l'état du " seuil électoral" (position des "grands partis", qui disposent d'un groupe parlementaire confortable à la Chambre des Représentants), soit au contraire la diminution de ce seuil (cas des partis qui ont revu leurs ambitions et possibilités électorales à la baisse), voir même sa suppression totale comme c'est le cas des "petits partis", non ou très peu représentés à la Chambre des députés . XII - Où est la solidarité réelle des partis politiques envers les citoyens MRE ? Depuis le conseil de gouvernement du 15 avril 2016 et selon nos informations, seuls trois partis politiques, et avec des tonalités plus ou moins nettes, ont réagi par rapport à sa position concernant le vote et l'éligibilité des citoyens MRE au parlement. En plus de l'Istiqlal dont on a déjà rendu compte plutôt, on relève celle du Parti Authenticité et Modenité et celle de l'USFP. Le PAM tout d'abord, qui s'est exprimé pour la première fois sur ce sujet, durant et après les consultations électorales avec le ministère de l'Intérieur. En effet, on n'avait pas su jusqu'à il y a une semaine, qu'elle était sa position réelle sur ce dossier. Certes, lors de son dernier congrès national (22-24 janvier 2016) et le changement du statut interne de cette formation politique, ce parti s'est ouvert au niveau de ses structures organisationnelles internes à un quota et à une représentativité des Marocains du Monde. Cependant , au niveau politique sur ce dossier , on est encore dans l'attente de détails précis pour avoir une idée claire sur sa position concernant d'une part les modalités pratiques de participation politique ( procédure du vote) des MRE , et d'autre part sur la représentation politique elle - même ( c'est à dire la représentation parlementaire ) qui n'est pas encore mentionnée comme nécessité , le communiqué ne parlant que de la participation politique , c'est à dire exclusivement du vote . Le passage suivant du communiqué du BP du PAM, en date du 10 mai 2016 et publié sur le site officiel du parti, permet de faire le point, provisoirement à notre sens, sur la position de cette formation politique sur les droits politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc : "Concernant les Marocains du Monde, le BP du PAM insiste sur le droit à la participation politique de cette catégorie. Par ailleurs , les membres du BP estiment que cette participation est un droit constitutionnel , appelant à la prise de toutes les mesures nécessaires à cet effet et à l'élargissement à la participation des Marocains du Monde au reste des institutions , dont les institutions représentatives de bonne gouvernance." L'USFP quand à elle et contrairement à sa section en France (communiqué de l'USFP-France du 19 avril 2016), est enfin sortie de son silence à travers un communiqué de son bureau politique, publié le 18 mai 2016 dans le journal "Al Ittihad Al Ichtiraki". Selon toute vraisemblance , c'est sous la pression de certains de ses militants parmi les Marocains du Monde , principalement en France mais également dans des pays comme le Danemark et l'Espagne , que la direction centrale a réagi alors que , rappelons -le , le mémorandum de l'USFP adressé au ministre de l'Intérieur concernant la préparation du scrutin législatif du 7 octobre 2016 , n'a fait parmi ses revendications et propositions , aucune référence à la représentation politique des MRE . Toutefois et de notre point de vue, dans ce communiqué du 18 mai 2016, la référence aux droits politiques des MRE est très lapidaire, demandant que le gouvernement respecte la Constitution qui reconnaît aux citoyens MRE le droit à la députation. On aurait aimé en effet que l'USFP précise concrètement les modalités et les mécanismes d'élection qui ont sa préférence et exige la continuation du débat à la commission de l'Intérieur sur sa proposition de loi organique (et sur les deux autres), prévoyant la mise en place de circonscriptions électorales législatives de l'étranger. Par ailleurs, il est surprenant de constater que la couverture médiatique assurée par le journal "Al Ittihad Al Ichtiraki" du 18 mai 2016, notamment de la séance d'ouverture du Forum des jeunes MRE à Marrakech, ne souffle mot sur des aspects politiques polémiques de l'intervention du ministre chargé des MRE et des affaires de la migration, préférant donner en titre : "200 MRE transforment la ville de Marrakech en un espace d'échanges productifs." En dehors des trois cas précités ( Istiqlal, PAM, USFP), ainsi que du FFD et du PRV qui ont inscrit la revendication politique des MRE dans leur mémorandum au gouvernement, combien sont les partis ("grands", "moyens" et même "petits"), qui ont réellement demandé et maintenu