Un prince Iznogoud, un livre L'incapacité de se remettre en cause et ses mauvais tours «Le testament politique d'un mauvais perdant» pourrait être l'autre intitulé que l'on pourrait donner à l'ouvrage récemment publié du Prince Moulay Hicham, «Journal d'un Prince banni». Un ouvrage pénible à lire pour tous ceux restés attachés à leur éducation marocaine, musulmane comme judaïque, qui n'admet pas qu'on prête l'oreille aux histoires intimes de famille, effectives ou purement fictives. Et ce, quelle que soit cette famille, royale ou ordinaire. C'est bien peu chevaleresque d'imposer aux Marocains un tel exhibitionnisme que leur morale réprouve, surtout venant du petit-fils de feu Mohammed V, fils de feu Moulay Abdellah, neveu de feu Hassan II et cousin germain de SM Mohammed VI. Un prince de sang ayant reçu la meilleure des éducations, dans le Yasser AYOUBI Suite en page 4 plus noble et le plus érudit des environnements. Comme l'a dit l'ancêtre des Alaouites, le Messager d'Allah, dans un hadith rapporté par Abou Moussa Al-Ash'ari: «Il n'y a de puissance, ni de force, qu'en Dieu». Si la propre famille du prince ne trouve pas suffisamment grâce à ses yeux, pas même son propre père, que Dieu l'ait en sa Sainte miséricorde, que peuvent alors dire les Marocains sur certaines de ses prises de position et incartades politiques ? Pour celui qui coupe le lien ombilical, mère patrie ne veut, forcément, plus rien dire. Et de grâce, Prince, évitez de qualifier de «makhzenien» cet humble rappel des valeurs auxquels les Marocains restent très attachés, vous racontez vous-même que Madame votre mère, enceinte de votre sœur, ne doit justement sa survie qu'au respect de principes que même des soldats félons se sont interdits de braver, lors de la tentative de coup d'État de Skhirat. «Science sans conscience n'est que ruine de l'âme», écrivait Rabelais. Dans un vieux conte, à la subtilité plus marocaine, il est question d'un «taleb» (étudiant) qui rentre chez lui, après avoir fait des études «poussées» dans de lointaines contrées. Pour fêter son arrivée, son père égorge le seul poulet qu'il possède, que sa mère cuisine. Au moment de passer à table, le jeune «âlim» (savant) interpelle ses parents, pressés de festoyer. «Attendez ! Et si de cette seule poule, j'en faisais deux ?». Son père le regarde silencieusement, se saisit de la poule accommodée dans le tajine, la partage en deux, en donne une moitié à sa femme et garde l'autre. Puis dit à son fils «âlim»: «tu peux garder le deuxième pour toi tout seul» ! Le «père» non-biologique haï du prince Moulay Hicham, dans le sens freudien du terme, fût son oncle, feu Hassan II. A la fois admiré et détesté, le prince raconte, dans son livre à forts relents autobiographiques, combien il a cherché à se rapprocher de feu Hassan II, en le fuyant... comme avec sa mère patrie, le Maroc. Aussi, trêve de «cause commune avec les Marocains» et autres fables du genre «faire advenir dans mon pays la démocratie», destinées aux lecteurs occidentaux non avertis et autres antimonarchistes viscéraux. Nul besoin d'avoir fait Princeton ou Stanford pour se rendre compte que le livre du prince Moulay Hicham, «rouge» révolutionnaire au Maroc, «vert» pétrodollars au Moyen Orient, n'est rien d'autre qu'un règlement de compte familial, auquel les Marocains ont été astreints d'assister, du fait du caractère politique qui peut en être donné hors des frontières du Royaume. En quoi des histoires de famille, aussi royale, soit-elle, peuvent-elles être utiles aux Marocains pour mieux analyser et comprendre le système politique de leur pays ? Hassan II est mort et enterré, paix à son âme, il y a déjà quinze ans de cela. Qu'il continue de hanter le sommeil de quelques uns n'est pas le problème des Marocains. Mais que signifie la narration de propos confus sur l'assassinat de Ben Barka, surtout quand le narrateur, à propos de ses «sources», avoue: «j'écoutais beaucoup aux portes» ? Est-ce ainsi que l'on apprend à argumenter dans les universités américaines de l'Ivy League ? On est d'ailleurs étonné que le Prince politologue ne trouve rien à répondre à «ses interlocuteurs sahraouis», quand ces Polisariens lui disent qu'ils ont «la possibilité de construire un État viable protégé par les normes internationales, et de ce fait, protégé des dérives de nos propres leaders» ! Le Prince politologue n'a pas dû être très attentif pendant ses cours d'Histoire, sinon, il n'aurait pas, non plus, écrit que le Maroc a cherché à «gonfler» le corps électoral des habitants des provinces du sud, en vue d'un référendum d'autodétermination. Ce descendant de la famille royale Alaouite, qui a su préserver la continuité de l'État marocain contre les aléas de l'Histoire, semble ignorer que les habitants des provinces du sud, se sentant chez eux partout dans le Royaume, ont vu une