M. Driss Jettou, Premier président de la Cour des comptes, a fait, mercredi 6 mai, un exposé devant les deux Chambres du Parlement, réunies en séance plénière, consacré au missions des juridictions financières qui ont fait l'objet d'un rapport de cette institution, au titre de l'année 2013, et qui a été présenté dernièrement à Sa Majesté le Roi. La première partie de l'exposé de M. Jettou a été consacrée à la situation de l'économie nationale entre 2012 et 2014 et à ses nombreux dysfonctionnements et distorsions, comme le financement de l'investissement par l'emprunt et la dette publique dont le niveau est devenu critique. La Cour des comptes a tiré la sonnette d'alarme sur plus d'un dérapage et noté l'arrêt des projets stratégiques en dépit du recul des dépenses de compensation, ce qui obère l'économie et l'activité des entreprises. M. Jettou a annoncé la réalisation, par la Cour des comptes, d'une étude sur la promotion de l'économie nationale à partir du tourisme, de l'investissement et des exportations eu qui a révélé l'archaïsme et les insuffisances des institutions et des politiques en charge de ces secteurs. Rappelant, tout d'abord, la présentation à Sa Majesté le Roi, puis au chef du gouvernement et aux Présidents des deux Chambres du Parlement du rapport de la Cour des comptes au titre de l'année 2013, par le Premier Président de cette institution, M. Driss Jettou a précisé que cette institution a renforcé son contrôle de la gestion des entités publiques qui s'est traduit par la hausse du nombre des missions de contrôle qui s'est élevé à 143 missions (dont 16 conduites par la Cour supérieure des comptes et 127 par les Cours régionales des comptes, contre 109 missions en 2012 et 78 missions en 2011. Ces missions se sont focalisées sur l'élaboration de rapports thématiques qui vivent l'évolution des projets et des politiques, la meilleure utilisation des finances publiques et l'amélioration des méthodes de gestion. M. Driss Jettou a donné des précisions sur le rapport relatif à l'exécution de la loi de finances 2012 et la déclaration générale des comptes des comptables publics individuels avec les comptes globaux de l'Etat. Il a précisé que, selon les données définitives relatives à l'exécution de la loi de finances 2012, des difficultés sont apparues telles qu'elles ressortent de certains indicateurs, reflétant des résultats exceptionnels, et que notre pays n'a jamais connues auparavant. - Hausse de la masse salariale de 13% par rapport à 2011 et qui a atteint 96 milliards de dirhams ou 11,7% du PIB. - Dépenses, de la caisse de compensation qui ont atteint 54,87 milliards de dirhams représentant 6,6% du PIB au lieu de 2 ,7% en moyenne entre 2005 et 2010. - Elargissement du déficit budgétaire qui a atteint 7,4% du PIB. La dette du Trésor s'est accrue d'un montant de 62,8 milliards de dirhams au cours de cette année pour atteindre 493,7 MMDM représentant 59,6% du PIB et une hausse de 14,6% par rapport à 2011 qui a atteint le niveau le plus élevé comparativement avec les huit dernières années. Dans le domaine de l'investissement, les dotations allouées de 2011 à 2012 ont atteint plus de 18,5, milliards de dirhams, soit 32% du budget d'investissement au titre de la loi de finances de cette année, ce qui est à considérer comme un indicateur de la lenteur des réalisations des investissements publics. Devant cette situation, des mesures urgentes ont été prises au cours de 2013 visant particulièrement la maîtrise du volume des dépenses publiques, et dont on peut citer : - La réduction du rythme de progression des dépenses publiques, qui s'est traduite par le gel de l'exécution d'une part des budgets sectoriels pour un montant de 15 MMDH à partir d'avril 2013. - Arrêt des engagements des dépenses publiques au cours des deux derniers mois de l'année. - Début de mise en œuvre par le gouvernement de la décompensation progressive touchant les prix de quelques produits énergétiques à partir du dernier trimestre de 2013, et de la réduction des dépenses de la compensation confortée par le recul des prix mondiaux des produits énergétiques et alimentaires de base. Ce qui a conduit à un recul de 24% de ces dépenses qui se sont stabilisées à 41,6 MMDM à la fin de l'année. Concernant l'analyse de la situation au titre de l'année 2014, et en référence aux données établies par le ministère de l'Economie et des Finances, M. Driss Jettou a fait remarquer que le déficit budgétaire a reculé pour passer de 7,4% en 2012 à 5,5% à 2013 et 4,9% en 2014. Cette amélioration est le résultat des mesures qui se sont traduites par des hausses des prix des produits et une stabilisation relative des dépenses, ainsi que de facteurs comme : - Les recettes exceptionnelles en provenance des grands établissements et sociétés publics, que des produits fiscaux à la suite d'opérations exceptionnelles au titre de l'impôt sur les sociétés et les droits de timbre. - Recettes non fiscales sous forme de soutien de la part de pays amis auxquelles s'ajoutent les recettes de privatisation. - Recettes de la contribution libératoire au titre des avoirs et biens détenus à l'étranger, pour un montant de 2,3 milliards de dirhams, et qui ont été affectés au fons de cohésion sociale. La décompensation partielle a contribué, depuis le 16 octobre 2013, ainsi que la levée des subventions aux produits pétroliers liquides à partir de janvier 