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Une passeuse d'images sans frontières Nadia Benchallal, photographe franco-algérienne choisit Casablanca pour la troisième étape de son exposition « Sister's femmes musulmanes »
Depuis une dizaine d'années, Nadia Benchallal, photographe franco-algérienne, poursuit un travail sur une thématique des femmes musulmanes. Le résultat en est donné aujourd'hui, en échantillon, dans une exposition qui vient d'être inaugurée le mardi 18 juin à Casablanca, à la Yakin et Boaz Gallery, sous le thème « Sister's femmes musulmanes ». Cette exposition qui se poursuivra jusqu'au 10 juillet prochain, était passée par Abu Dabi et New York. Il s'agit de photos en noir et blanc où deux dimensions cohabitent, une artistique et l'autre documentaire. La dimension artistique repose en partie sur le procédé de fabrication artisanal qu'on appelle l'argentique par rapport au numérique avec film pellicule et papier. « Le choix du titre « Sister's », j'ai décidé de le garder en anglais parce que peu adaptable en français ou en arabe. Cela veut dire en arabe « Oukhti », mot qu'on répète à une femme par respect, affection, tendresse et que j'ai rencontré dans tous les pays musulmans que j'ai traversé, y compris le Maroc». Issue d'une famille algérienne de Kabylie (Bejaïa) qui avait immigré en France avant l'indépendance de l'Algérie, vivant aujourd'hui au sud de la France, Nadia Benchallal dit avoir contracté la passion de la photo à l'âge de quatorze ans. « Ma toute première photo c'était un portrait de ma sœur, ce fut une découverte». Une passion qui va donner naissance à une vocation marquant une vie sous le signe de la mobilité. Celle-ci n'est pas virtuelle mais plutôt bel et bien concrète et s'avère un tout-puissant pied de nez aux frontières absurdes, y compris maroco-algérienne aujourd'hui encore fermées depuis des décennies. Elle choisit de poursuivre des études de photos et se retrouve à l'Ecole internationale de photo de New York, fondée par le frère du grand photographe américain Robert Capa. Là, elle tombe sur un livre consacré au photographe français Marc Garanger, auteur au cours de son service militaire d'une collection d'inoubliables photos de femmes algériennes prises pendant la guerre d'Algérie. Ces photos avaient été arrachées, sur ordre du commandement de l'armée coloniale française à des villageoises qu'on avait dévoilées pour leur prendre une photo d'identité sous la contrainte, en vue de pouvoir contrôler par la suite leurs déplacements pour une question de sécurité militaire. A voir le visage de ces femmes, Nadia est frappée par leur vérité, dit-elle, la forte personnalité des femmes qui s'y exprime avec un regard fier et digne, signes d'une révolte silencieuse. Depuis elle se retrouve en train de chercher à faire elle-même des photos pour contrer les « clichés sur les femmes musulmanes et arabes » et déjouer les « icônes orientalistes». Pour ce faire, il fallait une remontée aux sources, revenir au pays. Or, la fin de ses études coïncide presque avec le début de la « décennie noire » de l'Algérie, les années quatre vingt-dix. Du fait de la facilité pour elle en tant qu'Algérienne de pénétrer au cœur du pays sous l'emprise des troubles, elle parvient à réaliser des reportages pour la presse internationale. C'était à partir de 1992 et elle avait la vingtaine. A ce moment-là, rares étaient les reporters photographes femmes. « Photojournalisme, un métier d'homme ! ». C'est en tant que reporter photographe qu'elle obtient le prix de la photo du festival de photo de Perpignan grâce à une série de reportages sur l'Algérie. Ce fut le déclenchement de l'idée du travail de photos documentaires sur les femmes musulmanes, travail qu'elle poursuivra en allant en Bosnie « pour photographier les conséquences de la guerre sur les femmes bosniaques musulmanes ». Ensuite à Gaza en 1998 pour prendre des photos des jeunes filles de la diaspora palestiniennes revenues, notamment de Tunisie et d'Egypte, pour vivre auprès de leurs parents au moment du retour de Arafat en Palestine occupée. D'autres univers de femmes musulmanes seront explorés, parfois «des univers très fermés comme en Birmanie » où l'artiste photographe arrive à s'introduire « grâce à l'entremise d'organisations humanitaires ». Ensuite l'Iran, dont elle garde le souvenir marquant d'une équipe de football de femmes et la Malaisie où elle voit entre autres une « autre manière bien différente de pratiquer la spiritualité musulmane » et d'où elle rapporte entre autres des images de l'école de police pour filles. Elle insiste sur le côté personnel du travail sur les femmes et affirme qu'il n'y a pas interférence entre le photojournalisme et ce travail, sauf pour la Bosnie. Nadia Benchallal dit s'inspirer d'un « courant de photographie humaniste » émanant des photographes américains et aussi d'autres photographes comme Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, Eugène Smith, Eugène Richards etc. « J'avais reçu une éducation visuelle américaine avant d'avoir la française, il y a un grand courant humaniste dans la photo documentaire aux Etats-Unis avec la période centrale des années de crise 1929-1930, des photographes ont été envoyés sur le terrain pour relater ce qui se passait, cela a fini par créer une vague de photographie humaniste, je trouve qu'aujourd'hui on laisse passer dans nos pays des occasions formidables de faire de la photo documentaire pour relater la vie des gens » Pour le procédé de fabrication, elle préfère rester dans le traditionnel, travail manuel charnel avec film et papier, ce qu'on appelle l'argentique en opposition au numérique. Le choix de travailler dans le noir et blanc est plus conforme à la sensibilité, exigences, effets artistiques et aussi du fait de la « superficialité de la couleur », de la fragilité du numérique, alors que la conservation de la pellicule et du papier est plus sûre à travers le temps. « Plus que tout, j'aime la photo fixe, j'ai cette passion pour le fixe, il y a plein d'histoires derrière, j'aime figer l'instant. Cartier-Bresson appelait cela « l'instant décisif », la lumière, le cadrage, tout est dans l'image, c'est à ce moment-là qu'on déclenche parce qu'on veut sublimer le moment, on veut montrer quelque chose d'extrêmement lumineux, même si on est dans la guerre, comme la Bosnie par exemple. Je suis fondamentalement optimiste, je crois qu'il y a de l'espoir en tout. Quand vous allez en Bosnie, que vous êtes dans le désespoir et que tout d'un coup vous voyez un sourire, un éclat dans les yeux des enfants et que ces enfants qui ont subi le martyr continuent à jouer comme si de rien n'était, c'est comme si le désespoir battait soudain en retraite...» Deux choses dans la photo, selon Nadia Benchallal : la subjectivité du regard et l'objectivité du moment. « J'ouvre une toute petite fenêtre sur le monde, après c'est aux gens d'aller chercher, moi je ne peux donner que l'instantané de la vie, je suis dans un moment de la vie des gens, je suis de passage, je suis une passeuse d'image...»