Ce n'est pas jouer sur les mots que de dire que ce livre, signé par Naïma Lahbil-Tagemouati, ne me semble pas à la lecture une fiction, dans le sens premier et littéral du terme. « La Liste », que publient les « Editions Le Fennec », est certes sous-titré roman et l'auteur nous a expliqué qu'il est le résultat d'une forte envie, après toute une écriture marquée au coin du discursif et de l'analytique, avec à la clef essais, articles et autres ouvrages de recherche ou de rapports, de faire œuvre de création littéraire dans le sens de s'insérer pour elle dans la catégorie littéraire convenue. Mais là encore, le lecteur ne peut être pour le moins que dubitatif une fois le roman refermé puisque tout le thème ne s'applique qu'a illustrer une situation on ne peut réaliste aux limites de l'illustration des effets de la précarité, du dénuement et de l'indigence. Et nul n'est besoin pour l'auteur, dont nous avons eu à connaître une première œuvre éditée en 2011 sous le titre de « dialogue en médina », de forcer le trait pour décrire la déplorable situation dans laquelle survivent lamentablement, sinon atrocement, cette population bidonvilloise des karriane installées depuis des décennies comme autant de pustules bourgeonnant la plupart à la lisière des grandes cités. Le nœud central de « La Liste » se fait autour de l'espoir que fait naître l'Etat lorsqu'il s'avise de vouloir recaser tout ce monde qui grouille dans le karriane, dans un lotissement tout neuf avec des parcelles dont les plans sont tirés au cordeau, selon un plan réputé rationnel et précis qui ne souffre apparemment aucune sorte de dérogation ni d'aucune hors-normes, serait-elles d'un simple iota. Après, tout de suite après l'annonce de cette décision prise par l'administration chargée de l'urbanisation – en l'occurrence son bras armé qui est la redoutée agence de « Réhabilitation de l'Habitat et de Développement Urbain », dont le sigle connu des seuls spécialistes, est l'ARDHU, si mal nommée si l'on s'en tient à l'antiphrase humoristique (ardu). La liste est l'histoire d'une séquence de l'interminable et véritable parcours du combattant que doivent mener chacun des bidonvillois pour se faire inscrire et prétendre à prendre rang dans une liste où il serait possible de s'aménager en dur une habitation qui aurait grosso modo une allure quelque peu décente. C'est une ordalie ordinaire, dirions-nous, à laquelle sont soumis particulièrement les miséreux du lumpen-prolétariat de chez nous, qui s'accrochent désespérés au mince espoir de pouvoir mettre la tête hors de la fange dans laquelle ils pataugent et s'enlisent. Donc de s'insérer dans la précieuse liste salvatrice mise au point par l'autorité administrative réputée compétente omnisciente. L'héroïne de la bataille menée par ces laissés pour compte de la modernité post-indépendance est Fatima Sarouti (par dérision l'auteur a recherché peut-être la connotation arabophone accrochée au terme dialectal « ma clé »). Femme modèle de courage, de ténacité et de persévérance, elle ne lâche jamais son action qui tend à atteindre l'objectif qu'elle s'est fixé : être attributaire d'un lot, quitte même à se contenter d'une demie portion grignotée à un voisin cacochyme et valétudinaire. Cette femme, mère courage emblématique dans un univers impitoyable où la menue corruption, la bureaucratie médiocre, les inégalités criante et leurs corollaires que sont l'injustice et la mistoufle règnent en maîtres, Fatima, nage toujours comme à contre-courant pour subvenir aux besoins d'une famille nombreuse où chaque membre est un problème en soi – le mari et père des enfants est lui-même un poids mort qui alourdit le char de la maisonnée, plutôt de la précaire baraque. Le quotidien de Fatima, répétitif et harassant, se passe en d'incessants et multiples accrocs, tracas, contrariétés et les nombreuses vicissitudes qui sont autant d'emmerdes plus ou moins graves. Volontaire, déterminée, maligne et rusée, Fatima les affronte toujours en les contournant bravement et ce n'est certainement pas son absence momentanée de la liste des attributaires qui la fera se résigner en abandonnant le combat par forfait. Quitte à s'y glisser par une ruse de Sioux en usant d'un subterfuge à peine croyable au montage improbable et plutôt compliqué. Le roman de Naïma Lahbil-Bekkaï Tagemouati ne se cantonne pas à la seule figure de l'énergique Fatima, il met en scène également un autre protagoniste qui clôt d'ailleurs la relation des péripéties de « La liste ». C'est Bouchta, jeune architecte de formation qui traîne tout au long de la moitié des pages du livre une espèce de tâtonnante veulerie qui l'empêche de sortir de son engluement dans les rets de la routine d'un emploi à l'ARDHU qui ne lui offre aucune satisfaction ou perspective et que ne compense absolument pas une vie maritale atone et insatisfaisante sur tous les plans. Au cours de tout le roman, on ne le rencontrera à satiété que par son prénom Bouchta (familièrement Bouch'), qui est à forte connotation rurale et campagnarde. On sait seulement qu'il est né pauvre et originaire d'un douar appelé Faraji. Fatima et Bouchta évoluent dans deux univers différents, antinomiques, évitant de se regarder, même pas en chiens de faïence. Dans une société, comme la nôtre où tout concourt à empêcher le dialogue sinon le simple contact, qu'est-ce qui pourrait rapprocher ces deux êtres. La femme en continuelle bagarre pour échapper à l'oppression ordinaire et l'homme velléitaire et incapable par une sorte d'inappétence de se forger une situation au niveau de celle convoitée vainement des privilégiés de la haute administration ou de la moyenne bourgeoisie dite nationale. (Suivra) 1/ « La Liste », roman de Naïma Lahbil-Tagemouti. 279 pages. Editions Le Fennec – Casablanca – 2013. 90 dirhams.