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Représentation parlementaire des MRE : Et si l'on interprétait démocratiquement la Constitution !
Publié dans L'opinion le 15 - 03 - 2016

Après un premier tour d'horizon avec le Chef du gouvernement (Abdelilah Benkirane), le dialogue entre le gouvernement représenté par les ministres de l'Intérieur (Mohamed Hassad) et de la Justice (Mustapha Ramid) et les partis politiques, a déjà commencé cette semaine sur les éléments pratiques liés à la préparation des élections législatives du 7 octobre 2016.
Contrairement à ce qui avait été prévu, tous les partis politiques n'ont pas assisté ensemble à la même réunion, mais le gouvernement a préféré établir une nette distinction entre la " première division ", à savoir les 8 partis représentés au Parlement avec lesquels une réunion a eu lieu le mardi 8 mars 2016 et la "deuxième division", correspondant aux nombreux partis non représentés au parlement, réunis finalement le jeudi 10 mars au lieu du mercredi 9 mars, comme prévu.
Cette manière de procéder est vivement critiquée par beaucoup, dans la mesure où elle empêche la communication, la transparence et ne favorise pas l'échange souhaitable et l'interaction entre tous les acteurs politiques concernés.
Un "niet" catégorique irrecevable
Par ailleurs, sur les quatre points à l'ordre du jour, trois n'ont
pas encore donné lieu à une réponse définitive du gouvernement (seuil électoral, liste nationale, listes électorales), celui - ci s'étant contenté de manière générale d'enregistrer les interventions des uns et des autres. Par contre, selon des sources concordantes, sur la question de la représentation parlementaire des MRE à l'horizon des législatives du 7 octobre 2016, le gouvernement a déjà donné son point de vue.
Il s'agit d'un "niet" catégorique s'agissant aussi bien de la formule des circonscriptions électorales législatives de l'étranger, que celle d'une liste spécifique MRE. La communauté marocaine résidant à l'étranger ne peut être représentée à la Chambre des députés, parce que, selon le ministre de l'Intérieur, ceci est contraire aux dispositions de l'article 17 de la Constitution!!!
Rappelons le contenu de cet article : les Marocains résidant à l'étranger jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d'être électeurs et éligibles. Ils peuvent se porter candidats aux élections au niveau des listes et des circonscriptions électorales locales, régionales et nationales. La loi fixe les critères spécifiques d'éligibilité et d'incompatibilité. Elle détermine, de même, les conditions et les modalités de l'exercice effectif du droit de vote et de candidature à partir des pays de résidence".
Pour le ministre de l'Intérieur, Mohamed Hassad, la Constitution ne prévoit nullement de circonscriptions électorales législatives de l'étranger, ni de liste spécifique MRE, et, par conséquent, on ne peut accepter aucune de ces formules. Sa position revient à signifier ceci : circulez, il n'y a rien à voir sur ce registre ; le dossier est clos, tournons la page et passons à autre chose !!! Manière bien étrange de clore le débat, avant même qu'il ait commencé.
Lors des réunions tenues aussi bien le mardi que le jeudi, il a fait état par ailleurs de difficultés matérielles, pratiques, logistiques et techniques à organiser les élections à l'étranger, et invoqué le fait que cette expérience de représentation parlementaire n'a pas réussi dans des pays comme la France, l'Algérie et la Tunisie, ce qui est totalement inexact. De même, invoquer le faible taux de participation dans ces expériences étrangères pour les délégitimer, reviendrait à remettre fondamentalement en cause les diverses élections au Maroc qui connaissent un très faible taux de participation, le " parti des abstentionnistes" étant le plus fort...
Tout ceci mérite à notre sens un large débat public multiforme, non seulement à l'intérieur du Maroc, dans la mesure où chaque citoyen du "dedans" est concerné aussi par le devenir de nos compatriotes du "dehors", du respect de leurs droits par le Maroc, mais également parmi la société civile MRE. Dans cette contribution citoyenne, nous dirons ce qui suit.
Juge et partie ?
1 - Le gouvernement ne peut être juge et partie et s'ériger en Cour Constitutionnelle. Dans le cas d'espèce, trois groupes parlementaires, à savoir ceux de l'USFP, de l'Istiqlal, du PJD, ont déposé, depuis 2014, des amendements à la loi organique de la Chambre des Représentants, tendant à la députation des MRE, par le biais des circonscriptions électorales à l'étranger (USFP et Istiqlal) ou des circonscriptions plus liste (PJD). Selon la Constitution, tout ce qui a trait aux lois organiques et à leur modification, passe obligatoirement et automatiquement par l'avis de la Cour Constitutionnelle.