cette revendication de supprimer une injustice plus flagrante encore, à savoir le maintien d'un " seuil de citoyenneté " au plus bas concernant les MRE, qui sont considérés ici au même titre que les mineurs !? A titre d'illustration , où est le "sérieux" du PPS, lorsqu'on se rappelle que ce parti a été depuis la fin des années 70 du siècle dernier et le seul pendant longtemps, à réclamer la reconnaissance aux émigrés marocains à l'étranger , de leurs droits politiques par rapport au Maroc !? Si comme le souligne un communiqué très récent du BP du PPS, on veut faire du 7 octobre 2016 un moment national et démocratique fort par excellence , et si la consolidation du processus démocratique une des priorités fondamentales (après La Défense de l'intégrité territoriale), le parti ne doit-il pas revoir entièrement sa politique actuelle vis à vis des droits politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc , alors qu'au même moment, il renforce sa structuration au sein de la communauté marocaine résidant à l'étranger, comme le font d'ailleurs bien d'autres formations politiques marocaines ? Où est également la cohérence d'un autre parti de la majorité , à savoir le Mouvement Populaire, qui avait organisé le 22 mai 2014 à Rabat, une journée d'études avec des recommandations pertinentes, notamment sur la nécessaire participation et représentation politique des Marocains du Monde , avec pour titre : "concevoir ensemble une politique qui corresponde aux MRE, citoyens à part entière " ? Prenons un autre exemple : douze "partis naissants " ou "en voie de développement ", ont à juste titre formé un front de lutte contre l'hégémonisme et la volonté d'exclusion exprimés par les grands partis, qui sont des défenseurs acharnés de l'augmentation du "seuil électoral". Mais ces "petits partis" n'ont exprimé dans leur communiqué commun publié tout récemment , aucune solidarité avec les citoyens marocains à l'étranger, alors que la plupart d'entre eux l'avaient fait dans un communiqué du 23 juin 2006 comme on l'a vu plus haut, et que plus récemment, un parti comme le PRV avait inclus la question de l'effectivité des droits politiques des MRE dans son mémorandum envoyé au ministre de l'intérieur, en prévision des législatives du 6 octobre 2016... Au sein des trois catégories de partis, certains ne pratiquent-ils pas l'attentisme en attendant le déroulement du Conseil des ministres pour savoir dans quel sens soufflera réellement le vent ? D'autres n'estiment- ils pas, dans une sorte de "marchandage" implicite, que la cause de l'inclusion politique des citoyens MRE par rapport au Maroc n'est pas (ou pour certains n'est plus) digne d'être défendue, alors qu'au même moment, on négocie le seuil, la liste nationale et bien d'autres choses encore ? A quoi est due fondamentalement cette attitude ou ce revirement ? La question cruciale du moment est la suivante : est-ce que tous les partis répondent aux attentes politiques des citoyens MRE ou bien, de fait, la plupart d'entre eux les combattent-ils de fait, se mettant pratiquement au garde à vous, dés que le département chargé politiquement du dossier électoral s'exprime pour justifier l'exclusion des citoyens MRE ? A quand par conséquent la suppression de ce "seuil de citoyenneté " discriminatoire envers les citoyens MRE, en réalisant l'égalité de la citoyenneté marocaine entre Marocains du "dedans" et Marocains du "dehors" !? Quand le plafond de verre de citoyenneté des MRE par rapport au Maroc, qui est maintenant pratiquement au niveau plancher, sera t-il brisé ? Cette discrimination insupportable maintenue au nom d'une vision sécuritaire, sera t-elle enfin supprimée, en mettant fin à la citoyenneté au rabais dans laquelle sont confinés les Marocains résidant à l'étranger ? La pilule ne peut passer et on ne peut que déplorer le manque de courage politique des responsables de partis et de bon nombre de parlementaires. On ne se taira pas. On ne peut banaliser cette exclusion qui n'a absolument aucune légitimité et s'habituer à vivre avec, sans réagir avec colère. La question à laquelle il nous faut dés lors répondre est la suivante : peut-on encore sauver les droits politiques des citoyens MRE ? De notre point de vue, la réponse est affirmative, à condition de prendre en considération et de respecter un certain nombre d'étapes. XIII - Une lueur d'espoir à l'approche du Conseil des ministres A l'heure actuelle et officiellement, même si la tendance générale se dessine, les jeux ne sont pas faits et il n'y a pas lieu, de notre point de vue, de baisser les bras et de se soumettre à une quelconque résignation ou démission citoyenne, en renforçant le climat de doute, de