La nouvelle arme des terroristes : utiliser cyniquement la menace d'un «chaos en Méditerranée» pour empêcher l'Europe d'intervenir en Libye. Par ailleurs, la Libye a demandé du Conseil de sécurité des Nations Unies une levée de l'embargo sur les armes. «Si vous engagez des forces armées en Libye, nous vous envoyons 500.000 migrants» : tel est en substance le message envoyé par les jihadistes de la franchise libyenne de Da'ech au gouvernement italien. Le ministre italien des affaires étrangères, Angelino Alfano, avait affirmé, lundi 16 février, que la Libye devait être la «priorité absolue» pour la communauté internationale, et qu'il n'y avait «pas une minute à perdre». «Si les milices de Da'ech avancent plus vite que les décisions de la communauté internationale, nous avons le risque d'un exode sans précédent», avait-il. Plus prudent, Matteo Renzi avait fait savoir que «ce n'était pas le moment pour l'intervention militaire», le ministre de la défense a lui affirmé que le pays était prêt à mobiliser 5000 soldats pour lutter contre Da'ech en Libye. L'Italie est en première ligne, à 350 kilomètres seulement des côtes libyennes. Sur la séquence vidéo de l'assassinat des 21 coptes, avant que leur sang ne baigne dans la Méditerranée, un des jihadistes avertit : «Nous sommes au sud de Rome». Le dossier libyen est désormais au cœur de l'actualité médiatique en Italie : le pays est sous extrême tension, craignant à tout moment une attaque. Dans ces conversations téléphoniques, interceptées par la police italienne, Da'ech envisagerait de recourir aux migrants comme une «arme psychologique» contre l'Europe, et en particulier contre l'Italie si celle-ci intervenait en Libye. Ces écoutes révèlent que les jihadistes menacent d'envoyer des milliers de barques remplies de migrants vers les côtes italiennes. Ils parlent de «500.000 migrants» soit la majorité des 700.000 qui attendent d'embarquer sur les côtes libyennes. Les jihadistes émettent l'hypothèse d'envoyer à la dérive, direction l'Italie, des centaines de barques remplies de migrants, dès le moment que ce pays évoquerait une intervention armée en Libye. Plus de 170.000 migrants sont arrivés en Italie par bateau l'an dernier. Les passeurs de migrants utilisent une nouvelle technique, celle des «bateaux-fantômes». Il s'agit de lancer des cargos d'occasion ou des bateaux attendant la casse remplis à ras-bord de migrants, et envoyés à la dérive dans la Méditerranée, sans conducteur, pour obliger les équipes de sauvetage à intervenir. La prédiction de Kaddhafi En occasionnant un désastre humanitaire, l'objectif de Da'ech serait de créer le «chaos» en Méditerranée, prédit par le colonel Kadhafi avant sa mort. Lors de sa dernière interview en mars 2011, l'ancien dictateur libyen Mouamar Kadhafi, renversé en 2011 grâce à l'appui des occidentaux, avait fait cette funeste prédiction : sans lui, la Méditerranée deviendrait « la mer du chaos ». « L'Occident a le choix entre moi ou le chaos terroriste » avait également prévenu l'autocrate. «La Libye est une porte d'entrée stratégique, une rampe de lancement pour couper la route maritime aux ‘croisés' et un moyen de semer la ‘pandémie' dans les villes méridionales de l'Europe» estime le chercheur Charlie Winter, du think-thank britannique Quilliam, qui a publié un rapport sur le sujet. Au lendemain de ses frappes contre les positions de Da'ech à Derna, le Caire avait plaidé pour l'envoi d'une force internationale en Libye et demandé une réunion du Conseil de sécurité. Cette demande faisait suite à la diffusion de la vidéo des décapitations, dimanche, de 21 coptes égyptiens enlevés à Syrte en décembre par Da'ech. Finalement, mercredi soir, le ministère égyptien des Affaires étrangères a annoncé qu'il n'y avait « aucune demande d'intervention militaire étrangère » en Libye dans le projet de résolution présenté par les pays arabes au Conseil