En effet, selon l'article 132 de la Constitution, les lois organiques, avant leur promulgation, doivent être soumises à la Cour Constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. Par conséquent, c'est cette Cour, et non pas le gouvernement, qui est apte à trancher sur la constitutionnalité d'une loi organique (ou d'une loi ordinaire à certaines conditions). Ici, nous sommes en présence de propositions de lois.
2 - Par contre, par respect à l'institution parlementaire, il est, à notre sens, de l'obligation constitutionnelle du gouvernement, de prendre ses responsabilités, en poursuivant le débat sur les trois propositions de loi au sein de la commission de l'Intérieur de la Chambre des Représentants, quitte à les refuser et à inciter sa majorité à voter contre. Mais là, chacun doit prendre publiquement ses responsabilités et on ne peut, pour fuir le débat, décider a priori qu'une proposition de loi est anticonstitutionnelle alors que, visiblement, la raison du refus du gouvernement est politique.
L'amnésie gouvernementale
3 - Entre la réunion du mardi 8 mars et celle du jeudi 10 mars, le ministre de l'Intérieur a visiblement oublié le 5ème anniversaire du discours royal historique du 9 mars 2011, qui a accéléré la dynamique de changement ayant abouti à la Constitution de juillet 2011. Une Constitution avancée au niveau de sa philosophie, prévoyant une extension des droits dans de nombreux domaines, y compris ceux concernant les MRE et non pas en les réduisant ou en les éliminant de fait.
Faut-il rappeler, en effet, que la Constitution de 1996 (et celles d'avant), permettait déjà à travers les articles 5 et 8 la députation des MRE, comme ceci s'est passé pour la période 1984 - 1992. Il n'était donc pas nécessaire de changer la Constitution pour que la communauté puisse élire ses député(e)s, moyennant, bien entendu, une loi organique appropriée concernant la Chambre des Représentants. Or, avec ses toutes dernières interventions, le ministre de l'Intérieur ne nous ramène pas seulement en arrière. Il obstrue l'avenir et jette la suspicion sur le caractère avancé de la Constitution de 2011, en présentant celle-ci comme interdisant pratiquement la représentation des MRE à la Chambre des députés.
Initiatives politiques attendues
4 - À notre sens, il appartient aux trois groupes parlementaires, qui ont eu le mérite de déposer les trois propositions de loi, d'aller jusqu'au bout de leur initiative louable, en exigeant du bureau de la Chambre des Représentants, et de son président en particulier, la réinscription et la remise à l'étude des trois initiatives parlementaires. C'est une question de démocratie, de respect de la Constitution et de crédibilité de l'institution parlementaire, qui ne peut être dessaisie de son droit de légiférer.
L'arme de "dissuasion massive "
5 - Faute d'avoir eu le courage de se situer au niveau politique, en déclinant les véritables raisons au refus de la représentation parlementaire des citoyens marocains à l'étranger, le gouvernement sort de son chapeau un pseudo - argument juridique, considéré comme l'arme de "dissuasion massive ", ainsi que d'autres griefs avariés galvaudés depuis bien des années, principalement par les responsables du CCME qui partagent cette interprétation antidémocratique de la Constitution et ont tout fait pour propager cette vision régressive.
Nous faisons référence ici notamment aux déclarations du président du CCME faites le 15 février 2012 au stand du Conseil à l'occasion du Salon International de l'édition et du livre ( SIEL) à Casablanca et à la rencontre organisée dans cet esprit le 2 mars 2013 par le CCME à Amsterdam sur la Constitution du 1er juillet 2011 et la participation politique des Marocains du Monde.
La même interprétation restrictive et antidémocratique de l'article 17 de la Constitution, a été faite par le rapport final (même s'il n'a pas été officiellement validé) de l'étude de l'IRES " Stratégie nationale de l'émigration à l'horizon 2030 " , en partenariat avec le CCME , la Fondation Hassan II pour les MRE et le ministère chargé, à l'époque, des MRE (rapport signé Ahmed Ghazali, juin 2013, page 60).
