Elamin Erbate a sans doute provoqué le plus grand scandale du football marocain, en accusant ses dirigeants de corruption. L'ancien capitaine du Raja Casablanca raconte avoir servi d'intermédiaire lors de certaines transactions illicites destinées à s'acheter des matchs. Des révélations qui rappellent celles de Mustapha Lamrani (AS FAR) en fin de saison dernière, et que certains cherchent tant bien que mal à minimiser. Raja Casablanca bientôt au coeur de la tourmente. «Rien à déclarer». « Ce n'est pas à moi qu'il faut s'adresser». « Je n'ai rien à dire. » Autant de phrases qu'on s'habitue vite à entendre lorsqu'on s'intéresse à la corruption supposée du championnat de football marocain. A l'origine de l'enquête, ces accusations lourdes de sens proférées le 16 septembre dernier par Elamin Erbate, ancien capitaine emblématique du Raja Casablanca, brillant vainqueur du championnat national et de la coupe du trône en 2012. Sauf que ... « ce double sacre était truqué. J'ai moi-même donné de l'argent à certains joueurs de clubs adverses pour nous permettre de gagner. J'ai accepté de jouer des rôles vils et bas par amour pour le Raja. » Le joueur égrène alors au journal Almasse Arryadi la liste des équipes victimes de ses arrangements. Il aurait notamment demandé à certains joueurs du RS Berkane, de l'Hassania Agadir ou du Chabab AI Hoceima de lever le pied, mais ces derniers auraient refusé. Il accuse ensuite l'entraîneur Rajaoui Mohamed Fakhir, qu'il présente comme le véritable parrain du système. « C'est lui qui fait tout et recrute qui il veut et licencie qui il veut. Il a mis la main sur une caisse noire... Il sert des intérêts occultes et il y a quelqu'un derrière lui qui le guide... » Séisme au Raja Ces graves accusations ont jeté le trouble. Très vite, le Raja de Casablanca a nié, avant de traîner le joueur en justice et de lui réclamer 10 millions de dirhams. Contacté par nos soins, l'entraîneur du club a tenu à exprimer son point de vue sur la question. «Ce ne sont pas des révélations, ce sont des mensonges, assure-t-il. C'est à lui de prouver que ces propos sont justifiés et il en prend l'entière responsabilité devant le club qui l'a formé. C'est clair, net et précis, c'est à lui de prouver ses accusations, mais je pense qu'il va les regretter, » Avant de poursuivre, la voix déterminée: « Personnellement, cela fait longtemps que je suis entraîneur. j'al construit une carrière de trente ans avec plus de 22 titres. c'est le travail de toute une vie et, en deux secondes. Elamin envoie tout balancer, S'il y a preuve OK, mais là, c'est pour faire du mal tout simplement. Peut-être nous en veut-il parce qu'il a été évincé du Raja en juillet alors qu'il voulait jouer la Coupe du monde des clubs; mais franchement je ne m'explique pas son comportement. Il a pété les plombs. » L'existence de preuves n'est toujours pas avérée, mais depuis cette semaine, et selon son entourage proche, le joueur affirme disposer d'enregistrements et se dit prêt à venir se présenter au tribunal, pour une audience programmée le 28 octobre prochain. En attendant il ne répond qu'à son avocat. Si c'est maintenant à la justice nationale de trancher, il n'en reste pas moins que cet épisode fait tâche, au moment où le championnat marocain est déjà agité par le possible trucage de la rencontre entre le Kénitra Athletic Club et le Raja Beni Mellal. Surtout, ce n'est pas la première fois qu'un joueur dénonce la corruption qui règne en Botola Pro 1. En fin de saison dernière, Mustapha Lamrani, le défenseur de l'AS FAR, avait déjà fait part de ses doutes quant à l'éthique sportive du championnat. « On sait comment le titre du champion du Maroc se gagne et ce n'est pas sur le terrain. Les dix derniers titres - sauf celui acquis par le Moghreb Tétouan en 2010-2011 - ont été acquis par des clubs qui ont de l'argent. » Des propos qui avaient défrayé la chronique, sauf que le joueur s'est depuis ravisé. Malgré la barrière de la langue, il nous a confirmé cette seconde version via un proche traducteur qui a tenu à rester anonyme: « J'ai dit ce que j'avais à dire l'année dernière, mais c'était surtout dû à la colère d'avoir perdu le match. Il y avait eu trop de fautes d'arbitrage pendant la rencontre, rnais nous n'avons pas accusé le Raja. C'est juste que l'ASFAR a été mal arbitrée plusieurs fois pendant la saison, alors qu'on était bons et qu'on a terminé deuxièmes, et cela m'a énervé ». Et son mystérieux acolyte de conclure : « Je n'ai rien lu sur l'affaire Erbate et je n'en ai pas envie. Nous n'avons pas eu nos réponses, mais nous ne voulons pas que ces histoires entachent l'honneur du championnat marocain. Félicitations au Raja pour le titre ». R.A.S les gars Un revirement qui n'est sans doute pas étranger à la position du club de l'armée, dont Mohamed Mouffid est le vice-président. Ce dernier, qui s'abstient de déclaration, n'est pas un fervent soutien de son joueur : « Je crois qu'il ne faut pas trop accorder de crédit à des déclarations de joueurs, qui ne sont souvent pas professionnels dans leur mentalité ils manquent de formation et de vision à long terme, ils sont parfois sous l'influence de ce qui se