de sécurité de l'ONU. Plusieurs pays occidentaux semblent avoir dissuadé l'Égypte, en plaidant plutôt pour une solution politique, même si aucune négociation ne paraît envisageable avec Da'ech, qui a fait son apparition en novembre en Libye et qui contrôle déjà en partie deux villes : Syrte et Derna. L'Italie avait également proposé l'envoi d'une force de 5 000 hommes sur place. Mais mercredi soir, cette option a donc semblé écartée par la communauté internationale. En revanche, la Libye et l'Égypte ont demandé au Conseil de lever l'embargo sur les armes qui vise Tripoli, afin que le pays puisse constituer son armée et combattre Da'ech. « La Libye a besoin de mesures décisives de la part de la communauté internationale, afin qu'elle l'aide à constituer son armée. Et cela proviendra d'une levée de l'embargo sur les armes qui permettra à notre armée de recevoir du matériel et des armes et de pouvoir contrer le terrorisme », a déclaré le ministre libyen des Affaires étrangères Mohamed Daïri. Face aux membres du Conseil, le chef de la diplomatie libyenne a dressé un tableau bien sombre de la situation, décrivant un pays en plein chaos. Il assure que si rien n'est fait, la Libye deviendra un havre de paix pour les terroristes de tous bords, qui pourrait entrainer dans sa spirale de violence tout le bassin méditerranéen et menacer l'Europe. Mohamed Daïri regrette enfin que la Libye soit sortie des radars occidentaux : « La situation en Libye a été ombragée par l'attention de la communauté internationale jusqu'à présent à Da'ech en Syrie et en Irak. Je ne comprends pas l'absence de réponse, de stratégie internationale. » Sa demande a été appuyée par le ministre égyptien Sameh Choukri, qui a également demandé « des mesures concrètes pour empêcher les milices non-gouvernementales et autres entités d'acquérir des armements en imposant un blocus naval contre les armes envoyées vers des zones que les autorités légitimes ne contrôlent pas. » Le texte devait être transmis, hier, par la Jordanie, seul pays arabe membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais la proposition est loin de faire consensus. Demande de levée de l'embargo sur les armes Les diplomates du Conseil ne sont pas tous d'accord sur l'intérêt d'importer de nouvelles armes défensives dans un pays déjà très instable. Ils préfèrent déjà miser sur un règlement politique à la crise, et ce d'autant plus que les négociations seraient en bonne voie et qu'un gouvernement d'union nationale pourrait être annoncé dans les prochains jours, selon un diplomate du Conseil. « J'espère qu'un accord politique pourra être trouvé bientôt », a déclaré Le représentant de l'ONU en Libye, Bernardino Léon, s'adressant par vidéoconférence au Conseil de sécurité. Il ajoute : « Les divergences entre les parties ne sont pas insurmontables ». Depuis des mois, il y a deux grands camps, deux autorités, en Libye : Tripoli, à l'ouest, et Tobrouk, à l'est. Dans chacune de ces villes siège une assemblée défendue par des groupes armés ennemis. A Tripoli se tient une première assemblée dominée par les islamistes (Frères musulmans). Elle est soutenue par les milices de la ville de Misrata, un des hauts lieux de la révolution, à 200 km à l'est de Tripoli. A l'étranger, cette coalition qui se fait appeler « Fajr Libya », Aube de la Libye, bénéficie de la bienveillance du Qatar et de la Turquie. A Tobrouk, près de la frontière égyptienne, siège une deuxième assemblée, plus modérée, libérale. Elle peut compter sur les milices de Zintan, autre bastion révolutionnaire, ainsi que sur les forces du général Khalifa Haftar. De retour d'exil aux États-Unis, soutenu par des militaires libyens, cet officier à la retraite dit vouloir purger le pays des «terroristes». Les autorités de Tobrouk sont les seules reconnues par la communauté internationale. Elles ont l'appui de l'Égypte et des Émirats arabes unis.