Pas de sacralité de la période de l'Aïd Al Fitr pour les terroristes jihadistes. 90 personnes, dont 15 enfants, ont péri vendredi dernier, dans un attentat-suicide au marché de la ville de Khan Bani Saâd, en Irak, signé Da'ech. Le lendemain, samedi, à proximité du Maroc, de l'autre côté de l'Oued Isly, ce sont 14 soldats algériens qui se sont fait massacrer par des combattants d'AQMI, lors d'une embuscade dans la Wilaya de Aïn Defla, au nord du pays. Le jour même, l'armée égyptienne est montée à l'assaut des positions de la branche locale de Da'ech, avec l'appui de l'aviation, dans le nord du Sinaï, et réussit à éliminer 59 jihadistes, mais perdu 7 de ses soldats. Le jour d'après, dimanche, 5 voitures piégées ont explosé simultanément, à Gaza, ciblant des membres des branches militaires du Hamas et du Jihad islamique. Même si ces derniers attentats n'ont pas été revendiqués, les doutes pèsent sur des groupes salafistes palestiniens soutenant Da'ech. Pour des mouvements prétendant défendre l'Islam, les takfiristes-jihadistes ont surtout prouvé qu'ils pouvaient rendre la vie infernale aux Musulmans, leurs principales victimes. Et si les loups ne se mangent pas entre eux, les islamistes, par contre, s'entredévorent avec ferveur et détermination. Comme dans la fiction cinématographique américano-britannique, datant des années 80, Highlander, la règle primordiale dans le microcosme des groupes terroristes jihadistes s'avère être qu'« il ne peut en rester qu'un ». Si ces énergumènes ne se sentent même pas solidaires entre eux, il est évident que la communauté des Musulmans n'a aucune compassion à en attendre. Une grande muraille contre le terrorisme Les Marocains doivent leur quiétude autant à leurs services de sécurité, dont l'efficacité en matière de lutte préventive contre le terrorisme n'est plus à démontrer, qu'aux autres instruments, socioéconomiques, politiques, juridiques et d'encadrement religieux, à travers lesquels le Royaume active sa stratégie d'affrontement. Au point qu'une feuille de chou du pays voisin de l'Est en est arrivée, dernièrement, à accuser le Maroc d'avoir passé un pacte avec le sataniste en chef, Abou Bakr Al Baghdadi, dans le but d'en exorciser la menace. Pour conjurer le mauvais œil et les terroristes qui vont avec, la clôture qui longe les frontières maroco-algériennes de Saïdia à Jerada sur 120 km semble bien insuffisante. Il a fallu, l'année dernière, que les Forces Armées Royales soient déployées le long des dites frontières, autant qu'autour des sites stratégiques à l'intérieur du Royaume, pour parer à toute éventualité, depuis que les groupes terroristes jihadistes prolifèrent dans la zone de non-droit qu'est devenue la Libye. Tout ça coûte énormément d'argent, que le Maroc aurait préféré investir pour stimuler son développement. La menace terroriste jihadiste est, en fait, bien plus proche que l'opinion publique nationale ne semble s'en apercevoir. L'immensité désertique qui s'étend entre le Maroc et la Mauritanie est infestée de contrebandiers et de jihadistes, au point de porter le surnom évocateur de « Kandahar ». Plus proche encore, des monstres takfiristes, tapis au sein de la société marocaine, qui les a elle-même engendrés, errent telles des âmes damnées sur Internet, en quête d'encadrants da'echiens pour leur apprendre à tuer et à terroriser. Car, ce qui explique l'expansion de Da'ech dans le monde arabo-musulman, comme auparavant d'Al Qaïda, sa génitrice, c'est le ralliement volontaire de groupuscules locaux à ces organisations terroristes. Plus de questions que de réponses La différence entre la bande à Zawahiri et celle à Baghdadi, c'est que la première est essentiellement une franchise, avec pour objectif d'instaurer un pseudo-califat partout et à la fois, dans le Monde musulman. Alors que Da'ech a la prétention de commencer par se constituer en entité étatique dans les territoires qu'elle occupe, en Irak et en Syrie, en attendant de l'étendre par la conquête militaire... à l'ensemble de la planète ! Pour les initiés à l'Histoire du mouvement marxiste, cette distinction politico-idéologique entre Al Qaïda et Da'ech n'est pas sans rappeler celle entre staliniens et trotskystes, du temps de l'Union soviétique naissante. Pas la peine de souligner que Da'ech est une singularité, c'est le moins que l'on puisse dire à son sujet. Même si les effectifs de Da'ech ne devaient être que de 30.000 combattants, estimation la plus basse (certaines sources vont jusqu'à les chiffrer à 80.000), n'importe quel militaire vous dira qu'une telle armée