Les relations maroco-russes sont fondamentalement frappées de son sceau. Rabat n'est pas sans ignorer l'importance des relations entre Moscou et son inamical voisin de l'Est, la Russie étant tout aussi parfaitement consciente de l'étendue des liens du Maroc avec les Etats-Unis et l'Union Européenne. Au-delà du manichéisme primitif des nostalgiques de la guerre froide et autres prêcheurs de sa version «2.0», la primauté accordée aux intérêts communs dénote d'une bienfaitrice maturité politique des dirigeants marocains et russes. Et légaliste. Les deux pays, qui se réfèrent continuellement au Droit international autant pour défendre leurs intérêts que leurs prises de positions par rapport aux sujets brûlants sur la scène internationale, affichent un fort attachement au système westphalien de l'Etat-nation et au respect de la souveraineté. Une similitude de culture politique dont découle une volonté de stabilité qui contrebalance le désordre mondial actuel. Même si la Russie jouit de frontières qui sont internationalement reconnues, elle n'en souffre pas moins de l'existence de mouvements séparatistes armés, téléguidés de l'étranger, et comprend donc parfaitement les problèmes que connaît le Maroc avec le polisario, à la solde d'Alger, à ce sujet. Il est, d'ailleurs, intéressant de noter que Moscou, malgré sa sympathie pour les rebelles pro-russes de l'Est de l'Ukraine, n'a jamais soutenu une sécession du Donbass. Les Russes n'ont pas manqué de saisir, non plus, l'importance géostratégique pour le Maroc de ses investissements en infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires dans ses régions du Sud, une composante essentielle de l'équivalent marocain de la Route de la soie chinoise, dans sa politique de partenariat avec les pays d'Afrique subsaharienne. Les habitants de ces régions sont positionnés à un point nodal de ce processus de développement. Moscou est tout aussi sensible à la menace terroriste, nouvel objet de coopération maroco-russe, une menace qui, par ailleurs, explique en partie son engagement militaire, puis son retrait de Syrie. Les Soukhoï SU-34, 24, 25 et autres MI-24 et 35 ont fait des ravages, au cours des 5 derniers mois, entre autres dans les rangs des combattants de Da'ech originaires de la Fédération de Russie. Les services de renseignement russes ont dû, également, collecter, sur le terrain et auprès de leurs homologues syriens, un bon lot d'informations avantageuses sur les terroristes jihadistes, leurs structures organisationnelles, leur stratégie et leurs modus operandi. Les autorités américaines ont eu tort de négliger les mises en garde des Russes à propos des auteurs des attentats de Boston, il y a près de trois ans. Sans entrer dans les détails des 8 accords et conventions et des 5 mémorandums d'entente conclus entre le Maroc et la Russie, à l'occasion de la visite de SM le Roi à Moscou, il est quand même intéressant de relever quelques points saillants. Le degré de confiance entre le deux pays est manifestement en hausse. Preuve en est la signature de l'accord relatif à la protection mutuelle des informations classifiées dans le domaine militaire et militaro-technique. Le Maroc pourra ainsi accéder au matériel militaire russe comportant des technologies de pointe. Le marché marocain du gaz naturel liquéfié est désormais ouvert au géant russe Gazprom (le Royaume importe déjà pour 1,5 milliard d'euro de pétrole russe), une compétition remportée face aux Américains et aux Qatariotes, et c'est une autre multinationale russe, Glencore, qui va fournir en partie, pour la saison 2016-2017, le Royaume en céréales, fertilisants et aliments pour bétails. Nul besoin de souligner le caractère hautement stratégique des marchés de l'énergie et des céréales pour le Maroc, pour mettre en relief la portée de tels accords avec la Russie. Quant à la frustration de M. Poutine de ne plus trouver autant de tomates et d'oranges marocaines sur les marchés de Moscou, les échanges commerciaux maroco-russes en général ayant reculé de 34% l'année dernière, il est à espérer que les conventions relatives à la sécurité sanitaire des produits alimentaires, qui viennent d'être signées, permettront aux producteurs marocains de saisir l'opportunité des sanctions décrétées par l'Union Européenne contre la Russie. L'investissement consenti par le Maroc, sur directives royales, dans la promotion de l'un des composants essentiels de son capital immatériel, à savoir son Islam orthodoxe et tolérant, continue, par contre, de produire ses fruits. Avec les musulmans russes qui vont venir suivre la formation d'imams au Maroc, en compagnie des autres étudiants d'Afrique subsaharienne et d'Europe occidentale, et pouvoir faire face, sur la base de solides et incontestables connaissances religieuses, aux dangereuses déviances radicales qui ont plongé différentes parties de la planète dans le sang et la peur, le Royaume s'impose de plus en plus comme une école de théologie islamique de référence à l'échelle mondiale. La Russie, c'est 20 millions de musulmans, acculturés par les décennies d'un communisme activement athée, avant que le radicalisme islamiste ne vienne diaboliser le peu de culture tolérante soufie qui a pu survivre au sein des communautés musulmanes russes. Seulement, le culte de Lénine n'a plus court aux abords de la Moskova. Dans la Sainte Russie qui renaît de ses cendres, légitime héritière de l'empire byzantin, en tant que porte-drapeau du christianisme orthodoxe, le blasphème n'est ni apprécié, ni toléré (les Pussy Riot en savent quelque chose). L'islamophobie n'a pas, non plus, droit de cité en Russie où chrétiens et musulmans ont pris l'habitude de cohabiter, depuis des siècles. Le 23 septembre de l'année dernière, le président Poutine a inauguré la grande mosquée de Moscou, l'une des plus grandes d'Europe. Pour donner un aperçu de l'état d'esprit qui anime les dirigeants actuels de cet empire naturel qu'est la Russie, géographiquement le plus grand pays du monde, dont l'économie est promise à un bel avenir, dans un insolite effet inverse aux sanctions imposées par l'Occident, les Russes réagissant toujours au mieux face aux pressions extérieures, le passage d'un article, daté du 3 mars 2016, du chef de la diplomatie russe, Serguei Lavrov, publié sur le site de son département : « Nous croyons que la solidarité humaine doit avoir un fondement moral, conféré par les valeurs traditionnelles, qui sont largement partagées par les principales religions du monde ». Une volonté de joindre l'utilité de la modernité à l'agréable spiritualité des traditions qui anime également le Royaume multimillénaire de l'Occident du monde musulman tourné vers le progrès.