L'écrivain américain Ambrose Bierce avait défini le voisin comme étant une «personne qu'on nous demande d'aimer comme nous même, et qui fait tout ce qu'elle peut pour nous faire désobéir». Le voisinage de l'Algérie correspond parfaitement à cette description. Samedi 18 octobre, à midi, au village marocain frontalier d'Oulad Saleh, à 30 kms d'Oujda, un soldat algérien a tiré sur un groupe d'une dizaine d'habitants du village, blessant un homme de 28 ans au visage. Salhi Razqallah, marié et père d'un enfant, a été évacué vers l'hôpital Al Farabi d'Oujda. Selon les médecins, s'il arrive à survivre à ses blessures, il n'en restera pas moins défiguré. Bien sûr, il y a eu la convocation par le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar, de l'ambassadeur d'Algérie à Rabat pour lui faire part des protestations des autorités marocaines et lui demander des explications. Et la déclaration lourde de sens du ministre de l'intérieur, Mohamed Hassad, à propos d'un incident similaire, datant du 17 février, les tirs avaient alors ciblé des gardes frontières marocains: «Quand on commence à tirer sur les populations et sur les gardes-frontières, on peut aboutir à des situations que l'on ne pas maîtriser», a-t-il souligné. Dans un communiqué officiel, le gouvernement marocain à appelé le gouvernement algérien «à assumer sa responsabilité conformément aux règles du droit international». Mais il y a surtout la dimension humaine du drame. En un clin d'œil, un homme a vu sa vie détruite, défiguré même s'il arrivait à rester vivant. Conséquence d'un geste aussi incompréhensible que criminel, qui est le fait d'un agent des forces de sécurité du pays voisin. Un simple incident exceptionnel et regrettable ? Ce n'est pas aussi simple que ça et cela date de bien avant le 17 févier dernier. En fait, les habitants des régions frontalières avec l'Algérie sont lassés des agissements provocateurs et irresponsables des gardes frontières algériens. Au cours de la réalisation d'un reportage le long du tracé frontalier avec le pays voisin, il y a quelques années déjà, notre accompagnateur a été on ne peut plus clair: «Il faut se méfier des gardes frontières algériens, qui ont la gâchette facile. Ils ont un cerveau pour dix, ils tirent sans réfléchir». Sont-ils efficaces pour autant ? Il y a à peine quelques jours, pas moins de 30.000 comprimés psychotropes, en provenance d'Algérie, ont été saisis au Maroc, a rappelé le ministre de l'intérieur. Les 1.500 kms de frontières entre le Maroc et l'Algérie sont une véritable passoire. Migrants clandestins, drogues, carburant, le flux des trafics illicites entre les deux pays fait fi de la fermeture desdites frontières, depuis 1994. L'édification en cours par les autorités marocaines d'une clôture, équipée de senseurs électroniques, sur une partie seulement du tracé, vise justement à sécuriser quelque peu le Royaume. Si les jihadistes algériens sont moins nombreux que leurs confrères marocains en Irak et en Syrie, c'est parce qu'ils sont déjà assez occupés à couper des têtes dans leur propre pays depuis plus d'une vingtaine d'années. Hervé Gourdel, qui était un habitué des montagnes marocaines, n'est malheureusement plus là pour expliquer ce qu'est le terrorisme «résiduel» dans le pays voisin. L'île Maroc Les Marocains ont de plus en plus l'impression d'habiter une île, séparée de l'Europe par la mer et du reste de l'Afrique par le désert. Au-delà d'Oued Isly, avant d'atteindre la Tunisie, il y a ce pays où soldats et jihadistes s'entretuent allégrement depuis deux décennies, sans s'en lasser, et qui n'exporte que des hydrocarbures, des terroristes, des psychotropes et des rafales de balles. Les dirigeants de ce pays nouvellement créé vouent, en outre, une haine aveugle au Royaume millénaire. Derrière leurs pompeuses ambitions, pseudo-géostratégiques, de leadership régional, se sont toujours cachés, en fait, des sentiments de jalousie des plus puérils. Les Marocains, qui n'ont ni gaz, ni pétrole pour cultiver une mentalité d'assistés, ont travaillé dur, accepté de bas salaires, ouvert leur pays aux investisseurs étrangers et mué leurs hommes politiques en VRP démarchant les marchés extérieurs, pour aller de l'avant et pouvoir un jour émerger sur la carte géoéconomique mondiale, à la sueur de leur front et au jus de leurs méninges. Les dirigeants et leurs sbires surexcités, irresponsables et provocateurs du pays voisin constituent dans les faits, au-delà de toute rhétorique unioniste, plus une tare à gérer qu'un avantage à exploiter. C'est peut être pénible de se l'avouer, mais c'est la triste réalité et il faut bien agir en conséquence, au mieux des intérêts des Marocains. Pour des raisons qui dépassent de loin les vaines querelles intermaghrébines, relevant plutôt du grand jeu d'échec géostratégique planétaire auxquels se livrent actuellement grandes puissances mondiales et puissances régionales du Moyen Orient, les prix des hydrocarbures ont décliné significativement et seront artificiellement maintenus bas pendant encore pas mal de temps. Ce qui veut dire moins de recettes en devises dans les caisses du pays voisin à l'économie rentière, situation qui va se traduire automatiquement par une aggravation de la tension sociale, le gouvernement algérien n'ayant plus les moyens d'acheter la paix sociale comme il s'est contenté de faire jusqu'à présent. Comme il n'est pas dans la culture politique d'Al Mouradia d'avouer au peuple algérien que les politiques suivies depuis des décennies ont mené au désastre, un désastre que le matelas de devises ne saurait cacher longtemps, il faut s'attendre dès à présent à ce que le Maroc joue à nouveau le rôle du bouc émissaire, celui qui a été érigé depuis bien longtemps «responsable» de tous les malheurs du voisin. Il n'y a rien de plus dangereux qu'un animal blessé qui se meurt. La «zen attitude» proverbiale des autorités marocaines est plus que jamais de rigueur. Pour stopper la sauvagerie, le meilleur recours est la loi.