Jamais une cité marocaine n'a été aussi présente dans la vie et les œuvres des écrivains et artistes contemporains que la ville de Tanger. Cette ville diplomatique, creuset des cultures occidentales et orientales, source intarissable d'inspiration. Tanger, ou ‘cité-rêve'' comme l'appelait l'écrivain américain et grand amoureux de la ville du détroit, Paul Bowles, a eu, de tous temps, une place bien enviable dans le cœur de créateurs internationaux, écrivains, poètes ou peintres, qui ont trouvé dans ses ruelles, ses souks populaires, ses bâtisses, sa population, sa géographie et son ouverture plus qu'un prétexte de création et d'émerveillement. En voulant replonger dans l'histoire culturelle de la ville, qui remonte à l'époque des pré-phéniciens et se nourrit des légendes grecques et roumaines, on ne peut ne pas s'arrêter en l'an 1823. Une date qui marque l'arrivée sur la rive sud du détroit de Gibraltar du peintre français, Eugène Delacroix, qui tomba, même de loin, sous le charme de Tanger, porte de l'Afrique. Delacroix, qui aimera Tanger et ensuite Meknès et Fès, avait envoyé une carte postale à un ami en France où il écrivit : ‘je suis venu à la quête du soleil. Ici, les habits des hommes vous rappellent les anciens consuls''. De petits mots griffonnés sur une carte, mais une grande preuve d'un amour qui va se refléter dans des tableaux restés immortels et ornent toujours les cimaises des plus prestigieux musées du monde. Des années après, son concitoyen Henri Matisse tomba, lui aussi, dans les filets de la belle du détroit, qu'il avait visité au début du 20-ème siècle. C'est de la fenêtre de la chambre 35 de l'hôtel Villa de France, où il passait ses séjours tangérois, que Matisse allait créer les tableaux qui vont le placer au sommet du fauvisme. Un courant fondé sur l'instinct et marqué par le recours à de larges aplats de couleurs violentes, pures et vives. A partir des tableaux de Matisse, qui appelait Tanger tantôt par ‘le paradis du peintre'', tantôt par le ‘miroir ouvert sur le monde'', un circuit touristique spécial dans l'ancienne médina a vu le jour. On le désigne par ‘circuit Matisse''. En effet, Tanger ne peut laisser indifférent. Pour Rachid Amhjour, ancien directeur de la galerie Mohamed Idrissi d'art contemporain, ‘la lumière de Tanger était un facteur déterminant dans l'attraction des peintres internationaux'', car, selon lui, ‘en journée, la lumière fuse de la méditerranée, le soir venu la lumière penche de l'atlantique. Le peintre peut donc suivre les mouvements de lumière qui se reflètent sur les eaux de la mer des deux façades''. Ce ‘paradis du peintre'' a continué d'accueillir les bras grands ouverts des artistes de renommée mondiale qui y venaient à la recherche d'une quelque inspiration ou d'un exotisme oriental, à seulement quelques vagues de l'Europe. Des créateurs s'y étaient même établis, élisant domicile dans ses ruelles exigües et ses bâtisses blanchâtres donnant sur la mer, côtoyant ses habitants musulmans, chrétiens ou juifs, dans une coexistence qui n'avait pas d'équivalent dans les grandes cités du 20è siècle. Un amour réciproque entre le créateur et la ville grandissait chaque jour un peu plus. L'écrivain marocain, feu Mohamed Choukri, le résume en quelques mots : ‘il me semble que j'ai épousé Tanger''. Une déclaration d'amour qui en dit long sur le lien qu'entretenait avec la cité phénicienne, où il s'y était entré enfant débotté et décédé grand écrivain traduit dans une quarantaine de langues. Parmi les écrivains célèbres qui sont tombés sous le charme de Tanger, ‘muse des hommes de lettres'', il y a lieu de citer, outre Paul Bowles et son épouse Jane, William Burroughs, Alan Gusengerg, Tennessee Williams, John Hopkins ainsi que Jean Genet qui ont fait de Tanger une oasis d'écriture et le sujet de prédilection de leurs oeuvres. Dans son roman ‘Le Journal de Tanger'' (The Tangier Diarie), l'écrivain américain John Hopkins qualifie la ville du détroit de ‘Mecque'' des hommes de lettres. Il se dit étonné par le nombre de romanciers, d'artistes et de cinéastes qui ont élu domicile à Tanger. ‘Même à New York, je n'aurais pas pu rencontrer autant'', s'amuse-t-il à dire. Les paradoxes de Tanger seraient probablement derrière cet engouement des créateurs. Tanger est peut être parmi les rares cités qui transportent leurs visiteurs dans deux mondes et les font voyager entre deux sociétés. C'est une ville à la croisée des chemins et des cultures, ouverte sur l'occident mais qui reste résolument fière de ses us et ses racines orientales, une cité internationale par excellence où se dissipent toutes les frontières. Le président du forum culturel de Tanger, Ahmed Leftouh explique le charme de Tanger par son identité multiple et plurielle. Tanger est une ville de cohabitation et du vivre-ensemble, un refuge pour les étrangers et les expatriés, qu'ils soient riches ou pauvres, réfugiés politiques ou en quête d'une meilleur situation économique. La ville du Détroit est aussi un havre de paix pour bon nombre d'intellectuels étrangers en mal de liberté dans leur pays, dit-il, tout en se disant rassuré quant à son avenir. ‘Comme un phénix, l'oiseau légendaire, Tanger va renait de ses cendres et renoue avec son glorieux passé culturel'', confie-t-il à la MAP. L'écrivain William Burroughs qui a visité cette ville pour la première fois en 1952, qualifie Tanger de ‘ville de liberté et de tous les possibles''. Les quelques mois qu'il a passés à Tanger étaient suffisants pour briser les chaines de son esprit. Son roman ‘Le Festin Nu'' (The Naked Lunch) qu'il a publié après son retour aux Etats-Unis lui a grand ouvert les portes de la célébrité dans le milieu des bohémiens au début des années 60. Séduit lui aussi par la magie de la ville du detroit, le penseur espagnol Juan Goytisolo qualifie Tanger, dans un article intitulé ‘Traits d'identité'', de ville énigme et mystérieuse qui a attiré durant les deux derniers siècles les regards curieux d'artistes peintres, de romanciers, de cinéastes et de poètes venus des quatre coins du monde pour y élire domicile et naviguer librement dans ce vaste océan qu'est la création. Cependant, le défunt Choukri restera incontestablement la mémoire des écrivains et hommes de lettres qui ont été séduits par Tanger. Il leur a réservé trois de ses œuvres où il relate la vie à Tanger de Jean Genet, Tennessee Williams et Paul Bowles et met la lumière sur une partie de leur passage à Tanger restée méconnue de plusieurs. Cosmopolite et accueillante, Tanger renoue aujourd'hui avec un passé culturel glorieux à la faveur des projets d'envergure qui ont vu le jour depuis 1999, sous l'impulsion de SM le Roi. Dépositaire d'une histoire riche et exceptionnelle, la ville du détroit aspire à renforcer sa place de choix au niveau international à travers la construction d'un Palais des arts et des cultures, qui a comme objectif de réconcilier la ville avec son prestigieux passé culturel, ainsi qu'un grand théâtre en plus de la réhabilitation, notamment, des célèbres grottes d'Hercule, de la villa Harris et du jardin de Rmilate.