Une vision dévalorisante de la Constitution 2011
6 - À supposer, qu'à Dieu ne plaise, que le moment venu, la Cour Constitutionnelle suive le gouvernement dans son interprétation de l'article 17 de la Constitution, ce serait alors gravissime pour le statut de cette loi fondamentale du Maroc, auquel a été assigné un rôle capital, décisif et fondateur pour donner corps au modèle démocratique qu'il s'est choisi. La révision de la Constitution par le biais du référendum auquel ont participé également les MRE, aura constitué de fait une flagrante régression en matière de droits politiques des citoyens marocains à l'étranger, ainsi qu'une trahison intellectuelle et citoyenne, dues notamment à l'intervention de certains membres de la commission nationale de révision de la Constitution, notamment à la tête du CCME et du CNDH, qui ont joué le rôle du juges et parties et manifestent, par ailleurs, publiquement leur hostilité aux droits politiques des MRE par rapport au Maroc.
7 - Avec notre dernier article, on s'attendait à une ouverture sur l'avenir, nous voilà avec un retour en arrière. 16 juin 2006 : adoption de la méthode " progressive", qui constitue en fait une régression par rapport aux décisions progressistes du Roi Mohammed VI dans son discours fondateur du 6 novembre 2005. 8 mars et 10 mars 2016 : adoption de la démarche régressive, en jetant aux oubliettes le caractère avancé de la Constitution 2011, dans sa dimension citoyens marocains à l'étranger.
Seuil électoral et "seuil de citoyenneté"
8 - Avec son intervention, voilà que le ministre de l'Intérieur veut réduire les points en suspens entre le gouvernement et les partis politiques. À partir de maintenant, on ne discutera plus que du "seuil électoral " que les partisans du pluralisme et de la diversité politique voudraient diminuer, voire supprimer. Au même moment, ne faut-il pas augmenter le "seuil de citoyenneté" des Marocains résidant à l'étranger, considérés comme des sous-citoyens, des citoyens au rabais, juste bons pour renflouer la balance des paiements !?
9 - Dans une conception bien particulière de la répartition des pouvoirs, le ministre de l'Intérieur va-t-il désormais cumuler la présidence de la Cour Constitutionnelle !? Personne ne trouvera t-il à redire au sein de la coalition gouvernementale, pas même le ministre de la Justice assis à ses côtés lors des deux réunions, mais gardant sur ce point, crucial pour les citoyens marocains à l'étranger, un silence empreint d'esprit de solidarité gouvernementale !? Qu'en pense notamment le Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane ?
10 - Le dossier de la communauté marocaine résidant à l'étranger est d'intérêt national et interpelle aussi bien la société marocaine que le gouvernement et l'Etat marocains. Comme le rappelait le discours du Trône 2015, il nécessite encore l'élaboration et le suivi d'une véritable stratégie nationale en la matière, qui fait cruellement défaut.
Parmi les questions fondamentales non encore tranchées, figurent à notre sens celles-ci : quels types de liens veut-on maintenir avec les Marocains résidant à l'étranger? Quel contenu donner par rapport au Maroc à la citoyenneté des Marocains résidant à l'étranger ? Priver les Marocains résidant à l'étranger de l'exercice effectif de leur droit constitutionnel de représentativité au parlement marocain, ne reviendrait-il pas à vider de son sens la notion de marocanité ?
Déchéance de nationalité là-bas, déchéance de citoyenneté ici ?
En conclusion, insistons sur ce qui suit. La grande initiative du nouveau règne de réconciliation nationale avec les citoyen(ne)s marocain(e)s à l'étranger, magistralement matérialisée par les décisions liées au discours royal du 6 novembre 2005, n'a-t-elle pas été cassée le 16 juin 2006 par l'adoption, par le gouvernement de l'époque, de la méthode dite progressive ou graduelle, qui n'a nullement été développée depuis !?
Par ailleurs, interpréter l'article 17 de la Constitution comme le fait le gouvernement en mars 2016, n'est-ce pas ternir l'image avancée et rénovée de la Constitution marocaine, une manière d'usurper la citoyenneté marocaine aux Marocains résidant à l'étranger et de les soumettre véritablement à la déchéance de citoyenneté !? Autant de démarches irrecevables, qui nécessitent à notre sens un sursaut national dans l'intérêt du pays et de la communauté marocaine résidant à l'étranger, qui fait partie intégrante de la communauté nationale marocaine, quelle que soit par ailleurs l'évolution du statut juridique de ses membres dans les pays d'immigration.
Dans le cadre du dialogue en cours avec le gouvernement concernant la préparation des législatives du 7 octobre 2016, il appartient à notre sens à chacune des formations politiques en présence, de prendre ses responsabilités et de communiquer publiquement sa position.
*Universitaire à Rabat, chercheur spécialisé en migration


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