2014, au recul des dépenses de compensation qui ont atteint 32,6 milliards de dirhams. M. Driss Jettou a fait remarquer que de nombreux projet à caractère stratégique, sur lesquels ont porté les recommandations de la Cour des comptes, n'ont pas été activés malgré les conditions favorables instaurées à la suite du repli des prix mondiaux des produits énergétiques et des produits alimentaires de base. Parmi ces recommandations, M. Jettou cite : - La reconstitution des réserves de produits énergétiques et développement des infrastructures de stockage en vue d'assurer l'approvisionnement normal du marché national et en ces produits. - Activation du Plan national de gaz naturel liquide, et ce, par la réalisation du port gazeux et du réseau de distribution de gaz. - Mise en œuvre du programme d'efficacité énergétique qui n'a pas connu, jusqu' à présent, un début d'exécution, et son attribution à une entité publique dotée des capacités à cet effet. - Considérant le transport par chemin de fer comme demeurant à l'heure actuelle le plus économique et le plus sûr pour les marchandises et les passagers, une insistance particulière doit être accordée au programme d'investissement ambitieux préparé par l'Office National des Chemin de Fer, ainsi qu'à l'établissement entre l'Etat et l'ONCF d'un contrat-programme, et ce, en vue de la réalisation des investissements permettant de relever les défis auxquels le Maroc est confronté dans ce domaine. Sur un autre plan, le premier président de la Cour des Comptes note, au titre de l'année 2014, la hausse de la masse salariale qui a atteint 101,6 milliards de dirhams représentant 11,2% du PIB et qui atteindront 16% du PIB avec les charges sociales. M. Jettou note que les principaux dysfonctionnements qui affectent la masse salariale résident dans sa progression de manière spontanée et en l'absence de mécanismes de contrôle et de maîtrise, ce qui induit des conséquences néfastes sur les équilibres financiers et économiques. Cette situation a conduit la Cour des comptes à programmer une étude d'évaluation en vue de l'identification du système de la fonction publique, de la masse salariale des fonctionnaires, ainsi que la détermination des moyens de réforme pouvant être mis en œuvre dans ce domaine. Il est attendu que cette étude devrait être disponible avant la fin de l'année en cours. Eu égard à la relation existant entre la politique des salaires et l'équilibre des régimes de retraite et leur pérennité, la réforme de ces systèmes est une nécessité urgence. Etant donné que l'importance de cette question nécessitant des solutions globales, M. Driss Jettou a recommandé que la réforme préconisée ne s'arrête pas au système de pensions civiles de la Caisse Marocaine de Retraite, mais doit porter l'ensemble des autres systèmes et qu'elle vise à éloigner les perspectives de leur pérennité et a réduire leur endettement avec la réalisation d'un niveau d'harmonie entre les critère fondamentaux des différents régimes en vue d'un rapprochement de leurs règles de base et, en conséquence, la réunion des conditions de leur intégration. La Cour des Comptes recommande de réfléchir à une réforme globale dont la conception et l'agenda en vue de sa réalisation s'inscrivent dans une feuille de route déterminée dans une loi-cadre, en accord avec toutes les parties concernées : gouvernement, acteurs économiques et sociaux, et ce, en prenant en considérations le pouvoir d'achat des adhérents et des retraités et les conditions de travail des employés et des fonctionnaires, M. Jettou fait remarquer, d'autre part, que les dépenses de la dette publique du Trésor a connu une importante augmentation en 2014 et que, pour le financement du déficit du budget, le Trésor a recouru à l'emprunt intérieur et extérieur. Cet emprunt a contribué à l'accroissement du volume de la dette publique qui a atteint 586 milliards de dirhams à fin 2014, constituée à hauteur de 76% par la dette intérieure. La dette du Trésor représente 63,9 du PIB. La dette publique globale est passée de 678 MMDH en 2013 à 743 MMDH en 2014, représentant 81% du PIB. La Cour des Comptes réaffirme la nécessité de vigilance et de prudence devant la tendance à la hausse de la dette publique, que ce soit la dette directe du Trésor ou les dettes du secteur public, ainsi que la dette garantie par le Trésor. En vue de l'amélioration des indications économiques, il est nécessaire de maîtriser les dépenses ordinaires, d'augmenter les recettes, de poursuivre les réformes nécessaires, dont la réforme fiscale qui doit viser l'élargissement de l'assiette fiscale. En relation avec cette réforme, il est nécessaire d'accorder l'importance aux dépenses fiscales, considérées en elle-mêmes comme des recettes, qui ne bénéficient pas au Trésor. A cet effet, la Cour des Comptes a élaboré un rapport spécial consacré aux dépenses fiscales qui traite de la problématique des exonérations et des encouragements fiscaux évalués annuellement par le gouvernement. Rappelant que les équilibres macro-économiques sont reliés à un autre indicateur, en l'occurrence la balance commerciale, M. Driss Jettou en a rappelé les améliorations en liaison avec la baisse de la facture pétrolière l'amélioration des transferts nets et les IDE. Il a rappelé les missions d'évaluation menées par la Cour des Comptes auprès de plusieurs acteurs du secteur, et a précisé que la