Au paroxysme de la crise dans la zone euro, un responsable chinois avait réduit l'Europe au statut de «magnifique parc d'attraction» pour touristes. Ce jugement un rien condescendant ne semble plus en vogue à Pékin, où l'on s'emploie désormais à renforcer les liens avec le plus grand bloc commercial au monde. La visite de Xi Jinping lundi au siège des institutions de l'Union européenne, la première d'un président chinois, illustre la prise de conscience par la Chine de la nécessité d'exercer une influence à Bruxelles, capitale de facto de l'UE. Xi Jinping n'est pas venu conclure des accords commerciaux et rien de concret n'est vraiment sorti du sommet de lundi. Des responsables européens ont toutefois relevé un changement de ton susceptible de marquer l'ouverture d'un nouveau chapitre dans les relations sino-européennes. L'évolution est spectaculaire si l'on songe au conflit sur les importations européennes de panneaux solaires chinois qui, seulement quelques mois plus tôt, menaçait de dégénérer en guerre commerciale. Devenu président en mars 2013, Xi Jinping mène la nouvelle offensive de charme chinoise en direction de l'Europe. L'époque est révolue où la Chine ne disposait à Bruxelles que d'une discrète représentation diplomatique concentrée essentiellement sur la Belgique. L'ambassadeur chinois déclinait alors les invitations à participer à des colloques, sans même parler d'y prononcer un discours. Avec ses sacs à main de marques françaises, la nouvelle ambassadrice chinoise auprès de l'UE, Yang Yanyi, est en revanche rapidement devenue une habituée des cocktails ou des débats sur les relations sino-européennes depuis son arrivée en janvier. Elle n'hésite pas à remettre à ses interlocuteurs des cartes de visite sur lesquelles figure même son numéro de téléphone portable. Forte de 90 employés, la mission diplomatique chinoise, installée dans un grand bâtiment utilisé jadis par Hewlett-Packard, ouvre ses portes depuis quelques mois aux familles bruxelloises désireuses de s'essayer à la calligraphie ou au tennis de table. A l'occasion du Nouvel An chinois, elle a invité la communauté diplomatique de Bruxelles à une fête avec danse du dragon et elle a joué un rôle essentiel dans le prêt de deux pandas géants à un zoo belge. Yang Yanyi est même parvenue récemment à vanter les mérites du géant chinois des télécommunications Huawei jusque dans le salon présidentiel du Parlement européen, une grande pièce au sommet du bâtiment généralement réservée à l'accueil des dignitaires étrangers. Cela, malgré les doutes européens sur la réussite de Huawei soupçonné de bénéficier de subventions jugées illégales à Bruxelles. «Je ne me berce pas dans l'illusion que notre partenariat sera dépourvu de toute friction», a dit l'ambassadrice chinoise à Reuters. «Les désaccords et les querelles sont normales mais nous pouvons les résoudre.» La dispute sur les panneaux solaires, finalement réglée à l'amiable, a rappelé à la Chine combien des initiatives prises à Bruxelles pouvaient peser sur ses intérêts commerciaux. Le quartier diplomatique où siègent la Commission et le Parlement de l'UE n'est pas seulement le lieu où sont conçues des politiques concernant 500 millions de citoyens mais aussi un centre de décisions majeur à l'échelle mondiale. «En matière de régulation internationale et de prise de décisions, il y a trois villes qui comptent dans le monde: Washington, Pékin et Bruxelles», souligne un ancien responsable américain ayant travaillé dans ces trois capitales. Si les dirigeants chinois ont nourri quelques doutes à ce sujet durant la crise de la zone euro, ils semblent désormais convaincus. Des jugements de la Cour européenne de Justice basée à Luxembourg aux décisions en matière de politique commerciale, les diplomates chinois, mais aussi les entreprises, sont désormais aux aguets et se familiarisent avec les acronymes, le jargon et les méthodes de travail de l'UE. Si autrefois les entreprises chinoises s'appuyaient essentiellement sur le ministère du Commerce pour défendre leurs intérêts, les grands groupes tels que Huawei disposent désormais de leurs propres équipes de relations publiques et les sociétés de moindre importance leur emboîtent le pas. Les grands médias chinois, notamment l'agence Chine nouvelle, le Quotidien du Peuple ou le China Daily, ne cessent de renforcer leur présence à Bruxelles pour suivre les questions commerciales, juridiques ou réglementaires susceptibles d'avoir des répercussions pour leur pays. Ainsi, l'agence Chine nouvelle compte désormais 50 journalistes accrédités auprès de l'UE, plus que tout autre média international. «Quand nous nous sommes installés ici, nous avons réalisé l'importance de Bruxelles parce que c'est le centre de l'Europe, qui relie toutes les capitales», dit Leo Sun, responsable des relations publiques en Europe de Huawei, qui a ouvert un bureau à Bruxelles en 2009. Politologue à l'Institut des Etudes sur la Chine contemporaine à Bruxelles, Duncan Freeman juge qu'il demeure des «profondes divergences et des frictions dans la relation» entre Pékin et Bruxelles. «Mais elle tend à devenir normale, ce qu'elle devrait être», ajoute-t-il.