«Ne point tolérer que des personnes soient victimes de différends intergouvernementaux» est la phrase clé du communiqué publié par le Cabinet Royal, jeudi 22 mai. Sur instructions du Roi Mohammed VI, le ministère de la Justice crée une commission en charge de traiter les cas des ressortissants français en grève de la faim détenus dans les prisons marocaines. Il est à rappeler que le caractère de la mesure est exceptionnel et humanitaire après la suspension par le Maroc de la convention d'entraide judiciaire qui le lie à la France. Suspension qui découle, elle-même, de la bavure française ayant consisté à envoyer des agents de police à la résidence de l'ambassadeur du Royaume à Paris à la recherche du directeur de la DGST marocaine. Depuis le retour au pouvoir des socialistes en France, les Marocains ont eu quelques appréhensions en raison du mauvais souvenir de rapports plus que tendus entre les deux pays du temps de Hassan II et François Mitterand. Mais, pragmatiques, ils s'imaginaient quand même que la raison allait l'emporter sur les sensibilités idéologiques. D'autant plus que, d'une part, le Maroc a profondément changé avec le nouveau règne et avec l'arrivée de nouvelles générations acquises aux exigences du progrès et de la modernité et, de l'autre, les intérêts entre les deux pays sont trop importants pour que l'on s'amuse à saboter une coopération qui fonctionne parfaitement. Les campagnes d'antan se retrouvent, de ce fait, largement dépassées. Mais il y a encore aujourd'hui en France des nostalgiques des années 80 et 90 et de leurs anecdotiques écrits et campagnes menées alors par Gilles Perrault et Danielle Mitterand. Difficile de s'imaginer que ce sont les réminiscences de la conception que se faisait Mme Mitterrand du Maroc qui guident encore l'élite politique socialiste française. A moins que ce ne soit la théorie du chaos régénérateur, l'invention diabolique des trotskystes américains, qui ait fait des adeptes dans le parti français de la rose. Depuis l'éclatement de la crise entre les deux pays en février dernier, des interrogations sur ses tenants et aboutissants ont fusé de partout. Le rapport avec la «conquête» marocaine de l'Afrique subsaharienne a vite été établi ; SM Mohammed VI était à ce moment-là en tournée africaine, à grand succès et à retentissement certain d'ailleurs. Cette tournée africaine qualifiée d'historique et ses résultats de très probants, n'a visiblement pas été digérée par certains milieux français, d'où la mise au point de gesticulations politico-droit-de-l'hommistes, en l'occurrence l'affaire Hammouchi qui a justement conduit à une suspension de la coopération judiciaire. Pourtant, et ceci plusieurs observateurs étrangers l'ont parfaitement saisi, si le Royaume a trouvé écho à ses appels à la coopération auprès de nombreux pays d'Afrique subsaharienne, c'est grâce à l'aura religieuse dont jouit le Commandeur des Croyants dans cette partie du monde. Une qualité dont ne peut se prétendre aucun autre chef d'Etat. Motivé par la prospérité partagée plutôt que l'hégémonisme et la défense des chasses gardées, le Maroc s'est en plus fait le chantre de la coopération tripartite (a-t-on saisi l'opportunité ?), invitant les pays développés actuellement en crise, à l'instar de la France, à prendre part à ce grand œuvre de développement socioéconomique du continent que le Royaume compte accomplir avec ses amis et alliés africains, pour le plus grand bien de tous. En gelant la convention de la coopération judiciaire, le Maroc a voulu remettre les choses à leur place en vue de «revoir le contenu de cette convention, à la lumière de dysfonctionnements graves relevés à Paris à l'encontre de hauts responsables Marocains». Ceci veut dire ouvrir des discussions officielles responsables autour de cette convention. Mais quelle a été la réaction française ? Rien jusqu'ici dans le sens recherché. Par contre, des actes qui ne versent pas forcément dans la bienséance diplomatique, pour ne pas dire plus, ont bien été relevés. Mais le coup le plus tordu est la tentative d'instrumentalisation des détenus français au Maroc pour forcer la main au Royaume, lequel, vigilant, n'est pas tombé dans le piège et a anticipé par le geste du Souverain. Au