partie des familles de la région se réfugier au nord, fuyant la répression du colonisateur espagnol, en particulier après l'opération Écouvillon, en 1958. Ces familles n'étaient donc pas présentes lors du recensement espagnol des habitants des provinces du sud, effectué en 1974, mais sont bels et biens sahraouies. Partisan du chaos «constructeur» Mais il est évident, à la lecture de son ouvrage, que le Prince politologue a une bien étrange conception des droits de l'Homme. A propos de la mission qu'il a menée au Kosovo, pour le compte des Nations Unies, le prince conclut, «notre bilan n'est pas mauvais, même si, hélas, nous laissons la minorité serbe dans une situation délicate» ! Assassinats, nettoyage ethnique des non-albanais, incendies de maisons, trafic d'organes sur les prisonniers serbes... Très délicate situation, en effet... Hélas... Mais le bilan n'est pas si mauvais que ça ! Il est peut être vrai toutefois que les trafiquants en tout genre de l'Uçk constituent un modèle pour les narcotrafiquants du Polisario. La pertinence des analyses du prince s'est avérée, à plusieurs occasions, franchement douteuse. Il avait prévu que le «printemps arabe» constituerait l'émergence de la démocratie dans les pays du Monde arabe. Il s'en défend peut être, mais le résultat fût aux antipodes de ses attentes. Non seulement les pays balayés par la tempête des changements de régimes ne sont pas devenus des démocraties, mais, pire encore, la plupart ont sombré dans le chaos total. L'État a cessé d'exister en tant que tel en Libye, qui a été «somalisée». La Syrie est plongée dans une guerre civile dont elle ressortira, au meilleur des cas, avec une société divisée et des rancœurs communautaires qui ne sont pas prêtes de s'estomper. L'Égypte a vite tourné le dos à la démocratie, quand les Frères musulmans ont surgi des urnes comme épouvantail. Quand à la Tunisie, modèle tant encensé par le prince, elle a eu droit au plus caméléon des mouvements islamistes arabes. Pendant que les petits copains de Ghannouchi jouent le rôle de la façade présentable, leurs confrères salafistes ont transformé ce pays maghrébin, jadis à la pointe de la modernisation sociale, en une base arrière et un espace de recrutement de combattants pour le Jihad international. Alors que les droits de la femme ont laissé place au concept fort «émancipateur» du Jihad «nikah»... A l'exception des troupes du défunt Cheikh Yassine, qui guidait tout son mouvement, transformé en zaouïa, selon le programme politique qu'il recevait en songes, aucune tendance politique ne trouve grâce aux yeux du prince. Les islamistes du PJD ? A l'instar de la gauche usfpéiste, ils se seraient, de l'avis du prince, trop facilement «makhzenisés». L'extrême gauche ? Makhzenisée également. Les excités du 20 février ? Trop immatures, l'intitulé de leur mouvement étant la preuve de la vacuité de leur conception de l'avenir. Le prince «banni», bien qu'il s'avoue lui-même «exilé volontaire», après avoir estimé que SM le Roi se trouvait sous l'influence de son entourage et la monarchie marocaine trop liée au Makhzen pour s'en sortir indemne, conclut : «Je me sens moins concerné par la pérennité de la monarchie, moins appelé à agir en sa faveur». Cependant, il ne s'interdit «aucune ambition» au service de son pays ! Il avait déjà rêvé d'un rôle dans l'après Hassan II, dont il aurait été privé. Le prince se lamente, comme dans l'ensemble de son livre d'ailleurs, d'avoir été trahi. Trahi par feu Hassan II qui l'aurait mis à l'écart, par SM Mohammed VI, pour ne pas lui avoir donné de rôle dans le nouveau règne, par les Américains qui n'auraient pas assez soutenu les «démocrates d'Afrique du nord», et même par le peuple marocain, qui aurait intériorisé des réflexes de soumission. On en est presque à croire que faute de voir le système politique marocain changer comme il le souhaitait, ce sont les Marocains même qu'il voudrait changer. Moulay Hicham a joué, en s'appuyant sur une analyse erronée. Il a perdu, par confrontation à la dure réalité. Mais il est mauvais perdant, par incapacité à se remettre en cause. Ce n'est pas lui qui a tort, ce sont les autres. Tous les autres. En commençant par sa propre famille. «Journal d'un Prince banni» n'est pas la dernière cartouche de Moulay Hicham. Celle-ci a été tirée il y a bien longtemps, sans atteindre sa cible. C'est son testament politique, un crachat dans la soupe qu'il n'a pas pu assaisonner à son goût. Après sa famille, c'est maintenant le peuple marocain qui va lui tourner le dos, puisqu'il a brisé ce contrat de confiance qui stipule clairement qu'il y a des indélicatesses auxquelles un membre de la famille royale ne peut s'adonner sans perdre son aura. On ne lui reprochera jamais assez d'avoir entraîné les Marocains dans des déballages familiaux indignes d'un prince de sang.