Le président iranien Hassan Rohani a proposé jeudi de faciliter le dialogue entre le régime et l'opposition en Syrie, où des combattants liés à Al-Qaïda se sont emparés d'une ville conquise aux rebelles non-jihadistes, provoquant la colère d'une partie de ses habitants. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a exhorté pour sa part le Conseil de sécurité de l'ONU à voter «la semaine prochaine» une résolution contraignant la Syrie à respecter un plan de démantèlement de son arsenal chimique. «Mon gouvernement est prêt à aider à faciliter le dialogue entre le gouvernement syrien et l'opposition», a affirmé le président Rohani dans une tribune publiée sur le site internet du quotidien américain Washington Post. La proposition pourrait toutefois être accueillie avec prudence par les Etats-Unis, qui accusent Téhéran de soutenir --en armes et en soldats-- le régime du président Bachar al-Assad. Pour M. Rohani, une «approche constructive de la diplomatie ne signifie pas renoncer aux prétentions de chacun». «Cela veut dire prendre rendez-vous avec ses homologues, sur un pied d'égalité et dans le respect mutuel, pour répondre aux inquiétudes partagées et atteindre des objectifs communs», écrit-il. Le président iranien a aussi demandé à rencontrer sur ce dossier, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU la semaine prochaine, le président français François Hollande, a affirmé ce dernier jeudi soir dans l'avion qui le ramenait de Bamako à Paris. Empruntant aussi le pas diplomatique, le vice-Premier ministre syrien, Qadri Jamil, a affirmé --dans un entretien au quotidien britannique The Guardian-- que le régime syrien demanderait un cessez-le-feu en cas de nouvelle conférence internationale de paix, baptisée Genève-2, une initiative voulue par Washington et Moscou qui a du mal à voir le jour. Selon M. Jamil, le conflit entre le régime et les rebelles a abouti à une «impasse». «Ni l'opposition armée ni le régime ne sont capables de vaincre le camp adverse. Ce rapport de force ne changera pas avant un moment», a déclaré M. Jamil au sujet d'une guerre qui a fait plus de 110.000 morts en plus de deux ans. Charia dans la ville ? La Coalition de l'opposition syrienne a accusé vendredi un groupe de jihadistes lié à Al-Qaïda de privilégier leur projet d'instauration d'un Etat islamique au combat contre le régime, deux jours après leur conquête d'une ville du nord du pays tenue par les rebelles. Azaz, ville frontalière de la Turquie, dans le nord-ouest de la Syrie, est tombée mercredi aux mains de l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL), à l'issue d'une opération éclair. Fait significatif, la ville n'était pas sous le contrôle du régime mais de l'Armée syrienne libre (ASL), le bras armé de la Coalition nationale syrienne, qui a jusqu'ici plus ou moins cohabité avec l'EIIL et l'autre groupe jihadiste du Front al-Nosra, lui aussi lié à Al-Qaïda. La Coalition de l'opposition n'a pas manqué de «condamner les agressions de (l'EIIL) contre les forces de la révolution (...) et son mépris pour la vie des Syriens». C'est la première fois que cette coalition, qui regroupe un large éventail de tendances, s'élève aussi fortement contre un groupe jihadiste. Elle a dénoncé le fait que l'EIIL «serve des projets extérieurs et appelle à instaurer un Etat (islamique) dans les contours de l'Etat syrien, en violation de la souveraineté nationale» syrienne. Elle s'est également indignée du recours de ce groupe «à la force contre les civils et du bellicisme à l'égard de l'ASL» et l'accuse d'avoir «renoncé à combattre le régime dans différentes zones et de s'employer à renforcer son emprise sur des zones libérées». La coalition souligne ensuite ses divergences avec l'idéologie de l'EIIL en soulignant que «le peuple syrien est enclin à la modération et au respect des religions et du pluralisme politique et rejette la pensée extrémiste et l'exclusion qui se traduisent par des actes criminels contre les musulmans et les non musulmans». Le