exige un soutien logistique d'une telle ampleur et d'une telle complexité, surtout pour des troupes en guerre, qu'il ne saurait être à la portée d'une simple organisation terroriste. Pour mettre cette problématique en relief, il suffit de prendre un exemple très simple. Si l'on ne devait donner qu'un pain par jour à chaque combattant, ça fait déjà 30.000 à 80.000 pains à fournir quotidiennement. Ca fait combien de sacs de farine ? Combien de boulangeries pour les produire ? Combien de bouteilles de gaz pour les cuire ? Combien de camions pour les distribuer... Et ce chaque jour que Dieu fait. Quant à gérer 10 à 12 millions de personnes, estimation de la population actuellement placée sous la botte de Da'ech sur une partie des territoires d'Irak et de Syrie, soit un poids démographique équivalent à celui de la Tunisie, la Belgique ou la Guinée, nul besoin de souligner que c'est une tâche colossale que l'on voit mal assumée par les mercenaires jihadistes, payés mensuellement 300 euro par l'organisation terroriste, que l'on sait faiblement instruits dans leur majorité. C'est tout autant une question de compétences que de moyens. Si ces derniers sont disponibles pour Da'ech, via des donations, le trafic de pétrole extrait en Syrie, le racket et autres activités fort peu islamiques, d'où peuvent bien provenir les premières ? Sanctuarisation non-garantie Da'ech, c'est une recette quotidienne de 800 millions de dollars, tirée de la vente du pétrole, et un budget de quelque 2 milliards de dollars, au titre de l'année 2015. La seule production d'un film de 16 minutes comportant une exécution publique, qu'affectionne particulièrement Da'ech, a été estimé par des experts à 200.000 dollars. Il y a beaucoup de zones d'ombres concernant Da'ech, sa genèse, sa montée en puissance, son mode de fonctionnement et même la composition de son encadrement militaire, civil et politico-idéologique. Ce qui est toutefois évident, c'est qu'il s'agit d'une organisation terroriste parfaitement organisée et non-dénuée de ressources, qui exploite au mieux l'effort d'endoctrinement, mené des décennies durant auprès des populations et communautés musulmanes, par des organisations islamistes ayant pignon sur rue, pour étoffer son recrutement. La pire des choses à croire pour les Marocains, c'est en une sanctuarisation formellement pérenne de leur pays. La lutte contre le terrorisme est une mobilisation de tous les instants, un effort de vigilance qui ne doit jamais défaillir, une capacité d'anticipation qui ne saurait être prise à défaut. L'ennemi guette et frappe là où il sait pouvoir faire le plus de mal, à moindre frais. En attendant la mort naturelle En ciblant des touristes, le commando da'echien, qui a frappé dernièrement, à Sousse, en Tunisie, savait pertinemment qu'il assenait là un coup dur à un secteur d'activités vital pour l'économie tunisienne. Et peu importe aux jihadistes que des dizaines, voire des centaines de milliers d'emplois, soient ainsi menacés. Leur objectif est clairement de mettre leurs pays à genoux, non de les redresser. La guerre contre le terrorisme, estiment les Américains, va prendre de longues années, ce qui est quelque peu exagéré. Au rythme où les terroristes jihadistes commettent leurs crimes, montés en scène de manière spectaculaire, le soutien dont ils bénéficient jusqu'à présent auprès de certaines catégories des populations arabo-musulmanes ne va pas tarder à s'éroder. Les franges de la société arabo-musulmane sensibles au discours takfiriste sont essentiellement rétives aux changements socioculturels, subis plutôt que désirés, mais n'en demeurent pas moins assoiffées de sécurité, de stabilité et de prospérité. A l'exemple des groupes anarchistes violents qui ont terrorisé l'Europe au début du siècle dernier, les mouvements takfiristes jihadistes vont finir par s'éteindre de mort naturelle, plutôt que sous les coups que n'ont pas manqué de lui assener les polices du vieux continent. Mais d'ici à ce que ses fous furieux et meurtriers daignent disparaître et laisser leurs peuples vivre en paix, il serait irresponsable de baisser la garde. En fin de compte, le meilleur vaccin contre le terrorisme, c'est une population sensibilisée quant à son rôle primordial dans cette guerre non-conventionnelle, qui veille elle-même à identifier et localiser les cellules cancéreuses qui apparaissent dans le tissu social, afin de les éradiquer avant métastase. Tout en s'immunisant contre les sources du mal. Leur pays qu'on leur jalouse, c'est aux Marocains de le défendre et le protéger.