dit au café. C'est un dérapage qui n'engage que lui, » Le dirigeant marocain n'accorde pas plus d'irnportance à la requête d'une partie des supporters de l'AS FAR, regroupés dans le groupe ULTRAS BLACK ARMY, qui a récemment envoyé une lettre pour demander j'ouverture d'une enquête. « Nous voulons avoir une conduite constructive et nous abstenons donc de prendre position. Certes, l'association de nos supporters a fait des communiqués, mais nous ne sommes pas liés à eux ni par une convention ni par accord moral. » D'un silence glacial depuis le début de l'affaire, la Fédération marocaine de football ne semble pas vraiment motivée à l'idée de démêler le vrai du faux. Ou du moins prend-elle son temps. Après quelques hésitations, son président M. Ali Fassi Fihri nous avoue: « Cette affaire n'est pas encore arrivée à la Fédération pour l'instant, personne ne nous a saisis, ni le joueur ni le Raja. Nous alIons en discuter lors de notre prochain bureau fédéral, et probablement allons-nous nous auto-saisir, avant de peut-être saisir la FIFA. « En attendant, la date de ce bureau fédéral n'est pas fixée, et n'est pas prévue avant quelques semaines». Le président s'en explique habilement: «Habituellement, dans ce type d'affaires, nous prenons notre temps, nous essayons de travailler de manière apaisée. Il y a beaucoup de pollution créée par ce dossier, il faut que l'on convoque le joueur et qu'on l'écoute. ». Quand on lui demande s'il sait quelque chose sur la corruption dans championnat, M. Fassi Fihri répond, laconique: « Rien, sincèrement rien ». Si le silence de la Fédération (FRMF) était plus ou moins attendu, l'association Transparency Maroc est, elle, étonnement muette. Son président M. Abdessamad Saddouq confesse: « Nous espérons que la justice s'en empare, mais nous avons très peu d'éléments à disposition. Nous sommes au courant des déclarations, mais pas plus. Nous n'enquêtons pas sur ce genre d'affaires ». Avant, contre toute attente, de se rattraper : « Non, ces déclarations ne me choquent pas du tout. Vu le niveau de corruption dans le pays, je ne vois pas pourquoi le football serait épargné. Mais il y a tellement d'affaires au Maroc et nous manquons de ressources et de moyens ». Il n'en reste pas moins que son silence est troublant. Une rapide vérification confirmera ses liens avec M. Ali Fassi Fihri, le président de la Fédération, qui est aussi le président de l'Office National de l'Electricité et de l'Eau (ONE), dans laquelle M. Saddouq travaille en tant que directeur du pôle développement. Sans présumer d'un possible conflit d'intérêt, il reste étonnant de voir la Fédération entretenir des liens aussi étroits avec la direction d'une association qui se bat pour la transparence et qui aujourd'hui « ne se lance pas dans ce genre d'investigations ». Procès à venir Tandis que l'omerta impose sa chape de plomb, les soutiens au joueur se font rares. « Publiquement, personne ne l'encourage, il n'y a pas un grand élan de solidarité derrière lui », explique Lino Bacco, directeur de la programmation chez Radio Mars. On n'a aucune preuve, on entend certaines choses en off, mais pour l'instant, on ne sait pratiquement rien. Comme toujours dans ces cas-là, le monde du football impose le silence le plus strict. ». Le cas Erbate n'est cependant pas sans rappeler celui de Diego Garzitto, l'ancien entraîneur du Wydad Casabalnca, qu'il interrogé en janvier 2011 dans son talk-qhow. Le lendemain de son limogeage, le technicien franco-italien avait lâché une bombe en direct en expliquant que son club « avait acheté des matchs pour être champion ». L'affaire avait fait grand bruit avant d'être étouffée. « Franchement, l'opinion publique est partagée, poursuit Lino Bacco, mais c'est vrai que les gens commencent à se poser des questions : et si Garzitto avait dit vrai ? Et si Erbate avait raison ? » « Ce qui est sûr, c'est qu'il faut aller jusqu'au bout, afin que la vérité soit dévoilée continue Mustapha El Haddaoui, le président du syndicat des joueurs. Il faut punir les tricheurs ou les menteurs et blanchir les gens accusés à tort, afin de garder notre football propre ». L'ancien international marocain, formé au Raja Casablanca, avoue avoir été « choqué » par les déclarations d'Elamin Erbate. « Je le connais bien, car c'est un pur rajaoui, comme moi. C'est un garçon bien éduqué que j'ai sélectionné à plusieurs reprises dans l'équipe nationale des locaux ». Passé par Saint-Etienne, Lens et Angers durant sa carrière, le président avoue regretter cet indicent, qui entache l'image de son club de cœur « Le Raja est un grand club, qui a de grands joueurs et un budget énorme. Ces accusations sapent sa crédibilité et celle de l'ensemble du football marocain. J'espère qu'Elamin Erbate n'a pas proféré ces grosses accusations sous le coup de l'énervement à cause de son licenciement, quand il s'est senti délaissé ». Avant de renvoyer au procès qui aura lieu le 28 octobre prochain ». S'il n'y a pas sanction, ce sera la porte ouverte pour d'autres et les comportements illicites continueront ». Entre silence, mensonges et trahisons, l'affaire ne fait que commencer au pays du soleil couchant. (So Foot )