suspicion et de désenchantement. Toutes les hypothèses demeurent ouvertes. Il reste encore la tenue d'un Conseil des ministres présidé par le Roi Mohammed VI après sa visite d'Etat dans les pays du Golfe et en Chine et son séjour en France. Les MRE sont toujours dans l'attente d'un statut citoyen effectif par rapport au Maroc et refusent d'être considérés comme des Marocains de seconde zone. Si pour taire les critiques , le gouvernement Benkirane compte sur la légitimité et l'appui que donnerait le Conseil des ministres à son projet de loi organique portant sur la Chambre des représentants , au niveau de la société civile , on peut estimer au contraire que le texte peut en effet être amendé tant qu'il n'a pas franchi le cap du Conseil des ministres , c'est à dire avant son transfert au parlement . Dans cet esprit, on souhaiterait vivement que l'intiative royale de réconciliation nationale envers les citoyens marocains résidant à l'étranger, lancée magistralement depuis prés de 10 ans, soit achevée cette fois-ci, avec une issue positive. Heureusement que dans la Constitution de 2011, le Conseil des ministres est là, permettant notamment de procéder à des réajustements substantiels, y compris lorsque le chef du gouvernement et les diverses composantes du gouvernement, n'ont pas le courage politique d'assumer leurs responsabilités constitutionnelles, comme dans le dossier en question. Rappelons à ce propos que depuis son discours fondateur du 6 novembre 2005 et même bien avant, depuis que le "Projet Maroc" est porté et mis en œuvre voilà 17 ans dans le cadre du nouveau règne, le Souverain s'est toujours exprimé en faveur de la citoyenneté pleine et entière et de l'effectivité des droits politiques des citoyens marocains à l'étranger par rapport au Maroc. Donnons quelques points de repère. Dès le premier discours du Trône (30 juillet 1999), le ton est donné, l'action royale en direction des Marocains d'ailleurs, ayant fondamentalement comme objectif le renforcement des liens de la communauté marocaine établie à l'étranger avec la mère -patrie, le Maroc. A l'occasion du discours du 20 août 2001, les orientations royales, qui constituent des repères incontournables pour l'exécutif, concernaient notamment la nécessité s'agissant des Marocains résidant à l'étranger, " d'une participation au plus haut niveau aux institutions nationales ". Lors du discours du Trône du 30 juillet 2002, la vision à l'égard des Marocains résidant à l'étranger, s'exprime avec autant de force : " Nous affirmons notre ferme volonté de veiller à ce qu'ils tiennent la place de choix qui leur revient et jouent un rôle actif dans tous les domaines de la vie nationale ". A notre sens, ce discours du 6 novembre 2005 n'est pas, comme l'ont avancé certains, une initiative hâtive, un acte hasardeux ou une décision établie sur la base d'un diagnostic trompeur fourni par d'aucuns parmi le cercle proche du Palais. Le Roi ne pouvait pas être induit en erreur car il ne s'agit pas de données techniques, comme par exemple l'annonce de la découverte de pétrole, alors que les indices ne sont pas probants. Par contre l'annonce des mesures prises le 6 novembre 2005 en direction des citoyens MRE", est le résultat d'un engagement citoyen très fort, d'une conviction démocratique royale profonde et d'une détermination sans faille. Rappelons également que ce discours avait tenu à rappeler les fondements des mesures prises, en les liant à certains principes de droit. Il est dit explicitement, concernant le droit de vote et d'éligibilité des Marocains résidant à l'étranger et de la nécessité de créer des circonscriptions électorales législatives de l'étranger, ce qui suit : " il est à noter à cet égard qu'ils (les MRE) jouissent sur un pied d'égalité , des droits politiques et civiques que confère la loi à tous les Marocains, dont celui d'être électeurs et éligibles dans le pays ". XIV - Ne pas perdre l'opportunité de la phase législative au parlement Par ailleurs, si aucun amendement concernant les citoyens MRE n'est introduit en Conseil des ministres au projet de loi organique relative à la Chambre des représentants, on ne doit nullement, de notre point de vue, minimiser l'importance du débat démocratique qui doit encore avoir lieu dans le cadre de la phase législative, lorsque la législation électorale sera mise à l'ordre du jour du parlement, et où chaque acteur politique doit assumer en toute transparence ses responsabilités. Même si bien entendu, le gouvernement compte sur la majorité numérique acquise pour faire passer son projet de texte comme une lettre à la poste. Il reste encore en effet l'examen et le vote de ces textes article par article