Séisme politico-sécuritaire en Algérie: Le limogeage du patron du renseignement militaire, le général Mohamed Lamine Mediène, dit Toufik, est loin d'être un événement ordinaire, au vu de ses incidences incontestables sur le fonctionnement du régime et de sa vision des rapports en interne et en externe. La décision d'Abdelaziz Bouteflika met, ainsi, un terme à de longs mois de "guerre froide" entre l'institution de la présidence et le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), mais elle inaugure une ère à plusieurs inconnues, surtout quand on connait la nature tentaculaire des réseaux tissés par le général Toufik à la faveur d'un quart de siècle de règne sans partage à la tête des services secrets. L'homme à la réputation de "faiseur des présidents" avait gagné ses galons lors de la lutte contre les groupes armés durant la décennie noire des années 1990. Des lauriers que le DRS ne se privera pas de faire valoir pour renforcer sa mainmise sur les arcanes de l'Etat, en plaçant une armada d'officiers au sein des différentes administrations et des collectivités locales. Aussi, son empreinte était-elle bien visible sur les orientations stratégiques de la diplomatie algérienne, qui a consacré toute son énergie et ses gigantesques moyens pour contester la souveraineté du Maroc sur son Sahara, brisant au passage toutes les lignes rouges et les règles de bienséance en vigueur entre les deux pays voisins, même au paroxysme de ce conflit régional. Un autre secret de Polichinelle, le front polisario dépendait directement du cabinet du patron du DRS et les ordres d'opération émanaient du général Toufik lui-même, qui faisait d'une grande générosité à l'égard de toute action ou manœuvre à même de nuire au voisin de l'Ouest. Bicéphalisme Avec l'arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999, le régime algérien va entrer dans une nouvelle phase de bicéphalisme fondée sur un accord à la fois tacite et subtil délimitant les champs d'action de la présidence et l'institution militaire, dont le représentant patenté était le général Toufik qui s'est trouvé dans l'obligation de tempérer ses ardeurs pour composer avec le nouveau locataire d'El Mouradia, fortement appuyé par l'étranger. Cette configuration, qui a miraculeusement tenu durant un bon bout de temps, n'arrangeait plus les comptes d'aucune des deux parties. Habitué d'être seul à la gouverne, le DRS voyait d'un mauvais œil l'émergence d'une nouvelle élite politique et économique échappant à son contrôle. De son côté, le clan Bouteflika craint les volte-face des services secrets avec la disparition du chef de l'Etat, qui ne s'est jamais vraiment remis de son hospitalisation au printemps 2013. Faut-il rappeler qu'à cette époque, le général Toufik avait sorti ses griffes et même commencé la préparation de la succession de Bouteflika. La vaste campagne médiatique sur l'article 88 relatif à la vacance du pouvoir en était la parfaite illustration. L'hydre du terrorisme En accomplissant la mission de neutralisation du DRS, les nouveaux gouvernants d'Alger détiennent désormais les pleins pouvoirs. Cette situation n'est plus arrivée depuis le président Houari Boumediane (1932/1978), dont le pouvoir absolu avait semé les grains du soulèvement dix ans après sa mort, également sur fond de crise pétrolière. Ironie de l'histoire, l'Algérie d'aujourd'hui présente de grandes ressemblances avec cette description, à savoir un clan dominateur et un amenuisement des recettes pétrolières qui servaient à acheter la paix sociale à coups de milliards de dollars et de subvenions tous azimuts. En s'affranchissant du joug des services secrets, le pouvoir algérien se trouve, cependant, devant une opportunité historique de remettre le pays sur les rails à travers une véritable transition démocratique et l'assainissement des relations avec ses voisins, ce qui ne peut qu'être bénéfique à l'ensemble de la région exposée à de réelles menaces terroristes, et non plus potentielles. Cernée par les sables mouvants de la Libye, de la Tunisie et du Mali, l'Algérie ne pourra pas se prémunir seule du péril du drapeau noir, comme le prétendait le général Toufik qui opposait un niet catégorique à toute coopération régionale et globale contre l'hydre du terrorisme. Les mouvements subversifs partout dans le monde prospèrent sur le dos des divisions des pays, l'impertinence des analyses des uns et le donquichottisme des autres. Le DRS saura-t-il se libérer des appréhensions fantasmagoriques du général Toufik et des clivages chimériques sciemment et intelligemment cultivés ?