L'entrée de l'Algérie au Conseil des droits de l'Homme (CDH) ne semble pas du tout plaire aux défenseurs des droits et libertés, mais aussi à des journalistes, décidés à plaider la cause de la libre-expression systématiquement foulée aux pieds par le pouvoir algérien. Ce n'est donc pas fortuit qu'un directeur de deux quotidiens algériens interdits de parution ait fait le déplacement à Genève pour «alerter» le CDH à propos des violations répétées de la liberté de presse et d'opinion dans le pays. Face aux multiples harcèlements dont il est victime depuis qu'il a publié un article sur la santé du président algérien, le directeur des deux journaux Hichem Aboud n'a eu d'autre choix que d'aller «sensibiliser le plus haut organe de l'ONU en charge de la défense des droits humains à la rude épreuve que traverse la liberté de presse en Algérie». Interdiction de voyager, écoutes téléphoniques, convocations de police et même interpellations de ses amis et ses connaissances, voilà quelques-unes des mesures de restriction prises à l'encontre de l'auteur du livre «La mafia des généraux», paru en 2002. «Mes ennuis ont commencé le 15 mai dernier lorsque j'ai écrit un article sur l'hospitalisation du chef de l'Etat en France», a déclaré à la presse celui qui est devenu la bête noire du régime algérien après avoir levé le voile sans détour sur «le cabinet noir des généraux». De passage dernièrement au Palais des Nations à Genève, il a indiqué qu'il comptait saisir à ce sujet le Comité onusien des droits de l'Homme, après avoir déposé plainte auprès du Rapporteur spécial sur la liberté d'expression. Loin d'être un cas isolé, cette affaire coïncide avec celle du blogueur algérien Abdelghani Aloui, placé sous mandat de dépôt pour caricatures «attentatoires» au chef de l'Etat. A son tour, la défense de M. Aloui vient d'annoncer son intention de saisir le Conseil des droits de l'Homme contre son incarcération abusive. «Nous avons l'intention de saisir le Groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire à Genève», a déclaré son avocat qui demande la libération provisoire du jeune blogueur écroué depuis le 25 septembre. Les cas de Aboud et Aloui montrent à quel point s'est détériorée la situation de la liberté d'expression dans un pays censé être au peloton de tête des défenseurs des nobles valeurs et idéaux de l'humanité au sein du CDH qu'il vient d'intégrer. Ce tableau peu reluisant représente une source de préoccupation pour les organisations de défense des droits de l'Homme les plus en vue sur la scène internationale. Bien avant l'élection d'Alger au conseil, six ONG avec à leur tête Human Rights Watch (HRW), avaient en effet interpellé le pouvoir algérien sur les restrictions imposées sans merci aux libertés d'expression partout dans la sphère publique. «Les Algériens doivent pouvoir s'exprimer librement et manifester ou exprimer leurs opinions», exige Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch dans une lettre adressé au président Bouteflika. Les signataires de cette lettre demandent aux autorités algériennes de «mettre fin à la répression contre les syndicats indépendants et permettre aux travailleurs d'exercer leur droit de se réunir librement et de manifester sans recourir à la violence pour les disperser». Goldstein ne cache guère sa «grande déception» de l'élection de l'Algérie au CDH, en accusant le régime de ce pays de réaliser «des records en violations des droits de l'Homme». L'Algérie a ce triste record d'être l'unique pays d'Afrique du Nord à bloquer «systématiquement» les visites d'organisations de défense des droits de l'Homme, déplore-t-il. Il fait observer qu'il s'agit du «seul pays d'Afrique du Nord qui bloque systématiquement les visites des ONG de défense des droits de l'Homme, alors que ces dernières se rendent librement et régulièrement au Maroc, en Egypte, en Libye et en Tunisie».