«Tu es Charlie ou pas ?». Un manichéisme très en vogue actuellement en France, qui consiste à diviser le monde entre ceux qui se sentent «Charlie», entendu comme érigeant le blasphème en droit, et ceux qui refusent de s'enfermer dans ce slogan simpliste, aussitôt taxés par des journalistes et commentateurs français comme ayant de la sympathie pour les terroristes qui ont commis le carnage du 7 janvier à Paris. Bien plus qu'une nuance, la différence entre condamner des assassinats terroristes et approuver des caricatures blasphématoires semble pourtant d'une limpide évidence. Ce n'est point le cas, semble-t-il, pour des esprits étroits, qui ne conçoivent la liberté d'expression que dégagée de tout sens de la responsabilité, et la laïcité qu'en tant que militantisme activement antireligieux. Le plus triste et qui ne manquerait pas d'agrandir la déchirure de la société française, c'est la sommation faite aux musulmans de France de se prononcer pour ou contre Charlie, ce qu'ils sont tout à fait en droit de refuser, s'étant déjà clairement prononcés contre le terrorisme. Ce qui est par contre, tout à fait écœurant, est la confusion des termes usités dans l'affaire des attentats de Paris, Islam bêtement confondu avec Islamisme et réduit de force à la conception jihadiste. Islamophobie s'avère, en tout cas, parfaitement adaptée pour décrire l'état d'esprit actuel qui règne en France. Les Français pourraient, pourtant, faire simple. Demander aux Musulmans comment ils appellent les illuminés meurtriers qui tuent, au nom de la religion, des gens qui partagent, pourtant souvent aussi, la même foi religieuse à laquelle ils prétendent se référer : «Terroristes» ! Le premier ministre français, Manuel Valls, n'a rien fait pour améliorer les choses, sur le plan sémantique, en tenant un discours devant l'Assemblée nationale de son pays où il a déclaré la «guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l'islamisme radical». Faire la guerre au terrorisme, on veut bien, les pays arabo-musulmans, dont le Maroc, mènent d'ailleurs cet affrontement depuis des années déjà. Faire la guerre au jihadisme est tout aussi à sa place puisque ce dernier renvoie illico à l'utilisation de la violence. Mais il serait peut être temps de définir avec précision ce qu'est l'Islam afin d'éviter de dangereux amalgames. «Nous sommes en guerre contre l'islamisme radical» a crié Manuel Valls. Soit. Mais qu'est-ce que l'Islamisme radical ? Lui trouve-t-on une définition dans le dictionnaire ? ça n'existe pas ! Pas plus qu'un autre Islam qui serait, par opposition au premier, modéré. Il n'y a qu'un seul Islam quand au dogme, mais diverses interprétations en sont faites, au même titre que dans le Christianisme et le Judaïsme. Le terme français «intégriste» a ainsi d'abord désigné une frange des Catholiques qui voulait s'en tenir à une lecture littérale des «Saintes écritures», avant d'être attribué à leurs sosies parmi les Sunnites. Ce qui ne signifie pas, pour autant, qu'il s'agit de gens violents. Islamisme est un terme qui a été conçu dans la seconde moitié du XXème siècle, désignant des courants politiques se réclamant d'une certaine lecture de la religion, qui est loin d'être partagée par tous les musulmans. Des intellectuels français qui maîtrisent ces sujets et sont capables de cadrer le sens d'une terminologie y afférant, malencontreusement utilisée à tort et à travers par les médias, existent bel et bien. Mais ce ne sont pas eux qu'on regarde et écoute sur les plateaux des chaînes de télévision. Ce ne sont plus les savants qui enrichissent le vocabulaire des hommes politiques et journalistes. Ce sont plutôt ces derniers qui jonglent avec des termes dont ils semblent ignorer le sens réel, quelque fois trop subtil pour être exprimé au travers de discours politiques et médiatiques d'un simplisme réducteur. Hommes politiques et médias français ont renoncé à leur rôle pédagogique auprès de l'opinion publique, perçue désormais plutôt comme une masse de consommateurs à qui il faut «vendre» un propos orienté, en flattant leurs plus vils instincts, alimentés par l'ignorance et son corollaire, la peur. Ibn Rochd (Averroès) disait à juste titre : «L'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine mène à la violence...» Voilà l'équation. L'ovation faite au sein de l'Assemblée nationale à la déclaration de guerre contre l'«Islamisme radical» témoigne d'un sentiment de satisfaction puéril, celui d'avoir évité un profond débat sur la complexité du phénomène de l'immigration à laquelle la France est confrontée depuis longtemps, chantant la Marseillaise pour mieux exorciser ce sentiment de flou de l'identité nationale. Cinq millions de citoyens Français sont majoritairement issus de l'immigration nord et ouest africaine. User de concepts imaginaires, c'est entretenir l'amalgame. C'est vouloir noyer le poisson, voire cacher une haine contre ces derniers. M. Valls a martelé devant l'Assemblée nationale, sous un ton engagé, qu'il était Charlie, qu'il était policier et qu'il était juif de France. Il a juste omis d'ajouter qu'il était aussi musulman de France ; ça aurait eu au moins le mérite de sauver l'apparence. De la même manière, la marche de Paris à laquelle le Maroc officiel, pleinement engagé dans la guerre contre le terrorisme, s'est abstenu de participer par souci de cohérence, fut placée sous le signe à parti pris flagrant "Je suis Charlie". L'esprit de justice aurait pourtant voulu que cette marche, officiellement organisée contre le terrorisme et contre l'antisémitisme, le soit aussi contre l'islamophobie. L'impact sur l'apaisement de la société française aurait alors été conséquent. Or, malheureusement, depuis les attentats meurtriers du 7 janvier, la communauté musulmane, ses lieux de cultes et symboles religieux sont la cible d'attaques racistes dûment comptabilisées, vaguement dénoncées, presque admises comme une conséquence «naturelle» des évènements récents. 116 actes «islamophobes» ont été enregistrés, en France, depuis des attentats du 7 janvier. Soit une hausse de 110% par rapport au même mois de l'année passée. 40% des Français considèrent, par ailleurs, la communauté musulmane comme une menace pour l'identité nationale. Voilà où M. Valls a failli pour avoir encouragé, sans même se rendre compte, le bal masqué du terrorisme et du racisme, qui ne fait pas dans le discernement. Et voilà pourquoi, comme il est plus judicieux de parler de terrorisme pour désigner les actes de violence perpétrés par des individus qui se sont mis eux-mêmes au banc de la société, ce dont les musulmans de France sont actuellement victimes relève du racisme le plus primaire.