Le jihad en Syrie suscite de nombreuses vocations parmi de jeunes Français qui, au terme d'un processus d'autoradicalisation sur le net, lâchent famille et école pour tenter une aventure individuelle et souvent improvisée, déconnectée des filières de recrutement, selon des experts. L'affaire des deux Toulousains de 16 et 15 ans qui avaient quitté début janvier l'école pour aller faire la guerre en Syrie, avant d'être récupérés en Turquie, a mis en lumière le nombre croissant de candidats européens au jihad. Le phénomène inquiète: la France est le premier fournisseur de jihadistes pour la Syrie, devant la Grande-Bretagne, la Belgique et l'Allemagne, selon Alain Rodier, directeur de recherche chargé du terrorisme et du crime organisé au Centre français d'études sur le renseignement (CF2R). Filières afghanes, tchétchènes, irakiennes... les services de lutte antiterroriste ont déjà été confrontés à l'attrait de jeunes Français pour la Guerre sainte. Mais «aujourd'hui, il est très difficile de monter un réseau de recruteurs dans les mosquées ou dans les prisons en raison des surveillances» effectuées par le renseignement intérieur, assure Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université du Mirail, à Toulouse. Dès lors, le conflit syrien suscite une nouvelle forme d'engagement: «les jeunes eux-mêmes se convainquent d'aller en Syrie. C'est une aventure individuelle - parfois avec quelques copains -, et souvent improvisée dans laquelle internet joue un rôle important dans leur fanatisation», explique Alain Rodier. Au départ, la plupart des jihadistes en herbe ne sont pas des «islamistes convaincus», ils ne sont parfois même pas musulmans, souligne M. Guidère. Mais «à l'image d'ados obsédés par le foot ou un chanteur, ces jeunes s'intéressent de manière obsessionnelle au conflit syrien». Si les filières de recrutement sont donc hors-jeu, un agent de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) souhaitant garder l'anonymat estime toutefois que les écoles coraniques, certaines mosquées ou l'entourage peuvent orienter les jeunes vers Internet. L'un des deux Toulousains, qui a un oncle salafiste, était d'ailleurs guidé vers des sites radicaux par des membres de son entourage, précise une source proche du dossier. Accès facile et pas cher Au commencement, il y a des mots clés tapés sur les moteurs de recherche: Syrie, Alep. Les jeunes tombent sur des sites tels qu'Ansar Al-Haqq, référence de la mouvance islamiste radicale en France, qui explique notamment comment améliorer sa condition physique avant d'aller au combat. Il est à ce titre étroitement surveillé par les experts de la DCRI. La toile regorge aussi de milliers de vidéos montrant des cadavres d'enfants et des civils qui agonisent, avec parfois des appels à la Guerre sainte. «Ces jeunes en questionnement identitaire veulent faire quelque chose par rébellion (...). Ils se sentent alors investis d'une mission», explique M. Guidère. Cette mission, c'est d'abord combattre «le pouvoir de Bachar Al-Assad désigné comme le mal absolu par les Occidentaux», commente M. Rodier. Les jeunes sont encouragés dans leur projet par un accès facile et pas cher au théâtre de guerre. Avec 200 euros et une carte d'identité, ils se rendent en bus ou en avion en Syrie via la Turquie. Et pour les mineurs munis d'un passeport - comme ce fut le cas des deux Toulousains - il n'y a plus d'autorisation de sortie de territoire nécessaire sauf conflit et contestation familiale. Les apprentis guerriers convergent ensuite vers la province du Hatay, zone frontalière où les passeurs les conduisent aux jihadistes. La contrepartie de leur enrôlement, «c'est leur endoctrinement et donc leur conversion au jihadisme», selon M. Guidère. Les femmes sont-elles concernées? Une étudiante des Mureaux (Yvelines) serait récemment partie offrir ses services sexuels aux jihadistes, mais pour M. Rodier, il ne s'agit que «de cas isolés». L'agent de la DCRI estime à 450 le nombre des Français qui seraient allés combattre en Syrie, en seraient revenus ou seraient morts au combat. Parmi eux, une douzaine de mineurs ont effectué le voyage syrien. Cet afflux représente un «grand danger», selon le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, qui concède que Français et Européens peuvent être «dépassés par ce phénomène», vu son ampleur. «Beaucoup d'entre eux reviennent ou sont susceptibles de revenir en France, pour se faire soigner, pour les vacances ou parce qu'ils n'avaient pas réussi à s'acclimater au pays», s'alarme de son côté l'agent de la DCRI, confirmant l'importance du nombre des Français en Syrie, bien supérieur à celui constaté en Afghanistan. A l'instar de Mohamed Merah qui avait à son retour du Pakistan tué sept personnes au nom du Jihad, ces Français peuvent-ils retourner les armes contre leur pays? «La France n'est pas, pour le moment, leur ennemi principal, car elle a soutenu la révolte contre le clan al-Assad, estime M. Rodier. Mais, cela pourrait rapidement changer, notamment si la rébellion se sent +trahie+ par la France».