problème reste entier à Azaz même si une trêve a été conclue entre l'ASL et l'EIIL, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). L'ALS a envoyé, l'une de ses unités, la puissante Brigade Tawhid, s'interposer dans la ville entre jihadistes et son bataillon local, «Tempête du nord», en attendant de trouver une issue à la crise. Sur le terrain, des habitants de la ville syrienne d'Azaz près de la frontière turque ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour demander le départ des combattants de l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL), certains craignant de voir les jihadistes imposer la charia dans la ville. L'Armée syrienne libre (ASL), principal groupe rebelle, a annoncé l'envoi de renforts à Azaz pour tenter de trouver une solution de compromis avec les jihadistes. C'est la première fois que des jihadistes prennent à l'ASL une ville après une bataille éclair. Azaz avait été en juillet 2012 l'une des premières conquêtes des rebelles non-jihadistes qui y avaient installé le noyau d'une administration locale. Ils étaient accusés par les jihadistes d'être des agents de l'Occident. Signe de la complexité du conflit en Syrie, si les combats entre l'EIIL et des rebelles non-jihadistes se multiplient ces dernières semaines dans certaines régions, dans d'autres ils combattent ensemble contre les troupes du régime Assad. Le président français François Hollande a indiqué jeudi que la France livrerait des armes à l'ASL mais «dans un cadre contrôlé». Le président Bachar al-Assad a affirmé de son côté dans une interview à la chaîne américaine FoxNews mercredi que son pays était confronté à une «nouvelle sorte de guerre» menée par des «dizaines de milliers de jihadistes» étrangers, dont «80% à 90%» seraient des combattants d'Al-Qaïda. Les Affaires étrangères syriennes ont d'ailleurs adressé jeudi des messages au Conseil de sécurité dans lesquels elles dénoncent, selon l'agence officielle Sana, le fait que «les Etats-Unis et leurs alliés (dont des pays arabes) continuent à financer Al-Qaïda en Syrie et d'autres groupes terroristes», en référence aux rebelles non-jihadistes. «Action exécutoire» Mais le président syrien a assuré que son pays détruirait son énorme arsenal chimique. Moscou et Washington ont trouvé un accord le 14 septembre à Genève pour démanteler l'arsenal chimique syrien, et la Syrie s'est engagée à fournir dans un délai d'une semaine --qui s'achève théoriquement samedi-- une information complète sur son arsenal chimique. Lors d'une intervention surprise au département d'Etat, M. Kerry a souhaité que le Conseil de sécurité de l'ONU parvienne à un texte qui «exprime dans les termes les plus forts possibles l'importance d'une action exécutoire pour que la planète se débarrasse des armes chimiques syriennes». Les Occidentaux et plusieurs pays arabes accusent le régime, qui dément catégoriquement, d'avoir perpétré un massacre à l'arme chimique le 21 août près de Damas, une attaque qui a failli déclencher des frappes américaines et françaises. En attendant, Damas et Moscou s'évertuent à empêcher toute résolution à l'ONU susceptible d'ouvrir la voie à un usage de la force contre la Syrie si elle ne se pliait pas à l'accord. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont eu de nouvelles consultations sur ce projet. Selon des diplomates à l'ONU, les Occidentaux cherchent à convaincre la Russie que leur projet de texte n'implique pas la menace d'une action militaire immédiate. M. Kerry a exhorté par ailleurs la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité, à jouer un rôle «constructif» pour parvenir à cette résolution. Si un compromis est trouvé, ce texte pourrait être soumis au vote ce week-end. Le président russe Vladimir Poutine, fidèle allié de Damas, a estimé pour sa part que l'attitude de la Syrie sur ce démantèlement «inspire confiance». L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a annoncé qu'elle se réunirait dimanche à La Haye afin de discuter de ce démantèlement.