Le Festival Gnaoua a démontré sa particularité et son originalité dans la préservation du patrimoine gnaoua qui était en perdition, il y a juste quelques années. Le festival a non seulement ressuscité la musique gnaoua, mais lui a donné ses lettres de noblesse tant à l'échelon national qu'international grâce aux fusions musicales, un phénomène exclusivement souiri qui récolte de plus en plus de fans et de mélomanes et qui est une valeur sûre du festival Gnaoua. Ainsi, la soirée d'ouverture était à elle seule un voyage, une rencontre improbable entre les Gnaouis menés par le Maâlem Said Kouyou et les bédouins émiratis de Annadi Al Bahri. Une belle rencontre envoûtante et totalement originale qui illustre parfaitement un des axes majeurs de ce festival, le dialogue des cultures du monde. Le public du festival Gnaoua grandit de plus en plus avec les années et a la particularité de venir d'horizons très divers, avec chaque année une présence plus forte de touristes étrangers. Forcément, le Festival Gnaoua et Musiques du Monde, manifestation culturelle à la notoriété internationale, est un événement de plus en plus médiatique. Cette année, on comptait encore plus de 200 journalistes venus du Maroc, de France, d'Italie, d'Egypte, d'Allemagne, du Royaume Uni, des Emirats Arabes Unis, de Russie, de Suisse, d'Irlande, des Etats Unis, de Roumanie et d'Australie. Si les fusions sont la marque de fabrique du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, elles ont acquis une maturité artistique au cours de ces seize années : les maâlems sont devenus aussi musiciens, chacun imprimant sa griffe à sa pratique instrumentale, de la même façon dont leur pratique de la tagnaouite peut différer selon leur personnalité. Le meilleur de ce genre durant cette 16 ème édition fut la belle fusion entre Omar Sossa et Maâlem Mahmoud Guinéa. Les deux hommes étaient aux anges en jouant ensemble, loin du langage des paroles et des langues, dans une fusion musicale des plus inédites. Reste à signaler que le plus représentatif de l'évolution vers un art scénique propre aux Gnaoui, avec le respect de l'authenticité et l'ouverture vers d'autres musiques, est sans doute le Maâlem Abdelslam Alikane. Ce n'est pas pour rien, il est le directeur artistique Gnaoua depuis la création du festival. Côté jeunesse qui s'illustre bien sur la scène et un peu dans la même veine, le Maâlem Hassan Boussou s'impose depuis déjà plusieurs années comme le fer de lance de la nouvelle génération de grands maâlems gnaouas, qui aiment désormais se prêter aux rencontres les plus insolites et qui sont accueillis par le public comme de grandes vedettes gnaouas. Malheureusement, cette année encore, la liste des maâlems disparus s'est allongée (et comme l'a bien dit Hampâté Bâ et pour le paraphraser: «chaque fois qu'un maâlem meurt, c'est un pan du patrimoine, non seulement gnaoua, mais mondial qui disparaît». Cette année, la Zaouia Sidi Bilal a accueilli des hommages au Maâlem Abdellah Guinea et au Maâlem Cherif Regragui. Avec l'hommage au Maâlem Abderrahmane Paco, l'esprit Nass El Ghiwane a plané sur cette 16ème édition. L'hommage au Maâlem Paco était partiulièrement émouvant puisqu'il était conduit par son vieux complice Moulay Tahar Asbahani, les propres fils de Paco, Younes et Yacine entourés du groupe Paco Ghiwane, beau symbole d'une jeunesse qui reprend le flambeau. Cette même jeunesse qui a été au cœur du Forum citoyen (espace d'échanges et de réflexion, organisé en collaboration avec le CNDH) consacré aux «Sociétés en mouvement, Jeunesses du monde». Dans les mutations, parfois difficilement déchiffrables, que connait notre société, la jeunesse est une clef de voûte. Le forum a atteint son objectif par la qualité des intervenants et des débats et surtout, comme l'ont relevé les participants venus de divers pays, par le ton qui révèle un état d'esprit et une disposition à la délibération, qui témoignent d'une maturité certaine de l'espace public marocain. Les jeunes ne se sont pas contentés de faire entendre leur voix, comme on dit souvent, ils ont participé aux panels et construit des réflexions et des analyses qui ont apporté des éclairages nouveaux sur les problématiques posées. La 16 ème édition du Festival Gnaoua fut une grande réussite grâce à une bonne programmation mais aussi grâce à un public fidèle en perpétuelle augmentation. Réussite également au point de vue sûreté avec du beau travail fourni tout au long du festival, de jour comme de nuit, par les divers services compétents, ce qui augmente de l'hospitalité et du charme d'Essaouira, malgré un vent fort et insupportable qui a soufflé durant les cinq jours du festival. Bravo encore à l'équipe féminine d'organisation conduite la Neila Tazi qui a épousé l'esprit gnaoua jusqu'à en faire une vraie passion.