Le livre "Journal d'un prince banni" de Moulay Hicham, cousin germain de SM Mohammed VI, ne manquera pas de faire du bruit, beaucoup même. Pour la première fois dans l'histoire du Maroc, un membre de la famille royale s'aventure en effet sur ce terrain, qu'il s'agisse de laver le linge sale de sa famille en public ou de remettre carrément en cause les fondements du système monarchique. Pour une première, c'en est bien une. Mais une première qui laisse toutefois pantois et dubitatif. Qu'est ce qui peut bien motiver un prince, qui plus est troisième dans l'ordre de succession au trône, pour tout bazarder, voire se tirer une balle dans le pied ? La réponse est dans le livre. Au delà du titre qui prêche par manque d'exactitude et qui pouvait très bien être "Journal d'un prince auto banni", le livre trahit une forte amertume et beaucoup de rancune. A l'encontre d'abord du défunt roi Hassan II. Diabolisé à volonté et accusé de tous les maux des cieux et de la terre, l'oncle est même allégrement associé à l'assassinat de Ben Barka, sur la base de "récits" et de "sources", expliquera le prince sur France 24. Puis, SM Mohammed VI, dont le portrait est "dressé en creux", est tout aussi attaqué bien que de manière plus subtile. Constituant manifestement la vraie cible du livre, le Souverain est fortement critiqué dans sa politique, ses orientations et ses choix. Peut-être que ces derniers ne correspondent pas aux "ordres" que le prince lui avait intimés, devant témoins, dès le second jour du décès de Hassan II, tel qu'il le consigne dans son ouvrage. Une attitude que d'aucuns qualifieront de peu amène. Elle trahirait en tout cas une volonté de positionnement dès les premières heures de la succession et constituerait une tentative de prendre de l'ascendant sur le roi fraîchement installé. Viennent en troisième lieu les membres de la famille, à commencer par la mère et le frère qui ont choisi d'être aux côtés de Mohammed VI et de le soutenir, ce qui n'est pas pour plaire au prince dont le livre est justement ponctué de beaucoup de lamentations, à la manière d'un enfant qui cumule les bêtises et qui s'obstine malgré tout à considérer la réaction normale que cela suscite comme une injustice. La classe politique, les technocrates, les notables, les élites, les médias ne sont pas en reste. Tout le monde en reçoit pour son grade, sauf bien sûr un cercle d'amis très restreint, c'est-à-dire ses associés dans son entreprise politique. L'impression qui se dégage du livre est que l'incompétence est partout, que tout le monde est incapable et que le pays a besoin d'un sauveur. Qui c'est ? "Si tu sais ce que je cache dans la capuche de mon djellaba je t'en donnerais une grappe"... Sur France 24 mercredi, dans le cadre de sa tournée des rédactions françaises pour faire de la publicité à son ouvrage, le prince a voulu mettre de l'eau dans son vin en soulignant que son livre n'est pas à cent pour cent critique, parce que, reconnaît-il, ce qui a été réalisé est "énorme". Il s'agit juste, selon lui, de la critique de ce qu'on aurait pu faire mais qu'on n'a pas fait. A traduire par ce que "lui" voudrait. Car quel est ce pays où l'on parvient à réaliser tout ce qu'on aura aimé réaliser ? Dans la foulée des attaques ciblées, l'auteur du livre n'hésite par ailleurs pas à faire dans la contradiction. Tout en reconnaissant l'importance de ce qui a été fait, il déclare le contraire. L'IER ? Oui, mais. La régionalisation avancée au Sahara? Oui, mais. Les droits de l'Homme? Oui, mais. Etc. Les "mais" s'accumulent et accentuent l'impression d'une opposition fébrile. Concours de circonstances, au moment où sur France 24 le prince débitait ses reproches et critiques, le sous-secrétaire d'Etat adjoint américain chargé des affaires du Proche-Orient soutenait au Congrès américain que "le Roi Mohammed VI a été le fondateur de la première commission de vérité et de réconciliation (IER, ndlr) dans le monde arabe dans le but de jeter la lumière sur les violations passées des droits de l'Homme", que les USA soutiennent le processus de réformes politiques en cours dans le Royaume et l'important train de réformes lancées, en particulier l'adoption en 2011 d'une nouvelle Constitution "démocratique" et l'organisation d'élections "transparentes", outre les avancées réalisées en matière de promotion des droits de l'Homme et ceux des femmes. Pour ce qui est du plan marocain d'autonomie au Sahara, le responsable américain précisait que les USA ont "clairement affirmé que ce plan est sérieux, crédible et réaliste et qu'il constitue une approche potentielle à même de satisfaire les aspirations des populations du Sahara à gérer leurs propres affaires dans la paix et la dignité". Autant de déclarations qui réduisent à néant les "mais" multiples et variés du prince. Le passage sur France 24 aura également dévoilé un aspect pas très catholique dans l'attitude du prince. Au moment où le Maroc et la France sont en brouille et tentent d'en sortir, Moulay Hicham trouve le moyen, à partir d'une télévision française, d'enfoncer le clou en émettant carrément un jugement dans l'affaire Moumni et la convocation par le parquet de Paris du patron du contre-espionnage marocain. Ceci alors que, comme rapporté par un journal français, le "Journal du Dimanche" en l'occurence, les avocats du Maroc ont joint un rapport d'expertise démontrant que les photos des plaignants, censées prouver la torture présumée, sont "douteuses" et ont été "retravaillées". La moindre des choses est donc d'attendre la conclusion de la justice avant de créditer une thèse sujette à caution. Et dire que quelques minutes après, le prince allait évoquer, au sujet de l'affaire Benbarka, le principe juridique de la présomption d'innocence. C'est donc selon l'intérêt du moment. Bref, au delà des multiples griefs qu'on peut lui faire, le livre de Moulay Hicham aura au moins le mérite de lever le voile sur les tenants et aboutissants de la posture du prince vis à vis de son cousin, de sa famille et de son pays. Une posture que les valeurs sociales marocaines ont du mal à admettre.