dans le cadre de la commission de l'intérieur de la Chambre des Représentants , la présentation et la négociation des amendements entre le gouvernement et les députés, et c'est là où des changements , parfois même majeurs peuvent être introduits, en fonction aussi de l'évolution du débat extra-parlementaire sur le dossier en question, en l'occurrence ici en fonction par exemple du lobbying exercé par la société civile MRE, qui dépend lui même des formes de mobilisation suivies et de la solidarité exprimée à l'intérieur même du Maroc. L'adoption (ou le vote négatif ) a lieu ensuite en séance plénière. Et ce n'est qu'une fois les textes adoptés par la chambre des députés, que toutes les étapes vont être à nouveau suivies à la Chambre des conseillers, avec toutes les possibilités là aussi, de faire passer des amendements ... Avec le rappel au passage, que la Chambre des Conseillers est cadenassée pour les citoyens MRE au niveau de sa composition : article 63 de la constitution. On ne peut donc considérer que le débat parlementaire ne sert à rien. Non, il peut faire bouger les lignes si, à cette occasion, la volonté politique y est. Et c'est là où le travail auprès de l'opinion publique prise à témoin, est très important à mener. Relevons enfin que selon la constitution, une autre possibilité doit être gardée à l'esprit concernant l'issue qui peut être donnée au projet de loi organique relatif à la Chambre des représentants et des amendements qui pourraient être introduits. En effet, de part leur importance dans la hiérarchie juridique, et selon l'article 132 de la constitution, les lois organiques avant leur promulgation, doivent être soumises à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la constitution. Par ailleurs, l'article 132 précise qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur la base de l'article 132 de la constitution, ne peut être promulguée ni mise en application. Enfin, la constitution prévoit que les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours et leur exécution est obligatoire pour tous. De plus, et à l'heure où la question nationale de l'intégrité territoriale est dans une phase cruciale, le Maroc a besoin de la mobilisation patriotique de tous ses citoyens, qu'ils vivent à l'intérieur du Maroc ou à l'extérieur de ses frontières nationales. Bien entendu, sans qu'on le leur demande et sans attendre quoique ce soit en retour, les citoyens MRE font leur le dossier de l'intégrité territoriale du Maroc. Mais de manière générale, comment les grandes causes nationales du Maroc ainsi que ses intérêts géostratégiques et vitaux peuvent-ils être défendus avec une grande mobilisation par ceux que l'on voudrait même qu'ils soient des "Ambassadeurs du Maroc", qu'ils portent la "marque Maroc" très haut, contribuent à la renommée et à la notoriété du pays, alors qu'on ne leur reconnaît même pas sur le terrain concret, leur citoyenneté intégrale, transformée pour eux en coquille vide !? Y compris sur ce registre, le fait de ne pas décider et trancher de manière progressiste et dans le sens de l'histoire, est devenu à notre sens contre-productif, entraînant par ailleurs une dérive identitaire de pans de plus en plus larges de la communauté marocaine résidant à l'étranger. En somme, en l'état actuel des choses, ce sont les citoyens MRE en particulier et le Maroc dans son ensemble qui sont perdants, dans la mesure où on assiste à une sorte de schisme, à une dislocation, à une déchirure et à une fracture citoyenne. Les éléments précités et bien d'autres, présentés par les uns et par les autres depuis des années, militent pour que la bataille démocratique soit assumée jusqu'au bout. En d'autres termes et en clair, l'heure n'est pas au boycott des élections du 7 octobre 2016 par les citoyens MRE, ce qui correspond à un abandon de terrain et à une désertion. On part déjà battu. De même, l'heure n'est nullement au renoncement comme il est proposé à partir de Montréal et encore moins à la soumission à l'euthanasie politique décidée par le gouvernement, qui veut donner le coup de grâce à l'occasion de ce scrutin législatif. Le moment est au contraire à la mobilisation unitaire des citoyen(ne)s marocain(e)s à l'étranger , en s'ouvrant également à notre sens, aux forces de progrès à l'intérieur du Maroc, dans la mesure où le statut, la place et le devenir de la communauté marocaine résidant à l'étranger, concerne et interpelle tous les citoyens marocains, qu'ils soient de l'extérieur ou de l'intérieur du Maroc. D'où la poursuite inlassable de notre contribution au débat public pour l'action constructive dans ce domaine. *Universitaire à Rabat, chercheur spécialisé en migration