Cour a programmé une étude thématique globale sur la promotion économique au Maroc et dont les résultats seront publiés prochainement. Ceux-ci peuvent être résumés comme suit : - Importance des ressources financières et humaines allouées par l'Etat en faveur des entités concernées directement par la promotion économique, et dont les 10 premières disposent d'un effectif de 1.150 personnes, dont la plupart sont des cadres supérieurs, et d'un budget de 3 milliards de dirhams par an. - Absence d'intérêt pour les évaluations des résultats des différentes opérations de promotion, sachant qu'elles absorbent des sommes considérables, et ce, en vue de mesurer leur impact et leur efficacité et d'en corriger l'orientation, si besoin est, suivant une approche de marketing scientifique et moderne sous la supervision de ressources humaines spécialisées. - La multiplicité des intervenants institutionnels dans le tourisme, l'investissement et l'export et absence d'une approche globale, intégrée et harmonieuse pour soutenir l'économie marocaine et le produit national. Les entités travaillent de manière isolée et produisent parfois des données et des messages contradictoires, ce qui n'aide pas à établir une image claire et stable des domaines concernés. - Certaines institutions poursuivent leurs activités en dépit du changement radical du contexte économique qui a accompagné leur création. Ainsi, par exemple, l'Office de commercialisation et d'exportation continue de mener ses opérations malgré qu'il ne soit plus efficace dans le domaine de l'exportation. - Exploitation insuffisante des nouvelles opportunités offertes par les services de l'Internet et des sites électroniques commerciaux. - Absence d'une politique de commercialisation forte en vue d'accéder aux marchés prometteurs au lieu de se cantonner sur les marchés traditionnels, en particulier européens. - recul de la compétitivité des éléments traditionnels de l'offre marocaine, en particulier dans les domaines des ressources humaines, en ce qui concerne leur coût, leur rentabilité, leurs aptitudes professionnelles et linguistiques, sachant que ces éléments étaient considérés comme étant des avantages pour le Maroc sur les marchés internationaux. M. Jettou a fait remarquer que la concurrence à laquelle l'économie marocaine se trouve aujourd'hui confrontée dans les domaines des exportations, du tourisme et de l'attractivité des investissements est devenue plus féroce et ne met pas seulement à contribution les concurrents traditionnels du Maroc, mais englobe des pays d'Asie, d'Afrique et d'Europe, ce qui impose de multiplier les efforts en vue du renforcement de la compétitivité et de l'attractivité du produit marocain. L'étude que la Cour des comptes, réalisée sur un groupe de pays ou de régions performants comme Singapour, l'Espagne, le Grande-Bretagne, la Finlande, la Turquie, les Emirats Arabes Unis, a montré que ces derniers se sont inscrits, depuis deux ans, dans la politique dite de « Nation Branding », prenant en considération les forces du commerce extérieur, de l'investissement et du tourisme, le soutien aux exportations, et s'appuyant sur le rôle du réseau de la représentation diplomatique à l'étranger. Il apparaît que la mise en place d'une politique publique de promotion de l'économie nationale nécessite une structuration intelligente des institutions efficaces, et ce, par leur organisation en grands pôles (investissement, tourisme, export), et en découvrant les meilleurs atouts du Maroc, telles que sa valeur sociétale, sa stabilité politique et institutionnelle, ses richesses environnementales et historiques, ainsi que ses relations culturelles riches et variées avec le reste du monde. Une telle approche est à même de faire gagner des points supplémentaires à l'attractivité et à la compétitivité de l'économie marocaine, ce qui est conforme à l'esprit du discours royal de la Fête du Trône de 2014 concernant la valorisation du capital immatériel du Maroc. Le premier président de la Cour des comptes a abordé, dans la seconde partie de son exposé, les missions des juridictions financières objet du rapport de cette institution au titre de 2013 relatives aux programmes à caractère social comme la santé, l'habitat et l'enseignement. En ce qui concerne la déclaration obligatoire du patrimoine, M. Jettou a précisé que la Cour des comptes a commencé à appliquer les mesures légales prévues pour les assujettis qui ont failli à l'obligation de déclaration, et ce, en soumettant leurs dossiers aux services concernés afin qu'ils prennent les mesures nécessaires dans ce cadre. M. Jettou a rappelé les contraintes qui pèsent sur l'opération de suivi et de contrôle des déclarations de patrimoine et qui sont représentés essentiellement par l'éparpillement des lois qui les organisent, la multiplicité des catégories assujetties, ainsi que le volume considérable des déclarations, ce qui rend impossible un contrôle dans des conditions qui assurent l'équité et garantissent les droits des déclarants. Le président de la Cour des comptes a affirmé qu'il est devenu nécessaire de hâter l'élaboration d'un code unifié conforme aux nouvelles dispositions de la Constitution et permettant de dépasser les difficultés rencontrées et de réaliser les objectifs représentés par le lien entre la responsabilité, la reddition des comptes et la préservation des deniers publics.