fait -on ne sait s'il faut en rire ou en pleurer-, le directeur de la DGST marocaine, à supposer qu'il se trouvait réellement dans la capitale française, allait être interpellé alors que les ministres de l'Intérieur marocain, portugais, espagnol et français tenaient réunion, à Paris, pour se concerter et mettre le point sur l'avenir de leur coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Sur les quatre individus ayant porté plainte contre le directeur de la DGST en France, il y a justement un terroriste polisarien, Asfari, condamné pour avoir égorgé avec ses complices des agents des forces de l'ordre désarmés à Gdeim Izik, aux environs de Laâyoune. Étrange message que celui ainsi envoyé par les autorités françaises aux autorités marocaines. Pourtant, avec le retour des jihadistes de Syrie, formés par des officiers de pays dont on ne soupçonnerait jamais le soutien apporté au terrorisme international, l'heure est plutôt à la mobilisation des services de sécurité des pays amis et alliés, en serrant les rangs. Après l'échec retentissant d'Al Qaïda à fonder un émirat takfiriste dans une partie de la Syrie, qui devait être démembrée selon des critères religieux, tous les experts dans le domaine de la lutte contre le terrorisme sont catégoriques. Le foyer le plus propice actuellement au développement du jihadisme est la sous-région saharo-sahélienne. Et le Maroc a apporté un soutien non négligeable à la guerre contre le terrorisme au Mali. Le Royaume a pris le risque d'affronter ouvertement les takfiristes sur le plan idéologique, en diffusant en Afrique de l'ouest les préceptes de l'Islam véritable, tolérant et progressiste, c'est-à-dire l'antithèse de l'Islam dévoyé défendu par Al Qaïda et ses commanditaires. Mais former des imams, c'est moins spectaculaire qu'une explosion de bombe ou l'enlèvement de jeunes filles par des endoctrinés enragés, et n'attire donc presque pas l'attention des médias. Mais les cheikhs des terroristes en saisissent parfaitement la portée stratégique. La guerre est d'abord un affrontement d'idées. Alors que les puissances occidentales n'ont que les solutions sécuritaires à proposer pour tenter de juguler le problème du terrorisme jihadiste en Afrique de l'ouest, le Maroc est probablement l'unique pays africain à pouvoir proposer plus et plus important. Un Islam éclairé pour barrer le chemin à l'obscurantisme, parallèlement à une lutte sans concession aux terroristes de tout bord. Mais aussi au trafic de drogue, au crime international organisé et à tous les maux qui préoccupent profondément l'Europe, la France en particulier. Quand les services de sécurité marocains démantèlent un réseau terroriste en agissant souvent aussi dans le cadre de la coordination avec les services de pays amis, quand ils arrêtent un binational pour trafic de stupéfiants ou crime organisé et les présentent devant la justice, ils se font accuser de torture par ces mêmes mis en cause et leurs soutiens au tropisme algérien notoire et dont les motivations sont d'abord et surtout politiques ! C'est pas cher et ça peut rapporter gros ! Abdellatif Hammouchi, le directeur de la DGST, en sait quelque chose. Pour ce spécialiste des mouvements jihadistes, apporter son savoir-faire dans la lutte coordonnée avec les pays amis contre le terrorisme takfiriste et autres crimes transnationaux, comporte donc un risque, celui de ne pouvoir aller en France. La coopération sécuritaire entre le Maroc et l'Hexagone peut donc attendre ! Mais au détriment de qui ? Sûrement pas des terroristes et autres criminels qui, au contraire, doivent s'en réjouir, mais de la sécurité des pays et des peuples, en premier chef le peuple français qui voit, en plus, les intérêts de nombreux de ses concitoyens suspendus jusqu'à nouvel ordre, alors que la raison impose une nouvelle approche dans les relations de la France avec le Maroc. Pour l'instant, il n y a qu'à se référer à Nietzsche qui écrivait dans «Ainsi parlait Zarathoustra»: «Il faut savoir aimer ses ennemis, mais aussi haïr ses amis». Les Marocains ont de plus en plus l'impression que certains dirigeants français appliquent ce passage de l'œuvre maîtresse du philosophe allemand au pied de la lettre. Ce serait de l'aveuglement.