En trois jours, deux enfants musulmans, le premier de 8 ans, à Nice, et le deuxième de 9 ans, à Villers-Cotterêts, se sont retrouvés conduits et interrogés dans des commissariats de police, sous l'accusation d'«apologie du terrorisme». Les raisons pour lesquels ces deux gamins sont passés du rang de simples mômes à celui de mini «Ben Laden» ? L'un a refusé d'observer, en classe, une minute de silence à la mémoire des journalistes de Charlie Hebdo, l'autre seulement pour avoir dit «Allah Akbar». On ne serait pas étonné si, prochainement, les commandos du GIGN ou du RAID prennent d'assaut une école maternelle ou une garderie parce qu'un enfant musulman y aurait prononcé des termes ou expressions largement usitées chez les Musulmans. Demander à des enfants, en classes primaires, d'observer une minute de silence, à la mémoire de qui que ce soit, est, en soi, fort inconvenant. Les parents envoient leurs enfants à l'école pour les instruire, pas pour qu'on leur trouble l'esprit avec des sujets qui, pour leur tranche d'âge, les dépassent de très loin. Encore moins pour les obliger à regarder la caricature d'un prophète, représenté nu, comme ce fut le cas, il y a une quinzaine de jours, dans un collège, à Mulhouse, en France. Contrairement à ce qu'on aurait pu imaginer, l'arrestation scandaleuse par la police de deux enfants dans des établissements scolaires primaires, sous le prétexte comique, si ce n'était triste et révoltant, d'apologie du terrorisme, n'a pas suscité véhément scandale au sein de l'opinion publique française. Certaines personnalités politiques et médias de ce pays ont eu même l'outrecuidance de trouver des justifications à ces comportements, pourtant honteux. Malgré elle, la France s'enfonce lentement, mais sûrement, dans l'islamophobie, une dérive fasciste qui n'est pas sans rappeler l'antisémitisme décomplexé qui a sévi dans ce pays avant la deuxième guerre mondiale. Comme ce fut déjà le cas à cette époque, la crise économique et ses conséquences sociales attisent la crainte et le rejet de l'altérité, que des politiciens sans envergure se plaisent, dans leurs discours, à légitimer et conforter au sein de la société, faute de solutions efficientes pour résoudre les vrais problèmes dans lesquels le pays est embourbé. Personne n'ira faire croire aux musulmans de France, ni à ceux du monde entier d'ailleurs, que l'expression «Allah Akbar», qui veut dire tout simplement «Dieu est grand», est inconnue ou peut sembler étrange aux Français. Il y a un bon millier d'années, les plus érudits d'entre eux, ensuite les Croisés aussi, savaient déjà ce qu'elle signifie. Depuis une bonne centaine d'années, même les moins alphabétisés des Français en connaissent le sens, d'abord à travers le contact avec les populations des pays musulmans colonisés et, par la suite, l'installation en France d'une importante communauté d'immigrés musulmans, majoritairement issus d'Afrique du nord et de l'ouest. La France irait donc mal. Preuve en est qu'elle se cherche des boucs émissaires, actuellement l'Islam et les Musulmans, pour exorciser ses propres démons. De quel droit les musulmans de France sont-ils sommés de démontrer qu'ils n'ont rien à voir avec les auteurs des attentats du 7 janvier à Paris, alors que l'un des policiers exécutés ce jour là était musulman et que les Musulmans sont les premières victimes des jihadistes, dans les pays où ces derniers sévissent depuis plus longtemps et à bien plus grande échelle ? Craintes existentielles et catharsis La France a, en réalité, mal à la composante musulmane de sa société, qu'elle ne peut s'empêcher de diaboliser, pour éviter d'avoir à traiter sérieusement les problèmes qui se posent avec cette communauté essentiellement issue de l'immigration, que les successifs dirigeants politiques français n'ont cru pouvoir intégrer qu'en la déracinant de sa culture originale, fortement marquée par sa religion. Ce qui a, forcément, produit l'effet inverse, poussant quelques jeunes musulmans français paumés, qui souffrent profondément de leur exclusion sociale et économique, dans les bras de prêcheurs radicaux, également agents recruteurs au service d'organisations jihadistes. S'en prendre à des enfants en bas âge sous l'accusation démesurée d'apologie du terrorisme est chose grave, encore plus quand c'est juste pour avoir formulé une expression à caractère religieux, néanmoins banalisée par son usage fréquent en de multiples et différentes occasions. Mais personne ne s'est interrogé sur la gravité des traumatismes causés à ces enfants, qui ont vu même leurs parents mis à l'index, implicitement accusés d'inculquer à leurs progénitures des principes religieux, qui seraient incompatibles avec ceux de la république. L'absence d'une vive réaction de la part des Français face à cette résurgence du fascisme dans leur pays, les Musulmans remplaçant cette fois-ci les Juifs dans le rôle de victimes expiatoires, est non moins choquante. Le ciel du pays des Lumières est, une nouvelle fois, assombri par des nuages chargés de haine ethnique et religieuse, qui rend non opérationnelles toutes les valeurs morales sensées constituer le socle d'une société civilisée. L'Islam et les musulmans de France ne sont pourtant pour rien, que ce soit dans la profonde crise économique et sociale que traverse ce pays, ou dans l'incapacité de la classe dirigeante française à considérer l'Islam pour ce qu'il est, une religion parmi les autres existantes au sein de la société, et les musulmans de France, en tant que citoyens à part entière, même si attachés à leurs spécificités religieuses et culturelles. Le ciblage de leurs enfants est un signal dangereux, émis à l'adresse des musulmans de France, leur descendance étant désormais ouvertement menacée de toutes sortes d'abus. Après quoi, les hommes politiques et commentateurs français vont trouver le moyen de s'insurger contre l'agressivité de jeunes musulmans, en perte de repères, qu'ils ont bêtement ou machiavéliquement tout fait pour radicaliser. L'islamophobie remplit actuellement en France, comme à travers une bonne partie l'Europe, une fonction catharsis, permettant aux Français et autres peuples du vieux continent d'expurger les multiples craintes existentielles refoulées, mais qui n'en taraudent pas moins leur inconscient collectif. Comment un Occident, au pouvoir déclinant, peut-il imposer mondialement sa culture, qu'il prétend universelle ? Sûrement pas, en tout cas, en embarquant au commissariat des enfants musulmans, arrachés de leurs salles de classe pour répondre de leur appartenance religieuse. «Allah Akbar», Dieu est grand, depuis l'aube jusqu'à la fin des temps, n'en déplaise aux petits esprits chagrins que cette expression semble terroriser. Puisse-t-il protéger de l'influence maléfique de ces derniers d'innocents enfants. Et ramener la « fille aînée » de l'Église sur le chemin de la vertu et la voie de la raison.