En remontant le temps, on retrouve l'une des pages glorieuses de notre histoire. Quatre siècles auparavant, l'empire ottoman était au summum de son hégémonie. Son règne s'étendait sur la quasi-totalité du monde musulman ainsi que sur une partie de l'Europe. Mais, en dépit de leur puissance, les armées turques étaient incapables de conquérir le Maroc. Notre pays était, en effet, un Etat fort et nos intrépides ancêtres formaient un véritable rempart que ni les ottomans ni les autres puissances qui se partageaient le globe à cette époque n'étaient en mesure de franchir. De nos jours, les choses ont considérablement changé. Les conquêtes ont perdu leur caractère militaire pour revêtir une forme bien plus subtile car, aujourd'hui, c'est la culture qui permet à une nation de dominer les autres. La conquête des peuples ne se fait plus par les guerriers et les soldats. Elle est plutôt l'œuvre des artistes, écrivains et autres acteurs de l'industrie culturelle qui sont devenus, sans conteste, les conquérants des temps modernes. De toute évidence, il serait prétentieux d'affirmer que notre pays est à l'abri de cette nouvelle forme de domination. Malheureusement, et contrairement à nos aïeuls, nous sommes en train de subir depuis des années, et sans aucune résistance, de redoutables vagues d'invasions culturelles. A cet égard, il suffit de jeter un rapide coup d'œil sur les programmes des chaînes de télévision marocaines pour se rendre compte de l'ampleur de l'envahissement dont nous sommes les sujets. Ainsi, après les égyptiens, les syriens et les latinos américains, ce sont actuellement les turcs qui, par le biais de leurs feuilletons, sont en train de nous soumettre symboliquement, occupant ainsi, de manière très visible, notre territoire audiovisuel. Or, le plus inquiétant avec cette nouvelle conquête ottomane, c'est la médiocrité criante de la majorité des œuvres télévisées turques. Nul besoin, en effet, d'être un critique chevronné pour percevoir la mauvaise qualité de ces productions, tant au niveau du scénario que sur le plan de la réalisation. Cependant, ce sont particulièrement les idées véhiculées par ces feuilletons qui représentent, à notre sens, le plus grand danger sur la société. A ce propos, le feuilleton «Samhini» diffusé sur la deuxième chaine marocaine est, sans conteste, l'exemple le plus frappant de ce péril culturel venant de la Turquie. En effet, cette série, suivie quotidiennement par des millions de marocains, fait de l'infidélité conjugale le thème central de son intrigue. Ainsi, tout au long des centaines d'épisodes qui composent le travail, le téléspectateur a droit, de manière interminable, à un nombre incommensurable de scènes d'amour mettant en action deux personnages dont l'un, voire les deux, sont mariés. Évidemment, ce n'est pas le fait de traiter de la trahison conjugale dans un cadre dramatique qui pose problème à notre entendement. Il s'agit, bien entendu, d'un phénomène social qui peut être l'objet d'une œuvre artistique dans la mesure où le rôle de celle-ci consiste, par essence, à refléter, dans un cadre plus ou moins imaginaire, l'image de la société. Ce qui est révoltant, en revanche, c'est la façon par laquelle le sujet est abordé dans le feuilleton en question car au lieu d'être réprouvée, l'infidélité entre époux est présentée comme un acte légitime voire héroïque. Et au lieu d'être stigmatisées, les relations adultérines sont exposées comme la plus juste des causes. Pis encore, la série n'hésite pas à qualifier, à travers l'un des protagonistes, une grossesse issue d'un adulaire d'un miracle qu'il faut défendre à tout prix. Devant des émissions d'une telle bassesse, nous avons sans aucun doute le droit d'interroger les responsables des chaines publiques marocaines sur le rôle qu'ils entendent jouer au sein de la collectivité. Quels sont les messages qu'ils désirent transmettre aux citoyens qui passent des heures et des heures à regarder des séries étrangères dont la nocivité n'est plus à démontrer ? jusqu'à quand, nos gouvernements demeureront-ils incapables d'élaborer une politique en matière de communication en mesure de faire de nos médias audiovisuels des acteurs qui participent effectivement à la réalisation du progrès sociétal dont nous rêvons tous ? Par ailleurs, la persistance de ces feuilletons qui intoxiquent les esprits de nos concitoyens, notamment les plus jeunes d'entre eux, nous invite aussi à s'interroger sur le sens à donner au silence de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle. En effet, il nous est bien difficile de comprendre les raisons qui font que cette instance de régulation, ayant entre autres missions de faire respecter des valeurs civilisationelles fondamentales et des lois du Royaume, notamment celles relatives à la protection de la jeunesse et au respect de l'honneur et de la dignité des personnes, tolère la diffusion de certains feuilletons turcs qui bafouent manifestement l'ensemble de ces principes. Rien également ne nous aide à deviner pourquoi la Haute Autorité s'abstient-elle de rappeler aux différents services de la radiotélévision publics les termes de leurs cahiers des charges dont elle est habilitée à en contrôler le respect. Des cahiers qui indiquent clairement que la mission principale des chaines publiques nationales consiste à assurer, dans l'intérêt général, des missions de service public visant à satisfaire, entre autres, les besoins d'éducation du public. Ces organismes ont également pour mission de proposer, conformément à leur positionnement de chaînes citoyennes et familiales, une programmation à l'intention du public le plus large, fondée sur les valeurs de la civilisation marocaine islamique, arabe et amazigh ainsi que sur les valeurs humanistes universelles. Ces chaînes sont appelées, en outre, à accompagner à travers leur programmes, l'effort de modernisation et de développement socio-économique de notre pays et encourager le civisme, les comportements citoyens, la solidarité, la responsabilité et le goût d'entreprendre. Malheureusement, nous concevons mal comment la diffusion de feuilletons faisant l'apologie de la futilité et de l'immoralité puisse contribuer à la réalisation des nobles missions que les chaînes publiques ce sont vue attribuer ? Comment peut-on inculquer à notre jeunesse le sens de la responsabilité tout en intoxiquant leurs esprits avec des idées, le moins que l'on puisse dire, perfides ? Mieux encore, comment peut-on qualifier les chaînes publiques de familiales, tandis que celles-ci consacrent un volume horaire considérable à des séries répandant dans la société des idées de nature à saper les fondements de la structure familiale ? Une structure désormais reconnue par la constitution comme étant la cellule de base de la société que l'Etat s'engage à protéger sur les plans juridique, social et économique, de manière à garantir son unité, sa stabilité et sa préservation. Et en définitive, nous croyons avoir le droit de se demander pourquoi, au moment où tout le monde proclame très haut le devoir de protéger la famille de toutes les attaques qui la menacent, personne malheureusement n'ose intervenir pour mettre fin à la diffusion de ces feuilletons qui ne sont, à notre sens, rien d'autres que des produits culturels aussi nuisibles à la société que les stupéfiants ou les denrées alimentaires avariées que les autorités combattent avec des dispositifs juridiques draconiens.